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    Anna de Noailles

    Le Temps de vivre

    Déjà la vie ardente incline vers le soir,
    Respire ta jeunesse,
    Le temps est court qui va de la vigne au pressoir,
    De l'aube au jour qui baisse,

    Garde ton âme ouverte aux parfums d'alentour,
    Aux mouvements de l'onde,
    Aime l'effort, l'espoir, l'orgueil, aime l'amour,
    C'est la chose profonde;

    Combien s'en sont allés de tous les cœurs vivants
    Au séjour solitaire
    Sans avoir bu le miel ni respiré le vent
    Des matins de la terre,

    Combien s'en sont allés qui ce soir sont pareils
    Aux racines des ronces,
    Et qui n'ont pas goûté la vie où le soleil
    Se déploie et s'enfonce.

    Ils n'ont pas répandu les essences et l'or
    Dont leurs mains étaient pleines,
    Les voici maintenant dans cette ombre où l'on dort
    Sans rêve et sans haleine ;

    — Toi, vis, sois innombrable à force de désirs
    De frissons et d'extase,
    Penche sur les chemins où l'homme doit servir
    Ton âme comme un vase,

    Mêlé aux jeux des jours, presse contre ton sein
    La vie âpre et farouche ;
    Que la joie et l'amour chantent comme un essaim
    D'abeilles sur ta bouche.

    Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment
    Les rives infidèles,
    Ayant donné ton cœur et ton consentement
    À la nuit éternelle.




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