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    Alfred de Vigny

    Une âme devant Dieu

    Dis-moi la main qui t’enlève,
    Ô mon âme, et dans un rêve
    Te montre la vérité !
    D’où vient qu’un songe m’emporte
    Jusques au seuil de la porte
    Qu’entr’ouvre l’Éternité
    C’est ici que l’homme arrive ;
    Oui, je reconnais la rive
    Jusqu’où le rocher dérive
    Roulé dans le flot des temps ;
    J’entre dans le port de l’âme :
    Je vais m’asseoir dans la flamme ;
    La place que j’y réclame
    Est vide depuis longtemps.

    Dieu, je te vois ! Comment pénétrer dans ta gloire ?
    Détourne mes regards, ne m’anéantis pas ;
    Je sens mon front brisé par ton char de victoire :
    Dans cet air lumineux qui soutiendra mes pas ?

    Je vois tout l’univers rajeuni par la tombe
    Des êtres infinis que je ne puis compter
    О mon Dieu, je succombe,
    Laisse-moi m’arrêter.
    Je m’arrête pour me plaindre
    De ce monde d’où je sors ;
    Toujours espérer et craindre ;
    Et moi je pleurais les morts !
    Ne savais-je pas encore
    Quel esprit devait éclore
    De cette éternelle aurore
    Qui vit l’Éternel créant ?
    Qu’avec toi l’âme ravie
    Pour jamais est assouvie
    Que dans la Mort est la Vie,
    Que la Vie est le Néant ?

    Je le savais dès l’enfance,
    Je le disais dans mes nuits ;
    Et l’espoir de ta présence
    Calme seul tous mes ennuis.
    Cependant j’aimais la vie
    Comme un marin ses dangers,
    Comme l’Esquimau n’envie
    Nul des soleils étrangers ;
    Comme un Chartreux aime l’ombre,
    Aime sa cellule sombre
    Et, libre, y revient toujours ;
    Comme un lévrier fidèle
    Caresse la main cruelle
    Qui le frappe tous les jours.

    Aujourd’hui je sais tout, je te vois, et j’embrasse
    L’avenir qui n’est pas, le passé qui n’est plus,
    Les temps qui doivent naître et les temps révolus.

    Je conçois l’espace,
    L’univers s’efface
    Et devant ta face
    Tout s’unit en toi.
    Je vois tout s’y peindre,
    Je vois, sans les plaindre,
    Les mondes s’éteindre
    Et fuir devant moi.

    Je puiserai ma force en ta force suprême,
    J’ose marcher vers toi, j’ose lever les yeux.
    Un seul de tes regards me révèle à moi-même :
    Je m’étais échappé de ton sein radieux,

    Perdu comme l’étincelle
    Qui, dans les nuits de l’été,
    Blanche et légère parcelle
    D’une immortelle clarté,
    Quitte le chœur des étoiles,
    Des vapeurs perce les voiles,
    Et tombe sur les roseaux
    Et s’éteint au fond des eaux.

    Laisse-moi pour un jour retourner sur la terre :
    Là, sur mon marbre noir, sous ma croix solitaire,
    J’irai m’asseoir en souriant ;
    Dire : « Je vis toujours » à ceux qui me regrettent,
    Qui, posant leurs genoux sur les fleurs qu’ils y jettent,
    Viennent me pleurer en priant.




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