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    Anna de Noailles

    À la Nuit

    Nuits où meurent l'azur, les bruits et les contours,
    Où les vives clartés s'éteignent une à une,
    Ô nuit, urne profonde où les cendres du jour
    Descendent mollement et dansent à la lune.

    Jardin d'épais ombrage, abri des corps déments,
    Grand cœur en qui tout rêve et tout désir pénètre
    Pour le repos charnel ou l'assouvissement,
    Nuit pleine des sommeils et des fautes de l'être.

    Nuit propice aux plaisirs, à l'oubli, tour à tour,
    Où dans le calme obscur l'âme s'ouvre et tressaille
    Comme une fleur à qui le vent porte l'amour,
    Ou bien s'abat ainsi qu'un chevreau dans la paille.

    Nuit penchée au-dessus des villes et des eaux,
    Toi qui regardes l'homme avec tes yeux d'étoiles,
    Vois mon cœur bondissant ivre comme un bateau,
    Dont le vent rompt le mât et fait claquer la toile.

    Regarde, nuit dont l'œil argente les cailloux,
    Ce cœur phosphorescent dont la vive brûlure
    Éclairerait ainsi que les yeux des hiboux
    L'heure sans clair de lune où l'ombre n'est pas sûre.

    Vois mon cœur plus rompu, plus lourd et plus amer
    Que le rude filet que les pêcheurs nocturnes
    Lèvent, plein de poissons, d'algues et d'eau de mer
    Dans la brume mouillée agile et taciturne.

    À ce cœur si rompu, si amer et si lourd,
    Accorde le dormir sans songes et sans peines,
    Sauve-le du regret, de l'orgueil, de l'amour,
    Ô pitoyable nuit, mort brève, nuit humaine !...




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