Un monde de connaissances
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    Albert Samain

    Automne

    Le vent tourbillonnant, qui rabat les volets,
    Là-bas tord la forêt comme une chevelure.
    Des troncs entrechoqués monte un puissant murmure
    Pareil au bruit des mers, rouleuses de galets.

    L'automne qui descend les collines voilées
    Fait, sous ses pas profonds, tressaillir notre cœur ;
    Et voici que s’afflige avec plus de ferveur
    Le tendre désespoir des roses envolées.

    Le vol des guêpes d’or qui vibrait sans repos
    S’est tu ; le pêne grince à la grille rouillée ;
    La tonnelle grelotte et la terre est mouillée,
    Et le linge blanc claque, éperdu, dans l’enclos.

    Le jardin nu sourit comme une face aimée
    Qui vous dit longuement adieu, quand la mort vient ;
    Seul, le son d’une enclume ou l’aboiement d’un chien
    Monte, mélancolique, à la vitre fermée.

    Suscitant des pensers d’immortelle et de buis,
    La cloche sonne, grave, au cœur de la paroisse ;
    Et la lumière, avec un long frisson d’angoisse,
    Écoute au fond du ciel venir les longues nuits.

    Les longues nuits demain remplaceront, lugubres,
    Les limpides matins, les matins frais et fous,
    Pleins de papillons blancs chavirant dans les choux
    Et de voix sonnant clair dans les brises salubres.

    Qu’importe, la maison, sans se plaindre de toi,
    T’accueille avec son lierre et ses nids d’hirondelle,
    Et, fêtant le retour du prodigue près d’elle,
    Fait sortir la fumée à longs flots bleus du toit.

    Lorsque la vie éclate et ruisselle et flamboie,
    Ivre du vin trop fort de la terre, et laissant
    Pendre ses cheveux lourds sur la coupe du sang,
    L’âme impure est pareille à la fille de joie.

    Mais les corbeaux au ciel s’assemblent par milliers,
    Et déjà, reniant sa folie orageuse,
    L’âme pousse un soupir joyeux de voyageuse
    Qui retrouve, en rentrant, ses meubles familiers.

    L’étendard de l’été pend noirci sur sa hampe.
    Remonte dans ta chambre, accroche ton manteau ;
    Et que ton rêve, ainsi qu’une rose dans l’eau,
    S’entr’ouvre au doux soleil intime de la lampe.

    Dans l’horloge pensive, au timbre avertisseur,
    Mystérieusement bat le cœur du silence.
    La solitude au seuil étend sa vigilance,
    Et baise, en se penchant, ton front comme une sœur.

    C’est le refuge élu, c’est la bonne demeure,
    La cellule aux murs chauds, l’âtre au subtil loisir,
    Où s’élabore, ainsi qu’un très rare élixir,
    L’essence fine de la vie intérieure.

    Là, tu peux déposer le masque et les fardeaux,
    Loin de la foule et libre, enfin, des simagrées,
    Afin que le parfum des choses préférées
    Flotte, seul, pour ton cœur dans les plis des rideaux.

    C’est la bonne saison, entre toutes féconde,
    D’adorer tes vrais dieux, sans honte, à ta façon,
    Et de descendre en toi jusqu’au divin frisson
    De te découvrir jeune et vierge comme un monde !

    Tout est calme ; le vent pleure au fond du couloir ;
    Ton esprit a rompu ses chaînes imbéciles,
    Et, nu, penché sur l’eau des heures immobiles,
    Se mire au pur cristal de son propre miroir :

    Et, près du feu qui meurt, ce sont des grâces nues,
    Des départs de vaisseaux haut voilés dans l’air vif,
    L’âpre suc d’un baiser sensuel et pensif,
    Et des soleils couchants sur des eaux inconnues


    Magny-lès-Hameaux, octobre 1894




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