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    André Theuriet

    Amoroso

    Je la rencontre à la même heure,
    Seule, sur le pont, chaque jour.
    Elle regagne sa demeure
    Au bord de l’eau, dans le faubourg.

    Elle a vingt ans au plus, sa mise
    Est simple, mais charmante à voir :
    Sur les plis de sa robe grise
    Tombe une mante de drap noir ;

    Son bonnet, dont le vent chiffonne
    Les ruches aux tuyaux roulés,
    Découvre une oreille mignonne
    Et d’épais cheveux crêpelés.

    Elle est petite, maigre et brune ;
    Sous de longs cils, son regard luit,
    Comme un féerique clair de lune,
    Parmi les vapeurs de la nuit.

    Sa bouche vermeille et charnue
    Prend une étrange expression
    De désir et de retenue,
    D’ironie et de passion.

    Les contours de son sein pudique
    Et sa joue aux tons veloutés
    Dans le pur marbre pentélique
    Semblent avoir été sculptés.

    Près des types de la Touraine,
    Son air, son profil gracieux
    De médaille syracusaine
    Font un contraste merveilleux.

    Vient-elle des îles qu’arrose
    La mer de Grèce aux tièdes eaux,
    Ou, plante rare, est-elle éclose
    Dans les doux vergers tourangeaux ?…

    Je ne sais. Elle est ouvrière ;
    Sur cette place, chaque soir,
    Elle passe, sauvage et fière,
    En revenant de son ouvroir.

    Je la contemple et je l’admire,
    Mon cœur la désire tout bas ;
    Je la suis de loin sans rien dire,
    Elle ne me voit même pas…

    Puis, comme un écolier timide,
    Je reviens par les quais déserts.
    La nuit resplendit.
    Mon cœur vide
    Se gonfle de regrets amers.

    Et les étoiles qui tressaillent
    Et semblent se chercher toujours,
    Les claires étoiles se raillent
    De mes platoniques amours.




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