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André Theuriet
Un sphinx
Avec sa bouche aux coins rieurs
Et ses yeux verts qu’un regret baigne
De mélancoliques lueurs,
Elle a pris mon âme, elle y règne,
Et j’aime sa blonde beauté,
Faite de grâce & de fierté.
Elle est fantasque & violente,
Mais elle met dans un coup d’œil
Une caresse amollissante
Qui fond lentement mon orgueil,
Et sa voix d’enfant qui se fâche,
Sa voix boudeuse me rend lâche.
Tantôt douce comme une fleur,
Tantôt inflexible & hautaine,
Elle a des tendresses de sœur
Et des arrogances de reine ;
Sphinx adorable, esprit amer
Et fascinant comme la mer.
A la fois provocante & chaste,
Câline & froide tour à tour,
Par un mystérieux contraste,
Elle désire & craint l’amour ;
La volupté, comme une hermine,
Dort aux neiges de sa poitrine.
Est-ce le sommeil ou la mort ?…
La charmeuse que j’aime est-elle
Une Ondine des lacs du Nord
Aux amours humaines rebelle ?
Une Elfe aux blonds cheveux tressés
Avec des nénufars glacés ?…
Ou bien, quand la jeunesse éclate,
A-t-on sous quelque joug brutal
Courbé sa beauté délicate ?
Un baiser cruel & fatal
De la volupté redoutée
L’a-t-il à jamais dégoûtée ?…
J’ai beau la fuir ; devant mes yeux
Elle est sans cesse, & tout reflète
Son sourire capricieux…
Comme l’odeur de violette
Dont son corps svelte est parfumé,
Partout me suit son spectre aimé.
Sa blancheur de vierge m’attire,
Le chant de sa voix m’a troublé,
Et je cherche sans cesse à lire,
Dans son cœur mobile & voilé,
L’énigme obscure, impénétrable,
Qui me captive & qui m’accable.
Avec sa bouche aux coins rieurs
Et ses yeux verts qu’un regret baigne
De mélancoliques lueurs.
Elle a pris mon âme, elle y règne.
Et j’aime pour l’éternité
Sa blonde & neigeuse beauté.