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    Library / Literary Works

    André Theuriet

    Au Coin du Feu

    I. — LE JARDIN DE LA GRAND’TANTE.

    Sur la margelle grise
    Du perron, un cytise
    Semait ses fleurs au vent ;
    À la saison nouvelle,
    Une mère hirondelle
    Gazouillait sous l’auvent.

    Au bas, croissait plein d’ombre
    Un fouillis frais et sombre
    D’arbres verts ou fruitiers :
    Fleurs s’unissant aux feuilles,
    Vignes et chèvrefeuilles,
    Lilas et framboisiers.

    Là, venait la grand’tante,
    Droite encore et riante
    Malgré quatre-vingts ans ;
    Elle passait alerte ;
    Sous la charmille verte
    Brillaient ses cheveux blancs.

    Elle avait en mémoire
    Mainte charmante histoire.
    — Les souvenirs joyeux,
    Disait-elle sans cesse,
    Hé ! c’est notre jeunesse,
    À nous autres, bons vieux.

    Elle aimait à voir luire
    Partout un clair sourire,
    Sur les fleurs, sur les fronts.
    Pour elle, c’était fête
    Quand sa calme retraite
    S’emplissait de chansons.

    Quand vint sa dernière heure,
    Mai para la demeure
    Du faîte jusqu’au seuil ;
    Tous les lilas s’ouvrirent,
    Et leurs grappes couvrirent
    Le drap de son cercueil.

    Perché près de la porte,
    Le pinson à la morte
    Modula son adieu,
    Et de chants escortée,
    La chère regrettée
    Monta gaîment vers Dieu.

    Au vieux logis fidèle,
    Dans ce jardin plein d’elle,
    Moi, j’ai grandi, vécu ;
    Rêves, amour, étude,
    Dans cette solitude
    Tout mon cœur a tenu.

    Là, mes rimes sont nées ;
    Là, je les ai glanées
    À l’ombre des fourrés,
    Dans les fleurs du parterre,
    Sous la mousse et le lierre
    Des murs gris délabrés.

    Je t’apporte, ô grand’tante,
    Ma gerbe verdissante,
    Et comme le pinson,
    Sur le seuil de la porte,
    Je viens dire à la morte
    Ma meilleure chanson.

    II. — MARGUERITE.

    J’avais, quand je la vis, mes dix-huit ans à peine,
    Nous nous réunissions un soir chaque semaine
    Chez un des grands parens, et là, tous les jeudis,
    Fillettes de seize ans, écoliers étourdis,
    Nous nous donnions le bal avec la comédie.
    Jusqu’au matin, la valse avec sa mélodie
    Nous emportait, joyeux danseurs, loin du regard
    Des tantes qu’un boston retenait à l’écart ;
    Les portraits des aïeux, du haut des boiseries,
    Seuls, écoutaient d’un air pensif nos causeries.
    — Elle était bien jolie, alors qu’un soir d’été
    Sa mère l’amena : — teint frais et velouté,
    L’air enjoué, des yeux de violette éclose,
    De bruns cheveux crêpés, et sous sa robe rose
    Une poitrine émue et se gonflant souvent.
    Elle avait dix-sept ans et sortait du couvent ;
    À voir son fin regard, ses lèvres de cerise,
    Sa coiffure piquante et sa grâce, on l’eût prise
    Pour une des beautés du siècle du régent.
    Elle parla. J’entends encor sa voix d’argent,
    Et je crois voir encor sur sa bouche entr’ouverte,
    Comme un oiseau posé sur une branche verte,
    Son sourire mutin passer et voltiger,
    Toujours plus enchanteur et toujours plus léger.
    Je restais ébloui. Tout à coup la musique
    Fit aux valseurs épars un appel énergique ;
    Vers elle j’accourus, le cœur tremblant d’émoi,
    Mais, hélas ! deux danseurs accouraient avec moi.
    Elle nous regarda d’un air plein de malice ;
    Comme un bouton de rose au sortir du calice,
    Sa bouche souriante alors s’épanouit,
    Et, nous ensorcelant d’un regard, elle dit :
    — Je ne sais qu’un moyen de finir la bataille,
    Il vous faudra tirer à la plus courte paille.
    Nous battîmes des mains ; d’un doigt prompt et coquet
    Mutilant sans pitié les fleurs de son bouquet,
    Elle arracha gaîment trois rameaux de pervenche
    Qu’elle tint à demi cachés dans sa main blanche :
    — Çà, que chacun, fit-elle, en tire un à son tour !
    Les brins pris, ô bonheur ! je tenais le plus court…
    Je sentis dans ma main plier sa taille frêle,
    Et la valse au doux vol nous ravit sur son aile.
    L’orchestre soupirait un vieil air allemand
    Dont le rhythme naïf nous berçait mollement ;
    Son cœur battait, ses yeux brillaient, sa main captive
    Sur la mienne déjà s’appuyait moins craintive.
    La valse était finie, et nous valsions toujours…
    O première jeunesse ! ô premières amours !

    III. — INTERIEUR.

    Le salon est paisible. Au fond, la cheminée
    Flambe, par un feu clair et vif illuminée.
    Au dehors le vent siffle, et la pluie aux carreaux
    Ruisselle avec un bruit pareil à des sanglots.
    Sous son abat-jour vert, la lampe qui scintille
    Baigne de sa clarté la table de famille ;
    Un vase plein de fleurs de l’arrière-saison
    Exhale un parfum vague et doux comme le son
    D’un vieil air que fredonne une voix affaiblie.
    Le père écrit. La mère, active et recueillie,
    Couvre un grand canevas de dessins bigarrés,
    Et l’on voit sous ses doigts s’élargir par degrés
    Le tissu nuancé de laine rouge et noire.
    Assise au piano, sur les touches d’ivoire
    La jeune fille essaie un thème préféré,
    Puis se retourne et rit. Son profil éclairé
    Par un pâle rayon est fier et sympathique,
    Et si pur qu’on croirait voir un camée antique.
    Elle a vingt ans. Le feu de l’art luit dans ses yeux,
    Et son front resplendit, et ses cheveux soyeux
    Tombent en bandeaux bruns jusque sur ses épaules.

    Comme un vent frais qui court dans les branches des saules,
    Ses doigts, sur l’instrument tout à l’heure muet,
    Modulent lentement un air de menuet,
    Un doux air de Don Juan, rêveuse mélodie,
    Pleine de passion et de mélancolie…
    Et tandis qu’elle fait soupirer le clavier,
    Le père pour la voir laisse plume et papier,
    Et la mère, au milieu d’une fleur ébauchée,
    Quitte l’aiguille et reste immobile et penchée.
    Et s’entre-regardant, émus, émerveillés,
    Ils contemplent tous deux avec des yeux mouillés
    La perle de l’écrin, l’orgueil de la famille,
    La vie et la gaîté de la maison, — leur fille.

    IV. — BLANCHE.

    I

    Nous habitions Marly, le plus gai des villages,
    Plein de grands souvenirs et de frais paysages.
    Son père, le meilleur vigneron du pays,
    Près de notre maison possédait un logis.
    Je vois encor la cour et les pavés humides,
    Et les deux espaliers taillés en pyramides.
    Les toits étaient bien noirs et les murs étaient vieux,
    Mais Blanche éclairait tout d’un rayon de ses yeux,
    Ses yeux bleus si vivans qu’on eût dit des paroles !
    Son visage était pâle, au bord de ses épaules
    De bruns cheveux bouclés tombaient. — Dès le matin,
    Elle venait me prendre, et vite au grand jardin !
    Oh ! les bons jeux d’enfans, les folles équipées !…
    Nous faisions des palais avec des fleurs coupées.
    Et des brins de pêcher, qu’à notre désespoir
    Nous retrouvions fanés dans le sable le soir.
    Souvent nous cheminions le long des plates-bandes,
    Pensifs et jalousant les abeilles gourmandes
    Qui butinaient sans peur autour des chasselas,
    Beaux grains ambrés, trop hauts pour nos tout petits bras ;
    Mais septembre amenait vendange et vendangeuses ;
    Il fallait voir alors nos mines tapageuses,
    Lorsqu’on nous voiturait sur les chariots tremblans,
    Entre deux lourds paniers de raisins noirs et blancs…

    Au sortir de la messe, un matin de dimanche,
    Ma mère dit : — Allons, fais tes adieux à Blanche ;
    Tu ne la verras plus ; nous quittons le logis,
    Et nous nous en allons dans un autre pays.
    J’avais le cœur bien gros ; mais faire un long voyage,
    Voir un autre pays, c’était comme un mirage,
    Comme un conte de fée,… et je me consolai.
    Bientôt l’appartement fut vide et démeublé.
    À l’heure des adieux, dans la demeure vide,
    Je vis Blanche en un coin regardant, l’œil humide,
    Les apprêts du départ. — Ah ! fit-elle en pleurant,
    Tu t’en vas !… Je lui pris la main, et la serrant :
    — Non, non, ne pleure pas ! lui dis-je, sois tranquille,
    Lorsque je serai grand, je quitterai la ville ;
    Je viendrai travailler avec vos vignerons,
    Nous louerons une vigne, et nous nous marierons.

    II

    Seize ans s’étaient passés, quand un matin d’automne
    Je revis les coteaux où Marly s’échelonne.
    La brise déchira les voiles du brouillard,
    Et le pays natal parut à mon regard.
    Les oiseaux des vergers chantaient ma bienvenue,
    Quand, le cœur palpitant, je gravis la grand’rue
    Ainsi qu’un amoureux au premier rendez-vous.
    Je marchais, m’enivrant de ce charme si doux
    De revoir les objets et de tout reconnaître,
    Là ce vieux pan de mur, ici cette fenêtre.
    Les souvenirs vibraient en moi-même, et leur voix
    Semblait le son lointain d’un cor au fond des bois.
    À mes yeux, tout à coup la demeure de Blanche
    Montra ses murs noircis et son pignon qui penche.
    Je frappai doucement. Pour l’ami revenu,
    La grand’porte s’ouvrit avec un bruit connu.
    — Entrez ! dit une voix. Et dans la cour humide,
    Dont les toits encadraient un coin d’azur limpide,
    Je vis le vigneron taillant des échalas.
    — Bonjour, monsieur !… Mais non, je ne me trompe pas,
    C’est lui ! s’écria-t-il ; Blanche, Blanche, viens vite,
    Viens voir un revenant qui nous fait sa visite !…
    Sur le seuil éclairé par un rayon vermeil,
    Blanche apparut soudain, rieuse, en plein soleil,
    Blanche, belle à souhait. La féconde jeunesse
    De son enfance avait tenu chaque promesse.
    Le frais bouton d’avril s’était épanoui,
    Et de sa floraison l’œil était ébloui.
    Ses cheveux noirs ondés et roulés en torsade,
    Ses yeux bleus, son teint mat, ses lèvres de grenade,
    Son cou blanc et son sein gonflé de purs trésors,
    Tous ces charmes formaient de si parfaits accords,
    Que je bénis tout bas Dieu, qui créa les roses
    Et qui mit dans un corps tant d’admirables choses.
    Après les questions et les étonnemens,
    Et tous les souvenirs de nos bonheurs d’enfans,
    Elle me conduisit dans sa petite chambre,
    Qu’emplissait de clartés le soleil de septembre,
    Et me fit raconter mes rêves, mes projets.
    Alors, comme, à mon tour, moi je l’interrogeais :
    — Oh ! dit-elle, pour moi, la vie est radieuse,
    Tous mes vœux sont comblés, et je suis trop heureuse !…
    Puis, plus bas, rougissant et me serrant la main :
    — J’aime un brave garçon que j’épouse demain.

    III

    Le lendemain matin, la blanche mariée,
    Par le gai carillon des cloches saluée,
    Arriva dans l’église au bras de son époux,
    Un robuste jeune homme, à l’air pensif et doux.
    Des jasmins odorans brillaient sous ses longs voiles,
    Et dans ses cheveux noirs on eût dit des étoiles.
    Sereine et recueillie, elle s’agenouilla ;
    Au travers des vitraux le soleil scintilla,
    L’orgue vibra, l’encens, ainsi qu’une auréole,
    Monta dans l’air avec la divine parole.
    Les prières, portant à Dieu leurs urnes d’or,
    Bourdonnaient sur la nef et prenaient leur essor.
    Jeunesse, hymen, amour, riches sources de vie,
    Tout le bourg célébrait votre fête bénie !

    Un festin, apprêté sous l’abri du pressoir,
    Unit les conviés à l’approche du soir,
    Et quand vint le moment où le vin vieux abonde,
    Où pommes et raisins circulent à la ronde,
    Chacun, levant son verre et trinquant de son mieux,
    Pour les époux porta son toast et fit ses vœux.
    — Que puis-je souhaiter pour rendre encor plus douce
    La route où vous marchez sur les fleurs et la mousse ? —
    Dis-je à Blanche. Un sourire éclaira son œil bleu,
    Elle resta muette et réfléchit un peu.
    Puis un clair vermillon, pudeur de violette,
    Passa sur son front pur : — Tout ce que je souhaite
    Encor, murmura-t-elle, eh bien !… c’est un enfant,
    Un garçon rose et frais, bien fort et bien méchant !

    Dès l’aube, au lendemain, je quittai le village
    Et je fis mes apprêts pour un lointain voyage.
    Elle, pendant ce temps, dans un cercle d’amour
    Vivait, chantait, rêvait, plus belle chaque jour,
    Et toujours de l’enfant dans son rêve occupée,
    Elle préparait tout pour la chère poupée :
    Les mignons souliers blancs, les langes, le berceau.
    Quand avril dans les champs fleuronne, ainsi l’oiseau
    Vole par les sentiers, et s’agite, et ramasse
    Le fin duvet du nid dont il marqua la place.
    — Il s’appellera Paul, disait-elle, je veux
    Qu’il ait de grands yeux bruns, avec de blonds cheveux.

    L’an d’après, j’accourus au village, un dimanche,
    Et j’ouvris la grand’porte, et je demandai Blanche…
    Mais le père vint seul : Blanche, le mois d’avant,
    Était morte en mettant au monde son enfant.




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