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    André Theuriet

    Les Chants du renouveau

    I. — Sur une fleur sèche.

    I.

    Au fond d’un vieux livre latin,
    Solitaire et cachée,
    Souvenir d’un amour lointain,
    Petite fleur séchée,
    Je te retrouve, et, — qui l’eût dit ? —
    Sous ma poitrine émue,
    Mon cœur troublé, mon cœur bondit,
    O pervenche, à ta vue.

    Comme en un rêve, je revois
    Les yeux bruns, la main blanche
    De celle qui parmi les bois
    Te cueillit un dimanche.
    Je l’ai bien adorée… Hélas !
    De nos amours si fraîches
    Voilà ce qui reste ici-bas :
    De pauvres feuilles sèches !

    C’était un matin de printemps :
    Au bord d’une clairière,
    Sous une ronce aux brins pendans,
    Tu naissais la première ;
    Je lui dis : — M’aimez-vous vraiment ?…
    Et pour toute réponse
    Elle glissa son bras charmant
    Sous les feuilles de ronce.

    Et tu fus à moi, chère fleur,
    Tandis que l’ingénue
    Marchait, confuse et l’œil rêveur.
    Le long de l’avenue…
    O frais aveux, troubles du cœur,
    Timide rêverie,
    Vous n’étiez qu’un songe moqueur
    Et qu’une tromperie !…

    II.

    Non, non, dans mon cœur les vieilles souffrances
    D’un amour brisé
    N’ont pas déposé d’aigres souvenances,
    Tout s’est apaisé ;
    Je ne maudis point les chaînes légères
    Qui nous ont unis,
    Je ne me souviens que des heures chères,
    Et je les bénis.

    Même dans ses maux, même dans ses larmes.
    L’amour est si beau,
    Qu’il conserve encor sa grâce et ses charmes
    Au fond du tombeau.
    Tout est doux en lui, caresse ou blessure,
    Sourires ou pleurs,
    Et les tertres verts de sa sépulture
    Se couvrent de fleurs.

    Ses yeux étaient faux, plus faux que les songes
    Et que les romans,
    Ses lèvres mentaient ; mais quels gais mensonges
    Et quels mots charmans !
    Tous ces mots d’amour, tendres et trop rares,
    Je les sais encor ;
    Je les ai gardés comme les avares
    Gardent un trésor.

    Parce qu’en hiver la neige s’amasse
    Dans le bois flétri,
    Est-il donc moins vrai qu’à la même place
    Des fleurs ont souri ?
    Et parce que l’arbre a des feuilles sèches,
    Faut-il oublier
    La jeune ramée et les robes fraîches
    Du printemps dernier ?

    II. — La chanson des adieux.

    Le pauvre amoureux dit à l’Amour qui s’envole :
    « Ne fuis pas, reste encor.
    O mon unique bien, ma seule et chère idole,
    Ferme tes ailes d’or.

    « N’ as-tu pas dans mon cœur la place la plus douce ?
    N’y reposes-tu pas
    Comme l’oiseau des bois au fond d’un nid de mousse ?
    Hélas ! et tu t’en vas…

    « Reste !… Dans la maison solitaire et tranquille,
    Assise au bord de l’eau,
    N’étions-nous pas heureux, quand la nuit sur la ville
    Descendait du coteau ?

    « Ne te souvient-il plus des soirs passés ensemble,
    Des belles nuits d’été ?
    Reste ! Ne vois-tu pas cette larme qui tremble
    Dans mon œil attristé ?

    « Mais tu ne m’entends pas, et ton aile s’agite ;
    Tu brûles de partir ;
    Peu t’importent mes pleurs, et mon cœur qui palpite.
    Et ce qu’il va souffrir ? »

    — L’Amour, en s’enfuyant, à l’amoureux qui pleure.
    Dit : « Pourquoi t’ affliger ?
    Enfant !… N’ai-je point fait ta jeunesse meilleure,
    Ton fardeau plus léger ?

    « Dans ton cœur endormi n’ai-je pas fait éclore
    Mille pensers nouveaux,
    Qui se sont envolés comme un essaim sonore
    D’abeilles et d’oiseaux ?

    « Ne t’irrite donc point, des misères humaines
    Si je subis la loi.
    Et si je cours sécher les pleurs, guérir les peines
    De plus tristes que toi.

    « Adieu ! je vais charmer les rêveurs solitaires
    Dévorés de désirs ;
    Je laisse auprès de toi les seuls amis sincères,
    Les joyeux souvenirs.

    « Un jour je reviendrai frapper à ta fenêtre !
    Hélas ! peut-être en vain…
    Qui sait si tu voudras alors me reconnaître
    Et me tendre la main ? »

    III. — La ménagère.

    Quand paraît la ménagère,
    La lumière
    Semble entrer dans la maison ;
    Le feu pétille et s’agite,
    Et plus vite
    L’oiseau siffle sa chanson.

    Dans le verger, chaque branche
    Plie et penche
    Vers elle sa tige en fleur.
    À son toit les hirondelles
    Sont fidèles ;
    Leurs nids lui portent bonheur.

    Dans le logis, — son royaume, —
    Tout embaume ;
    On sent une bonne odeur
    D’abondance et de bien-être
    Qui pénètre
    Et qui réjouit le cœur.

    La ménagère est aimante
    Et charmante :
    Elle a la grave beauté
    Des mauves, des scabieuses
    Si rêveuses.
    Et des pâles roses-thé.

    Comme un myosotis qui pousse
    Dans la mousse,
    Son œil bleu luit doucement ;
    Dans son bonnet sa figure,
    Calme et pure,
    S’encadre discrètement.

    Sa chevelure châtaine
    Compte à peine
    Quelques légers fils d’argent,
    Blanche neige inaperçue
    Et fondue
    Sur l’arbre encor verdissant.

    Elle travaille à sa tâche
    Sans relâche,
    Assise au seuil du jardin ;
    Au linge de la famille
    Son aiguille
    Redonne un lustre soudain.

    Et sur sa tête attentive
    Et pensive
    Les grands lilas font glisser
    Leurs brins chargés de fleurettes
    Violettes,
    Comme pour la caresser.

    IV. — La jeunesse.

    à M. E. Develle.

    À quinze ans, solitaire et sauvage écolier,
    Je restais enfermé parfois un jour entier
    Au fond d’un vieux jardin planté par ma grand’tante.
    C’était pendant l’été ; mobile et chatoyante.
    Trouant par mille endroits l’abri des noisetiers,
    La lumière pleuvait sur l’herbe des sentiers.
    Le long des framboisiers qui bordaient les allées.
    Des papillons passaient comme des fleurs ailées ;
    Les lis étincelaient, les œillets empourprés
    Ployaient sous le fardeau des bourdons bigarrés ;
    Mais je ne voyais rien, ni rayons ni verdure.
    Attentif et penché sur le mur de clôture,
    Je regardais passer dans le chemin du bas
    De joyeux jeunes gens se tenant par le bras :
    Les filles en chapeau de paille, en robe blanche,
    Et les garçons vêtus des habits du dimanche.
    Vers le soir, j’écoutais les accords argentins
    Des quadrilles cachés sous les bosquets voisins,
    Et, maudissant tout haut le collège et l’étude.
    Je prenais en pitié ma verte solitude,
    Et je disais, le cœur plein de trouble et d’émoi :
    « O jeunesse, ô piintemps, quand viendrez-vous pour moi ? »
    Elle vint, la jeunesse ardemment désirée,
    Elle vint, souriante et de lilas parée.
    Un matin, j’entendis à l’horloge du Temps
    Tinter le carillon qui sonnait mes vingt ans.

    Avide de plaisir, d’amour et de folie.
    Je me précipitai sans crainte dans la vie.
    Comme un enfant qui cueille un bouquet dans les blés
    Et qui court sans souci des grands épis foulés.
    Oh ! le charmant début et la vermeille aurore !…
    Te souvient-il, ami, te souvient-il encore
    De ces joyeux soupers où nos éclats de voix
    Avec le vent du soir s’envolaient dans les bois ?…
    Un jour, l’amour entra par ma porte entr’ouverte ;
    C’était au mois de mai, la terre était couverte
    De cerisiers en fleurs, de muguets et de nids…
    Printemps épanoui, beaux jours, soyez bénis.
    Et qu’elle soit bénie aussi, la bien-aimée
    Qui deux ans dans sa main tint mon âme enfermée !
    Que Dieu, dans cette vie aux détours incertains,
    La conduise toujours par les plus frais chemins !
    Ah ! c’était le bonheur, quand le soir, à la brune,
    Palpitant et tout fier de ma bonne fortune,
    Je prenais le sentier qui mène à sa maison :
    La lune en souriant montait à l’horizon.
    On entendait au loin les rumeurs de la ville ;
    Elle, près de sa vitre, attentive, immobile,
    Reconnaissant mon pas, accourait sur le seuil,
    Puis avec des baisers me faisait doux accueil.
    L’amour jusqu’au matin nous berçait sur son aile,
    Et nous nous promettions une ivresse éternelle.
    Tout finit cependant, en un jour tout sombra,
    Le nœud qui nous liait soudain se déchira.
    Quoi ! deux ans de tendresse, et puis l’indifférence !
    De courts et froids adieux, puis l’oubli morne, immense,
    Qui, pareil à la neige aux flocons blancs et lourds.
    Tombe en s’épaississant sur nos meilleurs amours !
    — Ah ! ce n’étaient pas là ces heures de délice
    Qu’autrefois je rêvais, pauvre écolier novice,
    Quand j’écoutais, penché sur le mur du jardin,
    L’orchestre qui chantait dans le bosquet voisin !…
    Et tout désespéré, le cœur plein d’ironie,
    J’allais calomniant la jeunesse bénie,
    Et pliant sous le poids du doute et de l’ennui,
    Pâle et triste au sortir du songe évanoui,
    Je m’écriais, en proie à ma douleur amère :
    « Adieu donc, fuis bien loin, ô jeunesse, ô chimère ! »

    Un matin, fatigué, soucieux et chagrin,
    J’errais à travers bois. L’automne à son déclin
    Sur toute la forêt jetait sa brume grise,
    Les bouleaux frissonnaient au souffle de la bise ;
    Çà et là, dans les brins desséchés d’un buisson,
    Chantait quelque oiselet de l’arrière-saison.
    Et la pluie en tombant faisait rouler ses larmes
    Sur les hêtres rouilles, les chênes et les charmes.
    Tout à coup par le vent le brouillard déchiré
    Laissa voir en s’ouvrant le ciel pur, azuré ;
    Le soleil se glissa par cette humble trouée,
    Et puis tout resplendit : la terre et la nuée ;
    Chaque goutte de pluie en perle se changea.
    Seule, une vapeur d’or sur le bois surnagea ;
    L’arc-en-ciel, unissant deux cimes opposées,
    Décrivit une courbe aux teintes irisées ;
    Et je crus, aux rayons de ce soleil vainqueur,
    Voir au fond du taillis s’agiter comme un chœur
    De fantômes voilés, visions radieuses
    Dont j’entendais vibrer les voix harmonieuses :

    « Enfant, prête l’oreille aux chansons de l’espoir,
    Abandonne le doute et les tristes paroles ;
    La jeunesse n’est pas un bouquet d’herbes folles
    Qu’on cueille le matin et qu’on jette le soir.

    a Être jeune, c’est croire et combattre, — c’est vivre ;
    Dans ton poème ardent, plein d’âme et d’action,
    Le chant des voluptés et de la passion,
    jeunesse, ne tient qu’un des feuillets du livre…

    « Regarde ces grands bois par l’automne effeuillés :
    Hier encor, l’été fleurissait chaque branche,
    Aujourd’hui tout est mort ; demain, épaisse et blanche,
    La neige couvrira les rameaux dépouillés.

    « Mais vienne le printemps, aux cris de l’hirondelle
    Tu verras chaque brin revivre et verdoyer ;
    L’hiver est un sommeil, au souffle printanier
    La terre se réveille et plus jeune et plus belle.

    « La vie est ainsi faite… Après la volupté
    Les désillusions, la tristesse et le doute !
    Et le calice amer se vide goutte à goutte,
    Mais on retrouve au fond joie et sérénité.

    « O jeunes amoureux de la mélancolie,
    Le songe est achevé. Debout, pâles rêveurs !
    Les ardeurs du combat tariront vos douleurs,
    Laissez dormir les morts et courez à la vie.

    « Les vivans à la vie et les morts au tombeau !…
    Le désespoir n’est grand, la douleur n’est sublime
    Que s’ils font refleurir au cœur de leur victime
    Un amour plus puissant, un courage plus beau.

    « Lorsque, dans la montagne à la cime fuyante,
    Le voyageur gravit les plus rudes sentiers,
    Son front brûle, et le roc ensanglante ses pieds,
    Mais il n’interrompt pas sa course haletante ;

    « Car il sait que là haut un spectacle l’attend,
    Qui paiera largement ses sueurs et sa peine.
    Il arrive,… éperdu, sans force et sans haleine,
    Devant lui l’horizon se déroule éclatant :

    « Les hauteurs, les vallons, les forêts, — tout un monde ;
    Et dans les brumes d’or des lointains onduleux,
    Un fleuve aux flots vermeils, une ville aux toits bleus,
    Vaporeuse cité qu’un blond soleil inonde…

    « Jeune homme, au cœur saignant de récentes douleurs,
    Pourquoi désespérer, blasphémer et maudire ?
    Pourquoi tomber sans force à mi-chemin, et dire :
    « Adieu, jeunesse, amour, spectres faux et railleurs ? »

    « Marche, monte toujours, plus haut, plus haut, sans cesse !
    Vois-tu les grands sommets s’illuminer soudain ?…
    Cette pure clarté, c’est ton éclat divin,
    O jeunesse de l’âme, éternelle jeunesse !… »




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