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    André Theuriet

    Une nuit de printemps

    I

    Paris s’endort. — Les nuées
    Par un vent frais remuées
    S’éparpillent dans les airs ;
    Sous leur brume pâle & fine
    La lune en manteau d’hermine
    Plane sur les quais déserts.

    Là-bas, comme une âme en peine,
    Une créature humaine,
    Bras nus, les cheveux au vent,
    Passe morne & désolée…
    Là-bas, dans la contre-allée,
    Près d’un grand mur de couvent.

    Un jet de gaz l’illumine :
    Sa tête est presque enfantine,
    Mais à la molle rondeur
    Des seins gonflés sous la bure,
    On devine qu’elle est mûre
    Pour l’amour — & la douleur.

    Les mains sur son sein pressées,
    Les paupières abaissées
    Sur des pleurs lents à jaillir,
    Debout, au bord de la route,
    En elle-même elle écoute
    Quelque chose tressaillir.

    O mystère ! quelque chose
    Qui palpite, vie éclose
    Dans l’être déjà vivant…
    Ses mains ont dans ses entrailles,
    Comme le grain des semailles,
    Senti germer un enfant…

    Paris dort, — & dans les arbres,
    Dans la mousse des vieux marbres
    Et les jasmins des balcons,
    On entend frémir la séve ;
    Mai, sur la ville qui rêve,
    Répand ses charmes féconds.

    Dans la nuit tiède & clémente
    Où tout fleuronne & fermente,
    Un cri d’angoisse est monté.
    Là-bas, sous la sombre allée,
    Une pauvre désolée
    Te maudit, fécondité !

    O moment béni des mères,
    Minutes douces & claires
    Où l’incertitude a fui ;
    Heure où la jeune épousée,
    La main sur son flanc posée,
    Tressaille & se dit : « C’est lui ! »

    Heure limpide & sereine,
    Ta voix dans cette âme en peine
    N’éveille que le remord.
    Cheveux au vent, tête nue,
    Elle accueille ta venue
    Avec un salut de mort…

    II

    Le rossignol chante. — O tristesse,
    Amertume du souvenir,
    Quand l’amour dans la brume épaisse
    Plonge pour ne plus revenir !

    Elle écoute & son cœur palpite…
    Les sons dans les arbres du quai
    Montent ; le passé ressuscite,
    Par ce chant nocturne évoqué.

    Elle voit les vergers pleins d’herbe
    Et l’ombre des pommiers en fleur
    Où l’amoureux, le front superbe,
    L’entraînait d’un geste vainqueur.

    Étreintes, lèvres confondues,
    Baisers longuement savourés,
    Soupirs mêlés aux voix aiguës
    Des cigales parmi les prés,

    Tout lui revient à la mémoire,
    Tout, jusqu’à la chanson d’amour
    Que l’amant, fier de sa victoire,
    Fredonnait gaîment au retour.

    Hélas ! au long du quai sonore,
    Tandis qu’elle erre à l’abandon,
    A qui la redit-il encore,
    La folle & trompeuse chanson ?

    Mène-t-il une autre amoureuse
    Sous les ramures des halliers,
    Tandis qu’elle descend, peureuse,
    Les degrés des noirs escaliers ?…

    Elle arrive à la pente obscure
    Où brusquement le mur finit…
    Voici la Seine qui murmure
    Entre ses berges de granit.

    Les feux rougeâtres des lanternes
    Et le clair de lune argenté
    Sur les eaux profondes & ternes
    Croisent leur tremblante clarté ;

    Dans la rivière illuminée
    On dirait les reflets joyeux
    D’une fête étrange donnée
    Par des hôtes mystérieux…

    Le rossignol chante, — & plaintive
    L’onde roule & frémit tout bas…
    La pauvre fille sent l’eau vive
    Baigner tendrement ses pieds las.

    L’oiseau dit les amours menteuses
    Et le bonheur enseveli ;
    Les flots avec leurs voix berceuses
    Parlent de sommeil & d’oubli.

    Oh ! l’oubli, la fin de l’épreuve,
    Et, sur un lit de frais cailloux,
    Dans les molles herbes du fleuve,
    Un sommeil éternel & doux !…

    Au bruit d’une chute soudaine
    Un sourd jaillissement répond,
    Et l’onde, qui bouillonne, entraîne
    Un corps sous les arches du pont.




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