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    André Theuriet

    La Brodeuse

    La matinée est froide, octobre va finir.
    La brodeuse là-haut travaille à sa croisée,
    D’où l’on voit scintiller les toits blancs de rosée
    Et les bois des coteaux à l’horizon jaunir.
    Elle n’a pas trente ans encor ; mais la jeunesse
    Que ne dorent l’amour ni la maternité
    Demeure sans parfum, sans duvet velouté,
    Comme un fruit que jamais le soleil ne caresse.

    Son front pâle est plissé, ses yeux se sont flétris
    À veiller aux lueurs d’une lampe malsaine ;
    Sa taille s’est voûtée, et sa robe de laine
    Flotte autour de son sein aux contours amaigris.

    Hier, pour achever ce lot de broderies,
    Elle a passé la nuit, ses doigts sont engourdis ;
    Et ce matin voici que le fin plumetis
    Déroule sa guirlande aux torsades fleuries.

    Que de maux ont coûtés ces festons délicats !
    Combien de points, combien de lentes aiguillées !
    Que de larmes aussi promptement essuyées !
    Celle qu’ils vont parer ne s’en doutera pas…

    Cette blanche batiste, où la féconde aiguille
    Sème de frais bouquets aux feuillages menus,
    Ornera le corsage et les bras demi-nus
    De quelque insoucieuse et folle jeune fille.

    Dans le bal bourdonnant, quand la valse, le soir,
    Fera tourbillonner la gaze et la dentelle
    Autour de son corps souple et penché : « Qu’elle est belle ! »
    Diront les jeunes gens accourus pour la voir…

    Et toi, pendant ce temps, brodeuse résignée,
    Tu sentiras des pleurs voiler ton regard bleu,
    Et dans ton cœur meurtri s’éteindre à petit feu
    Ta frêle vie, hélas ! si durement gagnée.

    Elle est lasse et malade. Un âpre accès de toux
    L’épuise… Elle interrompt ce travail qui la tue,
    Et ses grands yeux souffrans errent dans l’étendue…
    Le soleil luit plus clair, et le vent est plus doux.

    Lentement, mollement, dans l’air qui les balance,
    De longs fils argentés, plus fins que des cheveux,
    Montent, montent, légers, ondoyans, vaporeux ;
    Avec leurs écheveaux le vent joue en silence.

    Ils passent. Quelques-uns attachent aux rameaux
    Leurs transparens tissus, flottantes broderies ;
    D’autres vont se mêler aux herbes des prairies.
    Tout leur est un appui : chaumes, buissons, roseaux.

    Un insecte, une pâle et mignonne araignée,
    Ourdit ces fils soyeux à l’heure des amours ;
    Puis, comme une épousée aux gracieux atours,
    Elle part suspendue à ce char d’hyménée.

    Elle vole au-devant de l’époux désiré…
    Le voici ! — Brins de joncs, tendres pousses des frênes,
    Prêtez-leur un asile, et vous, tièdes haleines,
    Bercez dans un rayon le couple énamouré !

    L’amour !… Et toi, brodeuse, es-tu donc condamnée
    À ne trouver jamais celui que tu rêvas ?
    Ton voile nuptial, ne le coudras-tu pas,
    Brodeuse, chaste sœur de la grise araignée ?

    Qui l’aimerait ? Son cœur repousse fièrement
    Ces vénales amours, fausses comme l’ivraie,
    Qui laissent le dégoût au lâche qui les paie
    Et souillent à jamais la femme qui les vend.

    Qui l’aimerait ? — Un pauvre et rude mercenaire ?
    Mais l’amour prend du temps, et chaque instant perdu
    Coûte un morceau de pain ; l’amour est défendu
    À qui soir et matin lutte avec la misère.

    Non, elle traînera ses jours laborieux
    Dans son réduit glacé, sans enfans, sans caresse,
    Jusqu’à l’heure où, tombant sous son faix de détresse,
    Aux clartés de ce monde elle clora ses yeux.

    Là-bas où le gazon sur les tombes récentes
    Se gonfle, son corps las ira se reposer,
    Et les fils de la Vierge accourront s’enlacer
    Sur sa fosse, parmi les herbes jaunissantes ;

    Mais, comme une alouette à l’aube part des blés
    Et dans l’air matinal s’élance harmonieuse,
    Son âme, fleur de lis suave et radieuse,
    Son âme montera vers les cieux étoilés…




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