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    André Theuriet

    Récits et paysages

    I. — A LA LISIÈRE DU BOIS.

    Le soleil s’est levé, la forêt tout entière,
    Vermeille encor de son premier baiser,
    Frissonne, et les oiseaux saluant la lumière,
    Dans les arbres en fleur qui bordent la lisière,
    Les gais oiseaux commencent à jaser.

    Sur les ronces qui fleuronnent
    De légers papillons bleus
    Tourbillonnent ;
    À l’entour des saules creux,
    Les mouches à miel bourdonnent
    Comme des écoliers quand le maître est loin d’eux.

    Jeunes rayons, jeune ramure,
    La jeunesse est partout ! O bois de mon pays,
    O forêt, sombre mer aux vagues de verdure,
    Sources en pleurs, ravins profonds, épais taillis,
    Je vous retrouve enfin, ô mes amis d’enfance !
    Dans vos rameaux épanouis,
    J’entends encor cet air de fête et d’espérance
    Dont vous m’avez bercé, grands bois de mon pays !

    Sous la voûte des feuillées
    De rosée encor mouillées,
    Je crois voir à travers les vapeurs du matin
    Ma première jeunesse en larmes, qui se lève
    Et qui me crie en me tendant la main :
    — Qu’as-tu fait de notre beau rêve ?…

    Oh ! mes chers compagnons, mes rêves de vingt ans,
    Sont dispersés à tous les vents.
    Vous dirai-je leurs aventures ?…
    À quoi bon ? Pourquoi-revenir
    Sur un amer souvenir ?
    Pourquoi rouvrir de saignantes blessures ?

    Non, mes amis, apprenez seulement
    Que celle que j’aimais m’a trompé lâchement.
    Son nom flétri reste dans ma mémoire,
    Comme au fond d’un cercueil un cadavre hideux,
    Et je veux oublier son odieuse histoire
    Dans les détours de vos sentiers ombreux ;

    Car je reviens à vous, ô seuls amis fidèles,
    Érables, noisetiers feuillus,
    Sveltes bouleaux aux branches frêles,
    Je ne veux plus vous quitter, jamais plus !

    Vous me consolerez ; l’ombre de la futaie
    Calmera la douleur dont mon cœur est rempli,
    Et les petits oiseaux qui nichent dans la haie
    Me chanteront la chanson de l’oubli.

    Errant dans les herbes baignées
    Par l’humidité du matin,
    Au fond des traînes imprégnées
    De parfums de sauge et de thym,
    J’écouterai le chant lointain
    Des bûcherons et des cognées.

    J’épierai les enfans épars dans les halliers
    Et les taillis rouges de fraises,
    J’irai causer le soir avec les charbonniers
    Qui veillent accroupis auprès de leurs fournaises.

    Et dans vos profondeurs, ô grands bois assoupis,
    J’essaierai d’oublier qu’il est de faux amis,
    Et qu’en ce monde plein de navrantes misères,
    Il naît des lâchetés, comme il naît des vipères
    Et de froids scorpions sous les pierres tapis.

    II. — LA COMPLAINTE DU VENDREDI SAINT.

    Voici le vendredi de la sainte semaine.
    Les enfans des hameaux, quand l’aube luit à peine,
    S’assemblent sur la place, et les voilà partis
    Pour les bois, les aînés guidant les plus petits.
    Ils suivent les détours des agrestes allées
    Et vont devant le seuil des fermes isolées
    Chanter selon l’usage et demander des œufs.
    Silvain, le plus âgé, fier de ses sabots neufs,
    Les fait gaîment sonner sur les cailloux, et Jacques
    Répète la chanson et rêve aux œufs de Pâques.
    Landry, l’enfant de chœur, porte le grand panier ;
    Le petit Jean-Louis, qui marche le dernier,
    Tout aise et tout gaillard au sortir de l’école,
    Se taille un vert sifflet dans un rameau de saule.
    Avril dans les taillis pousse de fins bourgeons,
    Et les fleurs qui déjà s’ouvrent dans les buissons, —
    Narcisses, jolis-bois, primevères.mielleuses, —
    Paraissent agiter leurs têtes curieuses
    Et saluer le groupe errant des écoliers.
    Mais bientôt, par-dessus les branches des halliers,
    On voit fumer les toits de la première ferme.
    Pénétrant dans l’enclos qu’une barrière ferme,
    La troupe des quêteurs se glisse sans parler
    Jusqu’au seuil entr’ouvert d’où l’on peut contempler
    Le bahut rebondi, le dressoir où tout brille
    Et le chaudron fumant sur le feu qui pétille.
    Aux aboiemens des chiens, la maisonnée accourt ;
    La mère, les enfans, les valets de labour.
    Les écoliers, rangés en cercle, font silence
    Et se prennent les mains ; l’enfant de chœur commence,
    Puis, sur un rhythme lent, mélancolique et doux,
    Avec leurs jeunes voix ils l’accompagnent tous :

    « Laissez dormir vos troupeaux dans l’enceinte,
    Dans les sillons laissez souffler les bœufs,
    Et venez tous entendre une complainte
    Qui fait monter les larmes dans les yeux.

    « Venez ouïr le chant de Notre-Dame,
    La pauvre mère au cœur sept fois navré ;
    Sur le calvaire elle pleure et réclame
    Son fils Jésus que Judas a livré.

    « Tu l’as vendu, Judas, ô Juif immonde !
    Trente deniers, traître, tu l’as vendu !
    Ton nom, Judas, jusqu’à la fin du monde,
    Sera maudit pour ce sang répandu !

    « Tu le surpris au jardin des Olives ;
    Le blond Jésus, doux comme une brebis,
    Laissa les fers meurtrir ses mains captives
    Et les soldats déchirer ses habits.

    « Avec des cris de mort, chez le grand prêtre
    Ils l’ont traîné. Son corps brisé saignait,
    Et sur le seuil, Pierre, oubliant son maître,
    Au chant du coq trois fois le reniait…

    « Enfans des bois, pâtres de la prairie,
    Laissez vos yeux de larmes se remplir ;
    Pleurez le fils de la vierge Marie,
    Qui sur la croix pour nous s’en va mourir.

    « Un coup de lance a troué sa poitrine,
    Son sang jaillit ; — le maître bien-aimé,
    Penchant son front tout couronné d’épine,
    Pousse un soupir, et tout est consommé.

    « Vous qui venez d’entendre la complainte,
    Donnez, donnez des œufs blancs au chanteur,
    Et vous irez, avec la Vierge sainte,
    Droit vous asseoir près de Notre-Seigneur. »

    Le chant monte, pareil aux rumeurs d’une ruche,
    Puis se tait. La fermière alors ouvre la huche
    Aux panneaux de noyer reluisans comme l’or ;
    Les œufs nouveaux pondus, les œufs tièdes encor
    Glissent dans le panier tout tapissé de mousse.
    La bande des chanteurs s’éloigne. Leur voix douce
    S’affaiblit et s’éteint dans le sentier qui fuit.

    Ainsi de ferme en ferme ils vont jusqu’à la nuit.
    Quand la première étoile à travers le feuillage
    Tremble comme une larme, ils rentrent au village.
    Leur pas plus lent trahit la fatigue et l’effort,
    Et d’œufs frais le panier est rempli jusqu’au bord.

    III. — LE MAI.

    Le chemin est tout parfumé
    De muguets qui s’épanouissent ;
    Claire est la nuit, les bois verdissent,
    Et c’est demain le premier mai.
    Vers minuit, parmi les cépées,
    Soudain résonnent à la fois
    Un bruit sourd de branches coupées
    Et de jeunes éclats de voix.

    Ce sont les garçons du village
    Qui se glissent dans les taillis,
    Éveillant les oiseaux des nids
    Et les chevreuils sur leur passage.
    Dans le fond des gorges ombreuses
    Ils vont, alertes maraudeurs,
    Dérober aux arbres en fleurs
    Un mai vert pour leurs amoureuses.

    Sous la serpe au fil acéré
    Tombez, frémissantes verdures !
    Et vite, rubans et dorures…
    Salut, joyeux mai chamarré !
    Au vent matinal ta ramée,
    Dès que le soleil paraîtra,
    Sur le seuil de la bien-aimée
    Fièrement se balancera.

    Ensemble, la saison nouvelle
    Et les frais bourgeons des fayards
    S’épanouiront aux regards
    De l’amoureuse jeune et belle…
    Mais l’aube blanchit, hâtez-vous.
    Malheur à celui qui s’attarde !
    Sur sa forêt, comme un jaloux,
    Nuit et jour veille le vieux garde.

    Travaillé par mille soupçons,
    Il se lève quand tout repose ;
    Fusil au dos et l’œil morose,
    Le voilà qui bat les buissons.
    Il jure en découvrant la trace
    De plus d’un hêtre frais coupé.
    Vain dépit et vaine menace !
    Les maraudeurs ont décampé.

    Parmi les fougères mouillées,
    Le garde revient au logis.
    — Vers les cieux que l’aube a rougis
    Les alouettes réveillées
    Montent, montent. — Voici le jour,
    Le soleil luit dans la clairière,
    Les nids gazouillent à l’entour :
    Tout est fête, joie et lumière.

    Il arrive… et reste sans voix ;
    Svelte et pimpant, un brin de hêtre,
    S’étale devant la fenêtre
    Et raille le garde aux abois.
    Sa fille, à la croisée ouverte,
    Sourit en tordant ses cheveux ;
    Derrière la ramure verte,
    On voit briller ses grands yeux bleus.

    Le vieux contemple avec tendresse
    Ces yeux de véronique en fleur,
    Et déjà chantent dans son cœur
    Mille souvenirs de jeunesse ;
    Le voilà qui rit, désarmé,
    Et tout ému, voilà qu’il pose
    Un gros baiser sur le front rose,
    À travers les branches du mai.

    IV. — RENCONTRE.

    C’était au fond d’un bois, au détour d’un chemin,
    Dans le taillis épais disparaissant soudain.
    Le bois était profond et le sentier rapide ;
    L’herbe y croissait menue, et, sur la berge humide,
    Des menthes imprégnaient l’air de leur saine odeur.
    La solitude était si grande et la fraîcheur
    Du sommet des rameaux tombait si mollement,
    Que mon cœur se taisait, pris d’assoupissement.
    Mon corps s’était creusé dans la mousse une couche,
    Et je croyais sentir se fondre dans ma bouche
    Ce doux fruit du lotus qui fait tout oublier…
    J’entendis tout à coup sur l’herbe du sentier
    Un murmure léger, un frôlement de robe.
    Les feuilles frémissaient comme au lever de l’aube,
    Et je vis dans l’allée aux feuillages tremblans
    Une enfant de seize ans s’avancer à pas lents.
    C’était une mignonne et svelte jeune fille ;
    Les rameaux verdoyans des massifs de charmille
    L’entouraient et formaient un cadre à sa beauté.
    Son front doré, sa joue au tissu velouté
    Avaient ces tons foncés et nuancés de rose
    Que sur les fruits mûris le soleil d’août dépose.
    Ses noirs cheveux, nattés en bandeaux, s’enroulaient
    Sur les tempes ; ses yeux, ses grands yeux bruns jetaient
    À travers de longs cils des gerbes d’étincelles.
    Comme un oiseau qui fait l’épreuve de ses ailes,
    Ils s’ouvraient, se fermaient, puis se rouvraient encor.
    Son sein, paisible et pur comme un enfant qui dort,
    À peine soulevait l’étoffe noire et grise
    Du corsage noué par des rubans cerise.
    Sa taille était flexible, et ses deux petits pieds
    Dans l’herbe du chemin disparaissaient noyés.
    Avec ses beaux bras nus, sur sa jeune poitrine
    Elle tenait serrés des rameaux d’aubépine,
    De verts épis de seigle et de rouges pavots.
    Elle avait tout pour elle, et les boutons éclos
    En mai n’étalent pas de plus fraîches surprises,
    Ni la rose en été de couleurs plus exquises ;
    La jeunesse, l’éclat, la grâce, elle avait tout.
    Elle passa, mon cœur battit, et jusqu’au bout
    Du sentier sinueux qui descend vers la plaine,
    Mon regard la suivit…

    Dans l’herbe, au pied d’un chêne,
    Une humble véronique ouvrait ses épis bleus ;
    Des papillons volaient, tournoyant deux à deux.
    — Aime ! — disaient la fleur et l’insecte rapide ;
    — Aime ! le ciel maudit ceux dont le cœur est vide. —
    Et, tandis qu’un oiseau sur son nid gazouillait,
    J’entendis en moi-même une voix qui chantait
    Une chanson nouvelle, une chanson meilleure…
    Quand de la floraison la sève a marqué l’heure,
    L’aloès épineux pousse un bouton vermeil
    Qui se gonfle et grandit, chauffé par le soleil ;
    Puis l’enveloppe éclate, et la fleur séculaire,
    Comme un splendide écrin, s’ouvre en pleine lumière.
    — Faisant explosion dans mon cœur réjoui,
    Ainsi l’amour nouveau s’était épanoui.

    V. — LA CHANSON DU BUCHERON.

    Pour les grands bois ensemble
    Partons au jour naissant,
    Et choisissons un tremble,
    Un tremble verdissant.
    Qu’il soit svelte et superbe !
    O ma brune aux yeux bleus,
    Abattons-le dans l’herbe
    À nous deux.

    Il craque, il penche, il plie…
    Victoire ! il est tombé.
    Vite, vite, une scie
    De fin acier trempé !
    De la racine aux branches,
    Dans le tronc vigoureux,
    Coupons de minces planches
    À nous deux.

    Avec les planches blondes
    D’où la sève jaillit,
    Pour nos noces fécondes
    Construisons un doux lit.
    La mousse fine pousse
    Au pied des saules creux ;
    Emplissons-le de mousse
    À nous deux.

    Puis avec la ramure
    Préparons un berceau
    Tapissé de verdure,
    Frais comme un nid d’oiseau.
    Pour la couche légère,
    Pour l’oreiller moelleux,
    Tressons, tressons du lierre
    À nous deux.

    Voilà la couche prête,
    Voilà l’enfant venu.
    Dans la barcelonnette
    Il s’endort demi-nu.
    Berçons, berçons ensemble
    Le mignon aux yeux bleus
    Qui sourit et ressemble
    À nous deux.

    VI. — LA CHERCHEUSE DE FRAISES.

    Dans les jeunes taillis et les coupes récentes
    D’où s’exhale l’odeur des fraises mûrissantes,
    Depuis le fin matin, la fille du vannier
    Emplit de fruits pourprés sa corbeille d’osier.
    Elle est mignonne et brune, elle a seize ans ; sa taille
    Est souple comme un jonc. De son chapeau de paille
    S’échappent ses cheveux trop lourds et dénoués.
    Les bords de son jupon que la ronce a troués
    Trahissent les contours de ses deux jambes nues,
    Deux jambes de chevrette aux attaches menues
    Que le soleil de juin dore sans les hâler.
    Déjà son sein naissant commence à se gonfler,
    Et quand elle s’arrête afin de prendre haleine,
    On voit frémir les plis du corset de futaine.
    La course et le temps chaud ont mis sa joue en feu,
    Et l’éclat de l’été brille dans son œil bleu.
    Il est midi : glissant par maintes échappées,
    Le soleil comme un plomb tombe sur les cépées,
    Et jusqu’aux lézards verts sous les pierres tapis,
    Tous les hôtes des bois reposent assoupis.

    Lassée, elle descend jusqu’au fond d’une combe
    Où, dans le creux formé par un roc qui surplombe,
    Goutte à goutte, une source à travers le gravier
    Se tamise ; l’enfant recouvre son panier
    D’un lit frais de fougère à la roche cueillie,
    Puis le sommeil la prend ; sur son bras qui se plie
    Sa tête se renverse, — et voilà ses yeux clos.
    Ainsi parmi les blés les grands coquelicots
    Se penchent, quand les pleurs des nocturnes rosées
    Ont trop rempli leurs fleurs de gouttes irisées.
    Or, tandis qu’elle dort, trois bûcherons des bois,
    Trois joyeux jouvenceaux, ayant vingt ans tous trois,
    Passent dans le chemin. Le premier la regarde :
    — Voyez cette innocente, endormie à la garde
    Des oisillons des bois !… Amis, je la connais,
    C’est la fille du vieux vannier du Val-des-Frais.
    Quand elle aura vingt ans, j’engage la fillette
    À ne point sommeiller au coin du bois seulette !
    Mais ce n’est qu’une enfant, un fruit vert aigrelet,
    Une noisette encor tendre et pleine de lait.
    Vive ma Louison, ma grappe mûre et fraîche !
    — Fruit vert ? dit le second, non pas, mais blonde pêche
    Dont le duvet se dore et commence à rougir.
    Vois ces lèvres qui sont vermeilles à plaisir,
    Ces flots de cheveux bruns, et sous l’étroit corsage
    Cette poitrine pleine et ferme. C’est dommage
    Qu’elle n’ait pas autant d’argent que de beauté !
    La maison du vannier craque de pauvreté. —
    Le troisième, ébloui, la contemple et soupire,
    Puis, songeur, il poursuit sa route sans rien dire ;
    Mais, arrivés tous trois au détour du chemin,
    Il demeure en arrière et disparaît soudain ;
    À travers la forêt muette il prend sa course,
    Et revient vers l’enfant qui dort près de la source.
    Alors, agenouillé dans l’herbe du talus,
    Doucement, chastement, il baise ses pieds nus ;
    Il choisit une fraise au bord de la corbeille,
    Et délicatement, sur la bouche vermeille
    Et ronde, qui s’entr’ouvre et qui semble une fleur,
    Il la pose. L’enfant, que la fraîche saveur
    Réveille, ouvre les yeux, et tressaille, et s’effraie,
    Comme un oiseau surpris dans son nid, sous la haie.
    — Pourquoi cette frayeur ? dit-il, que craignez-vous ?
    Ne me voyez-vous pas timide à vos genoux ?
    C’est moi qui dois trembler, car je n’ose pas même
    Vous dire, ô belle enfant, combien mon cœur vous aime.
    Je ne pense qu’à vous ; depuis trois jours entiers,
    Je vous cherche, au village et dans tous les sentiers,
    Comme la mouche à miel cherche les fleurs des saules… —
    Elle se laisse prendre à ces douces paroles,
    Et, la main dans la main, au fond du rocher creux,
    Au bruit de l’eau qui chante, ils devisent tous deux,
    Et les heures d’amour se succèdent, pareilles,
    Dans leur fuite rapide, à de jeunes abeilles
    Emportant au rucher leur récolte de miel.
    Voici le soir, voici la nuit. La lune au ciel
    Balance son croissant au-dessus des grands chênes.
    On entend résonner sous les voûtes des traînes
    Des appels que l’écho répète longuement.
    — Il faut partir, c’est l’heure. — Et tous deux lentement
    S’en vont par les sentiers voilés de chèvrefeuilles,
    Dont un rayon tremblant fait reluire les feuilles.

    VII. — LA MAISON DU GARDE.

    La forêt s’assombrit, ses masses de verdure
    S’imprègnent de rosée et sommeillent sans voix,
    La nuit tombe, on n’entend qu’un faible et lent murmure ;
    Là-bas une clarté, dans la feuillée obscure,
    Tremble comme une étoile et luit au fond du bois.

    C’est là, près de la mare, où parmi l’eau dormante
    Croissent de grands roseaux et des touffes d’iris,
    À l’abri des bouleaux dont l’ombre frémissante
    Tamise les rayons de la lune naissante,
    Que la maison du garde élève son toit gris.

    La fraîcheur a verdi la muraille ébranlée,
    La mousse a revêtu les tuiles tout au long.
    Sur l’espalier séché la vigne échevelée
    Court au hasard, de lierre et de ronces mêlée,
    Et voile la fenêtre au fin treillis de plomb.

    L’an passé, le vieux garde est mort. À la nuitée,
    Des braconniers tapis dans le creux d’un sentier
    L’ont pour toujours couché dans l’herbe ensanglantée.
    Au prochain carrefour, une croix est plantée
    Sur sa fosse, qu’abrite un large châtaignier.

    Triste et pauvre maison, seuil morne !… Un vent d’automne
    Soulève et fait voler les cendres du foyer.
    Contre la vitre humide une mouche bourdonne ;
    Dans un coin, le grillon pousse un cri monotone
    Et mêle sa voix grêle au bruit du balancier.

    La veuve en habits noirs penche son blanc visage
    Sur une sainte Bible au grand feuillet jauni.
    Debout contre le mur, sifflant un air sauvage,
    Le fils frotte un fusil, lourd et vieil héritage,
    Par le sang et la rouille en maint endroit terni.

    Blonde avec des yeux bruns, la jeune sœur arrose
    Sur la fenêtre basse une touffe de fleurs.
    Hier, dans son sein d’enfant la jeunesse est éclose,
    Et son cœur s’est ouvert comme un bouton de rose
    Plein d’agrestes parfums et de rosée en pleurs.

    Seule, elle égaie encor la maison soucieuse ;
    De beaux songes dorés passent dans son sommeil ;
    Pour elle, du grillon la chanson est joyeuse,
    L’horloge à la voix douce, et la lampe fumeuse
    Sur les murs délabrés brille comme un soleil.

    — Un étrange soupir passe à travers la porte ;
    Le vieux chien assoupi se dresse en gémissant.
    Est-ce un souffle ou le bruit de quelque feuille morte ?…
    Dans la nuit, tout à coup le vent d’automne apporte
    Les sons déjà lointains d’un cor retentissant.

    Le fils laisse tomber son fusil contre terre,
    La sœur en frissonnant fait un signe de croix,
    Le grillon est muet. — « Écoutez, dit la mère,
    On dirait tout là-bas l’esprit de votre père
    Qui sonne un air de chasse au milieu du grand bois. »

    VIII. — LE ROUGE-GORGE.

    La forêt au front dégarni
    Effeuille au vent sa couronne,
    Et le vent dans le bois jauni
    Soupire un chant monotone ;
    Les feuillages en tourbillons
    Tournent et brillent aux rayons
    Du pâle soleil d’automne.

    Un essaim d’oiseaux voyageurs
    Comme un ruban se déploie
    À l’horizon, dans les vapeurs
    Où le bleu du ciel se noie.
    Vers le midi, loin de l’hiver,
    Ils s’en vont, bohémiens de l’air,
    Avec de longs cris de joie.

    Fils de la Vierge, accrochez-vous
    À la ramure brunie,
    Couvrez d’un linceul frôle et doux
    La nature à l’agonie.
    Voici le déclin et la mort…
    Pourtant là-bas j’entends encor
    Un petit oiseau qui pépie.

    Il part et revient, familier
    Comme le grillon de l’âtre.
    Sur sa gorge un rouge collier,
    Marbrant la plume grisâtre,
    Semble de loin un cœur saignant.
    Salut, ô chanteur consolant,
    Rouge-gorge, ami du pâtre !

    Autour de toi, tout est débris,
    Silence et morne tristesse ;
    Enflant ton poitrail de rubis,
    Seul, tu fredonnes sans cesse,
    Et ta chanson parle aux rêveurs,
    Au pauvre, à l’amoureux en pleurs,
    À tous les cœurs en détresse.

    Tu leur dis : — « La fleur pour germer
    Veut un lit de feuilles sèches,
    Et le cœur pour toujours aimer
    À besoin de larmes fraîches.
    Sous le foyer qui semble éteint,
    Un souffle rallume soudain
    De scintillantes flammèches.

    « Dans la nature et dans les cœurs,
    Tout se tient par une chaîne ;
    Chaque joie, entre deux douleurs,
    Pousse au fond de l’âme humaine.
    Il n’est pas de morte saison,
    L’hiver même a sa floraison,
    Son heure tiède et sereine.

    « En décembre et janvier, l’ajonc
    Ouvre ses jaunes aigrettes,
    Et par-dessus le sombre front
    De mars fertile en tempêtes,
    Février, tout blanc de grésil,
    Tend une fleur au mois d’avril
    Couronné de violettes.

    « Du premier bonheur disparu
    Le cher fantôme qui veille
    Rit au bonheur nouveau-venu
    Dans notre cœur qui sommeille.
    Ainsi la jeune mère, en deuil
    D’un premier enfant, fait accueil
    Au nouveau-né qui s’éveille. »

    IX. — LE CHARBONNIER.

    Les jours d’hiver sont revenus,
    Plus de feuilles aux branches ;
    Le givre couvre les bois nus
    De ses aiguilles blanches.
    Dans la coupe où sont empilés
    Les menus brins de hêtre,
    Les charbonniers sont installés,
    Femme, apprentis et maître.

    La femme allaite un nourrisson
    Dans la hutte de mousse,
    Et lui murmure une chanson
    Mélancolique et douce ;
    Le maître et ses gens, à l’entour
    Des fournaises nouvelles,
    Montent la garde tour à tour,
    Comme des sentinelles.

    Le charbon qui cuit, abrité
    Sous une cendre épaisse,
    Gronde comme un enfant gâté
    Qu’il faut veiller sans cesse.
    Tout chôme avec un feu trop lent ;
    Si la braise allumée
    Flambe trop vite sous le vent,
    Tout s’envole en fumée.

    Rude besogne, sans repos,
    Et de sueur baignée !
    Le charbonnier sur ses fourneaux
    Ressemble à l’araignée :
    Elle ourdit vingt fois son réseau,
    Et quand la toile frêle
    Est finie à peine, un oiseau
    L’emporte d’un coup d’aile.

    Mais il n’est si triste saison
    Qu’un rayon ne colore,
    Et dans la plus pauvre maison
    Le bonheur entre encore.
    Si les soucis au charbonnier
    Souvent troublent la tête,
    Parfois aussi dans son métier
    Il est des jours de fête.

    Un matin, le charbon paraît
    Sous la couche de terre :
    Victoire ! il est noir à souhait
    Et cassant comme verre
    Il sonne clair comme l’argent,
    À la forge on l’emmène ;
    Et dans les bois sourds on entend
    Rouler la banne pleine.

    Le charbonnier n’a d’autre abri
    Que sa forêt natale,
    Les muguets d’avril ont fleuri
    Sa couche nuptiale ;
    Pareils aux petits des oiseaux
    Nichés dans les bruyères,
    Ses enfans n’ont eu pour berceaux
    Que l’herbe des clairières.

    Né dans les bois, il veut mourir
    Dans le fond d’une comble,
    Ses compagnons viendront bâtir
    Un fourneau sur sa tombe,
    Un grand fourneau qu’on emplira
    De braise et de ramée,
    Et son âme au ciel montera
    Avecque la fumée.




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