Philosophy and Religion / Arthur Avalon: Shakti and Shakta |
Arthur Avalon
Shakti and Shâkta: Appendix I: Quelques Concepts Fondamentaux des Hindous
Deux Conferences donnees par l'auteur a la Societe Artistique et Litteraire Francaise de Calcutta, 1917.
I.
Lorsque je fus prie de faire une conference et oblige de faire choix d’un sujet, je n’ai pu penser qu’a celui qui m’a si fortement interesse pendant des annees et duquel je puis parler avec quelque connaissance.
Il est possible que d’aucuns d’entre vous le trouveront aride ; mais ne valait-il pas miexix traiter d’un sujet sur lequel j’avais quelque chose a dire que de risquer d’eveiller peu d’interet en vous par la maniere dont j’aurais pu parler de choses qui en avaient egalement peu pour moi.
J’ai eu d’abord Tintention de vous parler de I’objet de mes etudes actuelles, du “Serpent” ; -le mot represente le pouvoir ccculte eveilie dans le corps humain par la “ Yoga Si le sujet vous interesse, peut-ltre pourronsnous Taborder une autre fois. Mais a la reflexion, j’ai conclu qu’il fallait commencer de maniere plus eiementaire- par les premiers principes,- car ce que j’aurais dit aurait pu etre inintelligible. Et parmi ces principes, je ne puis choisir que quelques concepts conducteurs et les traiter de fagon courante et superficielle. Sur chacun de ces concepts il y aurait un volume a ecrire. Chacun d’eux est un concept fondamental de la Pensee Hindoue :—Veda (Connaissance), Brahman ou Shiva (Dieu) et sa Puissance (Shakti) ; I’Univers evolue par Lui et de Lui, Karma (action), Dharma (moralite), Svarga (ciel), Naraka (enfer), Mokslia (Liberation).
A quelle autorite faut-il s’en referer ? - telle est la premiere question. Par quelle epreuve peut-on savoir si une chose est vraie? La reponse est : “par l’ experience”. Il y a une experience sensorielle que nous acquerons par les sens et l’esprit. Personne ne discute cela. Mais il y a ce que les Hindous appellent ’“Sthula-darshin,”—des hommes a vue grossiere, a vue etroite, qui limitent I’experience a ce plan materiel.
Ainsi les materialistes Hindous (Lokayata) n’admettent qu’une espece de preuve—la perception (PratyaksKa). Mais l’Hindou orthodoxe nous dit: point du tout. L’experience spirituelle n’est pas moins reelle que celle acquise dans le plan physique. Naturellement cette demiere peut-dtre eprouvee d’une maniere qui n’est pas permise pour I’autre. Si un homme declare qu’il a vu des montagnes au centre du desert australien, chacun peut aller la-bas et verifier ou contredire son assertion. Mais s’il affirme qu’il a converse avec un Esprit ou recu une illumination, il peut ou mentir ou etre abuse ; et comment dans ces cas verifier ? Cette verification peut avoir ou ne pas avoir d’importance ; mais supposons qu’elle en ait une. Supposons qu’un homme pretende qu’il a trouve la voie experimentale d’un grand bonheur (Mahasukha), et cette assurance d’esprit qui permet a im homme de voguer dans des regions dangereuses, extrayant du venin meme (Visha) le nectar de I’immortalite (Amrita) ; dans ce cas nous pouvons etre interesses a savoir si ce qu’il dit est vrai. Il est possible que ce ne soit pas vrai ; mais si c’est vrai, ce n’en est pas moins une experience, meme si nous ne pouvons la verifier par les sens. L’Hindou dit qu’elle peut etre verifiee en ayant la mdme experience soi-meme. “Allez et faites de meme.” Toutes les pratiques (SSdhane,) sont des moyens d’atteindre un resultat particular. Le maitre dit ‘‘Je sais ceci directement.” C’est ce qu’on appelle Aparoksha Jnana. “Vous pouvez m’en croire. ” Si on accepts, c’est de la connaissance indirecte ou de seconde main. (Paroksha Jnana) “Si vous n’etes pas prets a accepter ma declaration maintenant, faites comme je vous indique et vous pourrez acquerir l’experience vous memes. C’est le succes (Siddhi) obtenu par son eoseignement qui est la preuve reelle de I’autorite d’un Shastra.
La philosopbie et la religion hindoucs sont bashes sur le Veda.
Veda vient du radical Sanscrit “Vid” qui signifie ‘‘Savoir”. Savoir quoi? Ce qui a le plus de valeur a etre su—Dieu. C’est ce que les Hindous appellent Paramartha, le supreme objet du desir et des tentatives. Ce qui appartient au monde est appelle Artha. Le Veda est done l'experience spirituelle et le constat de celle-ci.
Les Verites finales d ’existence et les lois qui gouvernent leurs manifestations ne sont pass inventees par l'homme mais sont eternelles. Veda, en tant que sagesse divine, est une forme de Dieu (Brahmavedamurti), qui apparait dans l’esprit des voyants (Rishi), qui eux ne sont pas les auteurs, mais les commemorateurs de la verity vue et reproduite par eux, Les Rishi voient la verite avec leur troisieme oeil ou oeil spirituel (Jnanachakshu). Ils n’inventent pas mais enregistrent la verite qui leur est revelee. Aiusi c’est un constat d’experi ence spirituelle. L’experience sensorielle est sans valeur dans les domaines qui depassent les sens (Atindriya). Pour ceci il y a la preuve appellee “ autorite verbale” (Shabda ou Veda). Cette preuve est le temoignage des choses nonvues. Elle est la revelation de ce qui est connu comme etant entendu (Shruti). La multitude depend necessairement pour la connaissance de ces verites, de ceux qui les ont “vues” directement et dont les experiences sont enregistrees dans le Shruti. C’est une evidence secondaire. L’evidence primaire est de voir par soi-meme. L’Hindou croit a la realite de la connaissance spirituelle et pense que dans des conditions convenables, toute personne, ayant les qualifications necessaires, et qui suit les preceptes des Ecritures verra la verite, non obscurement comme au travers d’une lentille, au moyen des sens et de l’esprit, mais directement. La Tradition, d’accord avec le Veda, est connue sous le nom de Smriti.
La Vedanta est la demiere partie des Vedas traitaut de la connaissance spirituelle, l’autre partie constituant la section rituelique, consideree comme “connaissance inferieure”. Il y a deux espfeces d’hommes, dont la premiere comprend les mondains qui posent des actes, bons ou mauvais, avec le desir d’en recolter les fruits (Sakama). Pour ces gens, il y a la connaissance inferieure. Four les autres, c’est-a-dire ceux qui agissent sans le desir d’une recompense ulterieuxe,' il y a la sagesse esoterique. L’enseignement esoterique qui est contenu dans les Upanishads est intitule Vedanta ou “fin des Vedas”. Vedanta signifie strictement Upanishad, c’est-a-dire Veda, et non pas aucune philosophie particuliere. Il y a plusieurs interpretations de Vedanta, qui sont des philosophies vedantiques d’ecoles variees :—, -dualistes, monistes qualifiees, et monistes. Darshana, ou philosophie, vient du radical Drish “ Voir, ” car la philosophie donne la vision mentale qui pemiet d’apercevoir la verite revel ee par les paroles du Veda.
Les orientalistes cocidentaux souvent considerent la philosophie vedantique comme une simple metaphysique dans le sens de speculation intellectuelle. Il est possible qu’en fait il en soit ainsi. Je ne le crois pas, mais je ne discuterai pas. Il est suffisant de dire qu’ici on n’en pense point ainsi. Le Professeur Deussen denature toute la situation quand il la traite en simple metaphysique et demande aux Hindous d’y adherer comme telle. Pourquoi adhereraient-ils a une metaphysique quelconque? Quelle en est la preuve ? “Tarkapratishthanat” est-il dit, au contraire. “Rien n’est etabli par la discussion seule.” Je puis emettre une theorie, et vous, plus adroit, pourrez la contredire et en emettre uiie seconde qui sera dementie par une troisieme. Aussi afiirment ils que la base de la philpsophie est la revelation, ou experience spirituelle. Le Professeur Deussen, qui a, je crois, etudie la scholastique du moyen-age, aurait mieux fait en reconnaissant que la position orthqdoxe aux Indes est similaire a celle de la scholastique catholique, ancienne ou modeme. La philosophie modeme en general est a la recherche de la verite ; ou assume que celle-ci existe, mais on ne salt ce qu’elle est. Pourtant un Hindou, ou un catholique, ou un chretien, acceptant l’autorite de la revelation, ne cherche pas la verite dc cette maniere. Il sait deja ce qu’elle est, car la revelation le lui dit. Il ne la cherche que dans ce sens qu’il s’efforce de comprendre ce qu’il sait et non de decouvrir quelque chose qu’il ne sait pas. L’erreur du Professeur Deussen est commune aux orientalistes, mais je cite son cas parce qu’il est lui-meme cet oiseau rare, un orientaliste metaphysicien qui aime et admire son sujet et s’efforce de lui rendre justice, car il conseille I’acceptation de I’enseignement vedantique. Mais comprend-il vraiment le Vedanta quand il le considere comme une speculation et en conseille l’acceptation comme telle? Il n’accepte pas la possibilite de communion spirituelle ou Yoga. L’ensemble de la doctrine hindoue se base sur elle. Elle ne pose pas en fait une supposition speculative, mais une doctrine revelee qui est une experience spirituelle, experience qui peut-etre acquise par quiconque est qualifie pour l’acquerir. La function de la philosophie est de coordonner et de reconcilier les enseignements du Veda, de les expliquer et de les fortifier par les conclusions de la raison. Car nous sommes faits d’une piece, et ce qui est irrationel ne peut-etre spirituellement vrai. L’esprit est venu de Dieu et cherche a le comprendre dans le plan materiel. Il ne faut pas supposer que Sa nature et la Verite concemant le monde soient telles, qu’elles violent la raison qui emane egalement de Lui et, sous cette forme, est Lui-meme.
Le sujet des Vedas et d’autres Ecritures est Tattva, qui est la nature de Dieu, ou Brahman, et Dharma (moralite), dont j’explique le sens plus tard. Shastra (Ecriture), vient du radical “Shas,” “controler,” car l’Ecriture controle la conduite des hommes.
Le sujet de Brahman est immense. Je ne puis faire que quelques remarques. Brahman (Dieu) vient de Bringha qui veut dire exister partout, car Dieu est cet Etre qui existe en toutes choses. Il est Celui sans pared (Advaya).
Aucun Hindou ne croit en plus d’un Dieu comme Auteur et Maitre de I’univers. Je parle des Hindous proprement dits. Je ne sais pas ce qu’il en est des tribus aborigenes. Les livres d’orientalistes et de missionnaires vous parleront de plusieurs millions de “Dieux”. Mais l’Hindou n’est pas responsable de cela. Ils n’a jamais qualifie ces tres comme dieux. Ce sont les orientalistes et les missionaires qui l’ont fait, et se retoumant ensuite, ont dit : “comme tout cela est absurde !”
Le mot traduit par “Dieu” est Deva, ou Devata, qui, litteralement signifie “Radieux”. Ces “Radieux,” comme les anges de l’enseignement chretien, sont des etres supraphysiques occupant differents grades dans la hierarchie de l'existence. Les uns sont tres eleves et d’autres inferieurs. Il y a aussi des esprits malins. Aucun de tous ceux-ci n’est Dieu dans le sens europeen. Il est dit expressement qu’ils out emane de Brahman ou Dieu. Quand le mot Devata est employe a propos de Celui-ci, le mot Supreme (Para), y est generalement attache (Paradevata). Mais le nom ordinaire de Dieu est Brahman, et encore plus souvent Ishvara (le Seigneur), le mot signifiant “ Celui qui dirige, qui commande ”. Quelquefois Dieu est adore sous le nom de Shiva qui signifie “ le Bon, ” ou de Vishnu qui signifie “ Celui qui remplit tout Brahman, Vishnu, Shiva ou Rudra, la Trinite hindoue (Trimurti) ne sont qu’un Dieu dans ses trois differents aspects, comme Createur, Soutien et “Destructeur” du monde. Brahman est designe dans le Brahmasutra comme Celui dont procede I’univers, par qui il est maintenu, et dans qui il est dissous. Les ecoles discutent, de meme qu’elles le font en Europe, dans quel sens cette definition doit etre comprise, et quels sont les rapports entre l’univers, l’ame de l’homme et Dieu.
Pourtant toutes sont d’accord sur la definition, quelle que soit leur maniere de l’interpreter. Elles acceptent toutes que la nature (Svarupa) de Brahman est Etre inchangeable (Sat), Conscience (Chit), et Beatitude (Ananda). Il est la Beatitude supreme. Tout bonheur terrestre vient de lui, et n’est qu’une fraction transitoire et melee de douleur de sa Beatitude. Il possede la Beatitude qui ne varie jamais.
On a dit de Brahman la meme chose que ce qu’on trouve dans les Ecritures occidentales. Le Hangsa Upanishad dit quil est la Paix (Shanta) au dela de touts comprehension humaine.
“Le coeur est agite tant qu’il n’est pas parvenu jusqu’a Lui,” dit St Augustin : et des siecles avant lui l'Upanishad disait la meme chose en affirmant qu’ “Il est Beatitude, et seul est heureux celui qui l’a trouve.” Brahman est le principe, sans changement, de toute notre experience. Par Lui, nous pensons et agissons, nous entendons, goutons, et ainsi de suite. Sa conscience est la fondation sur laquelle sont batis notre esprit (Mind) et les objets qu’il percoit. Le Monde est Brahman car il n’est rien qui ne soit Lui. Mais Brahman n’est pas le Monde, car Il y est non seulement immanent, mais Il le depasse.
L’Univers existe en Lui, se meut en Lui et se dissout en Lui. St Paul aussi dit: “en Lui nous vivons.” Notre monde et le grand univers dont il n’est qu’un fragment, ne sont qu’une “tension” limitee et changeante dans l’infinie et invariable surface du calme ocean de la Conscience. Comme le dit I’impartial et savant irlandais, professeur Ballantyne, on a souvent accuse a tort les Vedantistes de pretendre que le phenomenal est le reel, tandis que l’enseignement vrai est ainsi renverse. On les a accuses, eux et leur doctrine, d’un certain nombre d’autres choses. On a dit par exemple que l’existence de Brahman est comme un bloc de pierre, qu’elle n’est rien, car elle est sans les attributs de l’existence phenomenale, et autres absurdites. Je recommande e, ceux qui sont desireux de porter des accusations de s’instruire a l’avance de leur sujet. Comme le fait remarquer le Dr. Ballantyne dans son “Hindouisme compart au Christianisme,” quand l’indigene instruit de ce pays decouvre qu’on porte des accusations ridicules, il retient ceux qui les portent comme des gens inferieurs, incapables de comprendre sa croyance,
Voila pour l’intelligence. Ensuite passons a l’aspect spirituel de ces critiques. Un Sannyasi (ascete) de l’lnde occidental, quand des gens venaient demander son avis sux des points controverses et du meme genre, avait coutume de repondre : “ Pensez-toujours a Dieu et ne dites du mal d’aucime religion.” Si les gens avaient toujours cette pensee presente a l’esprit, ils n'auraient jamais ni le temps, ni l'envie de parler en mal. Comparons cette attitude avec les horribles persecutions qui ont deshonore l’occident et les querelles (tant pis pour les hypocrisies de nos jours) qui durent entre les Secularistes et les Eglises, et entre les Eglises elles-memes.
Le monde est sorti de Brahman par sa volonte ou Shakti qui est nommee la Mere de l’Univers. Pour illustrer davantage les remarques deja faites, un critique orientaliste americain nomme cette adoration de la Mere une doctrine pour suffragettes monistes. Je n’ai pas le temps d’expliquer ici combien cette affirmation est ridiculement erronee. Cette doctrine n’a pas plus de rapport avec la question feministe qu’avec les pensions de vieillesse. Mais comment blamer l’Americain quand nous trouvons un Hindou distingue qui dit que les Shaktas, ou fideles de la Mere (nombreux dans le Bengale) pensent que Dieu “est une femme” (sic), et ce sont ses propres mots, “est une femme”. L’explication est que l’Hindou en question, quoique Sanskritiste distingue, etait si europeanise qu’il ne pouvait plus comprendre les idees de son pays.— De plus, il appartenait a une des sectes soi-disant reformeas, qui pratique un melange d’hindouisme et de protestantisme anglais et etait l’antagoniste par temperament de pareilles croyances. Le mot “Mere” comme le mot “Pere”, sont pris dans notre plan comme symboles. On appelle Dieu “Mere”, non parce qu’Il est masculin ou feminin, car Dieu depasse tout sexe, mais parce que, comme la mere humaine porte et nourrit son enfant, Dieu concoit, porte, nourrit et protege le monde. Les uns emploient le mot “Mere”. Le Bhama insense (ainsi qu’on a surnomme un religieux tantrique du siecle dernier), disait a un homme que je connais et qui avait perdu sa mere:—“les meres et ceux qui ont suce leur lait sont mortels, mais celui qui a suce le lait des seins de la Mere Universelle est immortel.” D’autres l'appellent “Pere”. Mais le Pere et la Mere ne se querellent pas ce propos, quoique leurs enfants le fassent. Voila pour la question de devotion.
Philosophiquement Shakti, qui vient du radical “Shak” “etre capable”, ou “pouvoir”, denote I’aspect cinetique ou mouvant de la Supreme Conscience qui meut le monde, tout comme Brahman ou Shiva denotent l'aspect statique ou sans changement de la Conscience. Il y a done du changement dans l’invariabilite. Brahman, en tant que Lui-meme, ne change pas. Brahman en tant que monde, change.
Apres avoir examine la connaissance fondamentale de Dieu et de sa Puissance, je passerai au monde qui est issu de Lui. Le monde, en sanscrit, est le “ Jagat”, un mot qui signifie “mouvement”, car le monde considere dans son ensemble eb dans chaque atome, est une chose continuellement mouvante. Rien ne s’arrete un seul moment. Au contraire, Brahman est immobile.
Le monde est compose d’Esprit (Mind ou Antahkarana), et de Matiere (Bhuta). La Matiere nous est reelle pendant sa duree, mais n’est pas une chose indestructible telle qu’elle se manifeste. Elle se transforme en ether, l'ether en esprit, (mind) et l'esprit en Conscience. Quoique notre grand poete aie dit, il y a plusieurs siecles, que nous sommes de la meme etoffe que les Reves, “We are such stuff as dreams are made of ”; ce n’est que recemment que la science occidentale est arrives aux memes conclusions. La Matiere et l'Esprit (mind) representent les aspects objectifs et subjectifs de l'existence. Ce qui est pour nous “objet” est “sujet” en lui-mdme. Esprit (mind) et Matiere sont des formes de la Force. Il faut se rappeller ce point essentiel que suivant les idees hindoues, l’esprit (mind) est, ou bien, (car les ecoles varient), une force inconsciente en fait, ou bien une apparence d’inconscience.
L’Esprit (Mind) est une limitation (reelle ou apparente) de la Conscience. C’est la Conscience, qui est la source de l’esprit et le fond de toute experience. Cette force est une manifestation de Shakti, qui de sa propre nature est Conscience. Il ne faut pas identifier l’esprit (Mind) avec la Conscience. Ce n’est qu’un instrument de la Conscience. Dieu est sans la pensee telle que nous la concevons (Amanah), mais Il est la Conscience elle-meme. Esprit (Mind) et matiere sont done une manifestation de la Conscience, qui est le principe invariable de l’experience, par lequel nous pensons et agissons. Comme toutes les choses procedent de Shakti, ou Puissance de Dieu, et comme Shakti ou la Puissance de Dieu est Conscience, en fin de compte, matiere ou esprit (mind),—tout est Conscience. Pourtant et naturellement nous ne percevons point ceci, car notre nature est dans la dualite. Nous envisageons les choses comme existant en dehors de nous et elles sont exterieures pour la conscience limitee de l'homme. Mais l'homme et l’univers ne sont que de minuscules parties du grand “Moi” ou Brahman, qui experimente l’univers comme Lui-meme, ou Shakti, “le Coeur du Seigneur”, suivant une belle expression de la Parapraveshika. Dans l'homme, il y a une distinction entre le sujet et l’objet, esprit et matiere, mais une pareille distinction n’existe pas en Dieu, car il serait alors divise en parties et limite. Il est la Conscience Supreme, qui est Beatitude, qui Elle meme est Amour. Le Moi-Supreme (Atma), est son propre objet.
Le “Moi unique”, dans son Paradis de bonheur supreme, au dela des mondes du bien et du mal meles, entend la voix du Serpent qu’on appelle Kundalini (qui est la Force qui s’enroule) ; et c’est Elle qui, polarisant la Conscience unique en objet et sujet, la projette dans les mondes de la duality et du bien et du mal, dont la limite est le tranchant de la lame flamboyante de l'epee de la desse Kali.
II.
La demiere fois j’ai etudie les concepts de Veda ou Connaissance Spirituelle, Brahman ou Shiva (Dieu), et sa Puissance (Shakti) ; l'Univers (Jagat) evolue par Lui et de Lui, Esprit (Mind) et Matiere. Aujourd’hui j’examinerai ceux de Atma (le Moi) ; Dharma ou Moralite ; Karma (Action) ; Svarga (Ciel) ; Naraka (Enfer) et le Bonheur Supreme, Moksha ou Liberation.
Il y a un “Moi” qu’on appelle Atma. Cet Atma est “ Etre-Conscience-Beatitude ” (Sachchidananda). Il a deux aspects, suivant qu’il est transcendant et non-manifeste, ou immanent et manifeste. C’est-a-dire, dans l’enonciation Europeenne, suivant que nous l’envisagions comme Dieu, ou homme et autres creatures. Dans son aspect transcendant supreme, Atma est appele Paramatma, qui veut dire Moi- Supreme. Dieu est le seul Moi-Supreme. Shiva est Paramatma, car Il existe en lui-meme. Sous un autre aspect, Atma, est appele Jivatma. Le radical “ Jiv” signifie “ Vivre” et Jivatma, par consilient, est Atma se manifestant dans tous les etres, c’est-a-dire les creatures qui, neanmoins, ne sont que des formes limitees du Supreme Shiva d’ou elles viennent.
Philosophiquement Jiva ou Jivatma, est toute forme d’etre manifeste, organique ou inorganique. Populairement le terme Jiva est applique a la vie organique sous la forme d’Atres vivants. Suivant le Monisme Indien, il n’y a qu’un Atman. Paramatma et Jivatma. sont un. Dieu et la Creture sont un ; mais dans quel sens ? Ceci n’est generalement pas compris. Prenons n’importe quel homme en particulier. Il est un Esprit (Spirit) en esprit (mind) et matiere (body). Son esprit ou son corps sont habiles ou stupides, grands on petits, et ainsi jde suite. II est evident que pour autant quil est une forme particuliere d’esprit (mind) et de matiere (body), il ne pent etre semblable a Dieu considere en Lui-meme (Syarupa ou propria forma), car ce dernier est pur Esprit (Spirit). Mais pour autant que l’homme est Esprit il est un avec Dieu. L’Esprit (Spirit) est un. L’Esprit (Spirit) n’est pas divise en classes superieures ou inferieures, premiere ou seconde, comme en chemin de fer. L’homme en tant qu’Esprit (Spirit) n’est, par consequent, pas different de Dieu en tant qu’Esprit (Spirit). Mais l’homme, pour autant qu’il et esprit (mind) est matiere, n’est pas semblable a Dieu tel qu’il est en lui-meme, car Il est pur Esprit (Spirit). Mais alors, peut-on demander, que sont esprit (Mind) et matiere? On ne peut pas dire qu’il y ait quelque chose qui ne soit Dieu en aucun sens, car dans ce cas, il y aurait Dieu et non-Dieu, et Dieu ne serait pas infini et omnipresent. Il y aurait quelque chose ou Il ne serait pas.—La reponse est que, alors que l’esprit et la matiere ne sont pas ce que Dieu est en lui-meme, ce qu’on appelle en Sanscrit son Svarupa, (en latin propria forma), ils sont sa puissance d'apparaitre sous des formes limitees qui est appelee Shakti. Il est Esprit (Spirit) ou Etre-Conscience-Beatitude. Sa Puissance engendre esprit (mind) et matiere, qui sont des formes de forces inconscientes : ce qui veut dire qu’Il nous apparait sous ces formes. Par “apparcnce” comme esprit et matiere, il ne faut pas comprendre que “Lui” dans son aspect supreme change en ceci ou cela, mais bien l’experience que nous avons de Lui. En resume, la vraie nature interne etemelle de l’homme est Esprit (Spirit), qui est un. La nature exterieure, ou vehicule de l’esprit, est d’apparence multiple. Mais esprit et matiere sont la puissance manifesto de Dieu, et la puissance 'nest pas differente de son possesseur, Des lors, l’homme comme Esprit est un avec Dieu (Brahman ou Shiva), et comme esprit (mind) et corps, est une manifestation particuliere de sa Puissance ou Shakti. Shakti, et Lui, dans lequel elle existe (Shaktiman), ou. possesseur de puissance, ne sont qu’un. On dit: “Aime ton prochain comme toi meme.” L’Hindou dit: “Oui, parce qu’au fond il est toi-meme.”
Dhanna est un concept magnifique. On le traduit, par Religion, Devoir, Loi, Bonnes Oeuvres, Usages, Coutumes, Merite, Piete, Morality, et ainsi de suite. Adharma est le contraire de toutes ces significations de Dharma. Mais nous devons plonger plus avant si nous voulons saisir la profondeur de ce concept. Voyons d’abord, comme je le fais toujours, l’etymologie.
Dharma vient du radical “Dhri” “soutenir,” “soulever”. C’est ce qui soutient I’univers (Dhariyate). C’est ce qui fait d’une personne ou d’une chose ce qu’elles sont, et en meme temps les differencie l'une de l’autre. Dharma signifie la nature d’une chose (Svalakshanadharanat dharma). Ainsi, c’est le Dharma du feu de bruler, du poisson de nager, de l’homme de penser et de lutter pour les buts les plus eleves. C’est done la loi fondamentale d’lm etre. Il en resulte que si un etre ne suit pas cette loi, il souffre et perit a la fois. Si un animal mange des aliments contraires a sa nature, il offense son Dharma. Chaciune de nos maladies est une offense consciente ou inconsciente contre les lois de notre etre physique. Chaque peche est une offense contre notre etre moral. Ainsi dit-on que la morality est partie de la nature d’une personne. Ce n’est pas une chose artificielle, inspire du dehors comme le serait l’Ukase d’un Tsar Universel, c’est-a-dire quelque chose qui peut etre ou n’etre pas.
Elle est necessairement comprise dans l’existence, car elle la nature d’existence. Si l’homme suit le Dharma, il prospere dans ce monde ou dans le futur (Paraloka). Si l’homme suit le Dharma en faisant de bonnes actions avec le desir de recolter les fruits de ses actes, il ira au ciel (Svarga); s’il commet de mauvaises actions, il ira en enfer (Naraka). Ce sont des etats de I’ame dans lesquels elle existe apre la mort et avant la prochaine reincarnation. Le Vishnu Puiana dit que la vertu est le ciel, le vice l’enfer, et l’enfer est ce qui fait mal. Ni l’enfer ni le ciel ne sont eternels. Aucune des bonnes actions commises dans une vie limitee ne merite le ciel eternel, ni les mauvaises actions l’enfer eternel. Rien n’est eternel que Brabman. Si les bonnes actions sont commises de fagon desinteressee, sans desir pour la recompense, mais en offrande au Seigneur, et si l'homme atteint la veritable connaissance spirituelle, alors l'ame est liberee. De quoi?—du monde des formes et par consequent de la souffrance. C’est un etat qui depasse les ciels et les enfers, car il est eternel, et eux sont transitoires.
Le Karma determine la renaissance et aussi la jouissance du ciel ou les tourments de l’enfer. Le mot vient de “Kri”,—faire, agir, et signifie toute action. Comme je l’ai dit, tout l'univers se meut. Rien ne s’arrete, meme pour un seul moment. L’homme est toujours agissant. “Action” ne signifie pas seulernent l'action exterieure, comme de remuer les bras et les jambes, mais aussi l'action mentale (Manasikriya) de la pense. Et comme on le sait, plus l'action est repetee ou prolongee, plus elle tend a se reproduire. C’est ainsi que naissent les habitudes. Nous nous modelons sur le caractere de nos actes.
Ainsi un homme profondement attache a la metaphysique regardera naturellement les choses dans un etat d’esprit philosophique. Cela s’appelle Sangskara, ou impression, tendance. Si un homme repete constamment des actes (Karma) charitables, ces actes produisent sur l'ame une impression appele Sangskara qui reste imprimee apre que les actes qui l'ont produite ont ete accomplis. Cette Sangskara, ou impression, tend a se manifester dans l'avenir par d’autres actes charitables. L’homme devient de dispositions charitables.
De meme pour les mauvaises actions et tendances. Karma etant bon ou mauvais. Le bon Karma engendre le bonheur directement dans cette vie, dans l'autre monde appele Paraloka, et dans des incarnations futures. Le mauvais Karma engendre le malheur. Quand un homme meurt, son corps perit, mais son ame demeure. Cette ame est le corps vital et mental. Le corps mental porte les impressions (Sangskara) du Karma. Et quand le moment arrive de la fin de la duree du ciel et de l'enfer, ces Sangskara ou tendances latentes murissent et l'homme renait dans un corps conforme e son Karma precedent qui est nomme Adrishta, ou valeur morale. L’univers a un but moral. Il nous donne le champ dans lequel nous pouvons gouter ou souffrir les consequences de nos actes et gagner ou le del ou la Liberation. Les memes principes s’appliquent pour la dissolution de l’univers. Car, comme l’individu meurt, un jour l’univers entier perira. Il y a des destructions partielles et totales. Dans ces dernieres l’univers entier retourne a la Puissance de Dieu dont il est issu, et apres un certain temps, il surgit a nouveau de Lui.—Pourquoi ? L’explication est que Sa volonte (Shakti) contient, quoiqu’en masse indiscernible, l’univers, consistant dans l’ensemble des Sangskara. Le Shakti d’abord obscurcit la conscience de facon qu’elle ue se reconnait pas elle-meme, mais se croit un individu separe de Dieu et des autres creatures et de cet obscurcissement (Avidyk) naissent les Sangskara ou tendances, et de celles-ci l'ame (Antahliarana) et le corps qui accomplissent des actes d’apres le Karma anterieur, Dieu, en creant le monde, agit avec justice, car il cree chacun suivant ses actions anterieures. Si nous souffrons maintenant, c’est parce que nous avons par nos actes merite de souffrir. Si nous n’avons pas merite pareille souffrance, l’Etre Supreme, d’apres les idees hindoues, est accusable d’injustice et de partiality, a moins que vous ne puissiez donner quelqu’ explication qui l’exempte. En realite, toutes les theories ne sont des explications que dans une certaine mesure. “Omnia exeunt in mysterium.” Il y a des questions dont on ne trouve la solution que dans l’experience spirituelle. Ainsi, dans le Brihadaranyakopanishad, le grand sage Yajnavalkya avait repondu aux questions indiscrytes de sa femme, la celebre et savante Gargi. “ Gargi, n’en demande pas trop ! Fiends garde que ta tSte n’eclate. Il ne faut pas trop demander sur la Divinity. Tu en demandes trop ; Gargi, “n’en demande pas trop!”
La vraie explication, (s’il y en a une), est celle du Bhakta ou devot : “ C’est Sa Volonte. ” Jusqu’a un certain point pourtant, la theorie de Karma et de la reincarnation expliquent la vie d’une meilleure facon qu’aucune autre theorie. L’action de Dieu est compares a l’effet de la pluie qui fertilise les plantes bonnes et mauvaises. Sa puissance les fait grandir, mais qu’elles soient bonnes ou mauvaises depend de leurs semences, les Sangskaras. Comme je l’ai dit, les actions sont bonnes ou mauvaises et meritent respectivement bonheur terrestre et ciel, ou malheur terrestre et enfer. Il y a beaucoup d’enfers, meme sur terre. Nombreux sont ceux qui souffrent ici, si bien que pour quelques-uns, la terre elle-meme semble un veritable enfer. Mais elle est en realite ce que nous la faisons. Ainsi que le dit le vieux Bouddhiste Krishnacharyyapada : “Comme un peintre qui dessine la figure d’un horrible demon (Yaksha) est effraye meme par son propre ouvrage, ainsi l’homme est effraye par le monde.” La doctrine de Karma exprime dans la forme la plus complete la verite “Tu recolteras ce que tu as seme.” “Jour viendra qui tout paiera.” Karma est aussi double dans ce sens que, bon ou mauvais, il est accompli avec le desir de ses recompenses (Sakama) ou sans ce desir (Nishkama). Nous devons tous agir, mais Karma peut etre l'un ou l’autre. Supposons qu’un homme donne de l’argent e un autre avec l’espoir d’etre loue par les autres pour cet acte de generosite, ou meme avec l’espoir de gagner le ciel par son acte ; son acte est accompli avec le desir de la recompense (Sakama). Il sera exauce et aura la louange ou le ciel. Mais s’il le fait pour Dieu seulement, ou pour l’amour de la bonte, ne cherchant rien pour lui-meme, ce sera le Nishkama Karma. Sakama Karma, ou Karma avec desir, recoit recompense ou chatiment sur la terre, ou dans le ciel et l’enfer. Mais l’enfer et le ciel sont des mondes autant que le monde present. Tous deux sont des choses exterieures (Bahya). Il y a duality en eux. Mais quand le moi phenomenal, le Ego humain, est detruit par l'homme devenant purement desinteresse, il passe au dela de la terre, du ciel et de l’enfer, et son esprit devient un avec Dieu. Il en a toujours ete ainsi, mais alors seulement il le comprend. Il atteint alors la supreme beatitude qui est eternelle. Il ne renait plus jamais. Et ceci est l’ardent desir de toute pensee spirituelle aux Indes ; delivrance de la renaissance et unite avec Dieu. Ceci est possible a tous ; car quand l'homme s’efforce d’y arriver, il se produit en lui ce qu’on appele le Shaktipata—litteralement “la descente de Puissance”— la Puissance de Dieu. C’est ce que les theologiens occidentaux appellent la Grace et que les Ecritures Shaivaites designent par “Anugraha Shakti”. Par ceci il passe dans l’au-dela.
Dieu, par le moyen de l'homme, revet diverses apparences et peut s’en depouiller. L’homme par ses actions determine son sort. Voila le concept fondamental de tout enseignement occulte en Occident comme en Orient. Nous ne sommes pas, comme le suggere Omar Khayyam, de simples pions humains sur l’echiquier divin. Nous sommes les maitres de notre destinee.
Le Monde existe pour moi parce que, consciemment ou inconscienunent, je veux qu’il existe. Le Monde existe pour vous parce que, consciemment ou inconsciemment, vous voulez qu’il existe. L’ Univers entier existe parceque dans la Volonte Divine est contenue la semence qui est l’ensemble total des desirs dont l’univers est une manifestation.
Le Paramartha ou “Summum Bonum” est la Liberation (Moksha), qui est independance de toute forme, et union avec l’Esprit incorporel. C’est le Nirvana, l’apaisement, le sejour ou l'on ne se desole plus, le sejour ou l’on ne meurt ni ne nait—l’lmmortalite.
Pour resumer, le Veda, en tant que siege de l’autorite, enseigne que Dieu (Shiva ou Brahman) est un Etre infini et pure, conscience et beatitude, dont Lui-meme est le propre objet. Par son pouvoir ou Shakti il devient son propre objet, et ainsi apparait comme Univers, conscience limitee et apparente inconscience. L’etat de l’esprit et de la matiere dans lesquels le Shakti apparait est aussi determine pour chaque forme par son histoire cosmique anterieure, ou Karma, sous la forme subtile de Sangskara. Si l'homme accomplit de bonnes actions, suivant le Dharma, il recolte le bonheur sur la terre et au ciel ; le contraire s’il commet de mauvaises actions. Mais un homme peut depasser le bien et le mal, Dharma et Adharma ; dans le sens de vrai surhomme, l'homme, qui a vaincu toutes les passions et le moi limite. Pour celui-la, il y a liberation du moi limits enferme dans les formes, et l’union avec ce qui est parfois appele en Occident la Surame (Oversoul) ; c’est le Brahman ou l’Esprit dominant.
On traite parfois le Vedanta de pessimiste, et il l'est pour autant qu’un bonheur veritable ne peut pas etre atteint dans ce monde. Le Christianisme l’est aussi dans ce meme sens. Mais tons deux sont optimistes dans ce qu’ils prechent a leur fayon qu’il y a une deiivrance de la soufirance et un bonheur etemel.—Le dessein de toute pensee hindoue, et aussi de toute pensee himiaine est de trouver le bonheur. Pour atteindre le bonheur terrestre et celeste, la moralite est indispensable. Pour atteindre le bonheur supreme, il faut aussi la Sagesse (Jnana). Nous devons developper l’esprit. La foi du charbonnier peut paraitre une belle chose a certains mais nous ne sommes pas destines a etre tons charbonniers.
Il y a trois chemins principaux et plusieurs lateraux. Ainsi que me le disait, il y a bien longtemps, un ami, qui, dans sa sphere, etait un illumine—et je n’ai jamais oublie sa question : “What do you want” ? Que voulez-vous ?
Il y a deux voies pour atteindre le “Paramartha” ou “summum bonum”. Ce sont la voie du travail, du rituel (Karma) et de la devotion (Bhakti) ; et la voie de la connaissance (Jnana). La premiere est pour la masse des hommes : la seconde pour quelques-uns seulement. La premiere purifie, developpe et prepare un homme pour la voie de la connaissance. Mais un homme, par le resultat de pratiques dans ses vies anterieures, pent venir au monde qualifie pour entrer d’une fois dans la haute voie de la connaissance.
Les Bouddhistes nomment le systeme hindou “Shilavrataparamarsha,” ce qui veut dire “croyance a la necessite des sacrements (Sangskara) et des aeuvres pieuses.” C’est vrai. Le catholicisme, comme le Brahmanisme, tombe sous la meme observation. En Occident, l’eglise catholique represente cette facon de voir, et les divisions protestantes du Christianisme sont, a des degres divers, opposees au rituel et aux sacrements. La facon de voir de l'hindou, en ceci comme en d’autres matieres, est tout inclusive. Il est dit que rituel et sacrements sont necessaires pour tous ceux qui n’ont pas atteint I’etat de connaissance (qui ne eont pas “connaissants” ou Jnani). Mais au fur et a mesure qu’on avance vers cet etat, les actes rituels deviennent de moins en moms necessaires. Suivant Karma-Yoga, quoique vous pensiez ou fassiez, pensez-le et faites-le en adoration du Seignemr. “Tat Kurusva madarpanam,” comme dit le Bhagavadgita. L’adoration n’est pas seulement la priere a reglise, au temple ou ailleurs. C’est la vie elle-meme, quand tous ses actes sans exception sont offerts au Seigneur. Il est dit dans le Bhagavadgita : “ Impartial je suis pour tous les etres.” (C’est-a-dire que le Seigneur regarde et traite tous les etres egalement.)
“Je n’ai ni ami ni ennemi. Mais je suis en ceux qui m’adorent avec devotion, et ils sont en moi.”
“Samohamsarvabhuteshu na me dveshyosti na priyah
Ye bhajanti tu mflm bhaktya mayi te, teshu chapyaham.”
La conclusion est qu’il y a un grand Moi (Paramatma) qui apparait multiple (Jivatma). Cette doctrine est enseignee par la religion qui dit que ceux qui veulent atteindre le vrai bonheur doivent realiser leur unite avec le grand Moi par l’observance de Dharma et les pratiques d’une vie religieuse. Ceux qui entrent dans la voie du peche, qui est revitement egoiste de Dharma, souffrent l’enfer sur la terre et dans des vies futures. Ceux qui observent Dharma en vue d’obtenir une recompense terrestre ou celeste obtiennent ce qu’ils dairent. Ceux qui, par une pratique assidue sue les voies inferieures, sont- prepares par leur ardent desir de liberation (Mumukshu) a entrer dans la voie de la connaissance, obtiendront la liberation de toute forme terrestre et jouiront de la Beatitude suprlme et sans fin. Tous les etres cherchent le bonheur. C’est la religion qui dit comment ce bonheur paut etre atteint. Qu’est-ce qui fait que l'homme est religieusement dispose ? C’est le resultat de ses propres actions et de Shaktipata. Cette formule expressive signifie chute ou descente de puissance. C’est la descents de la Puissance, ou, comme nous le disons, de la Grace dans l’homme. Celle-ci est accordee a celui qui a de la devotion pour la Mere de tous les mondes. C’est pour cela que les hommes lui adressent leurs prieres, et le sage realise alors l’unite avec Elle et son Epoux le Seigneur, qui est toute Beatitude.
Je terminerai par la priere, ou “Mantra,” la plus ceiebre, qui est estimee aux Indes comme la plus grande de toutes les Mantras. On l’appelle Gayatri, car celui qui la chante sera sauve. Malgre la beaute de celle-ci, il y a d’autres prieres plus belles. Mais la Gayatri est la plus reputee et se repete, comme L’Angelus, trois fois par jour: le matin, le midi et le soir, aux moments appeies Sandhya, et a ete repetee pendant des siecles avant la naissance du Christ. Elle commence et finit avec le Mantra “Om” qui est le son produit par l’agglomeration des trois lettres A,U,M, qui designent le Seigneur sous ses trois aspects— Celui qui cree, (la lettre A),—Celui qui preserve, (la lettre U),—et celui qui retire (la lettre M), communement appele “le Destructeur”. Je dis “Celui qui retire,” car Dieu ne detruit pas (Na Devah srishtinashakah). L’homme detrait; Devatli n’est pas destructeur. Dieu retire les choses vers Lui-meme. Ce Mantra “Om” est la semence (Bija) de tous les Mantras. La Gayatri est:
“Om bhuh, bhuvah, svah, Tat savitur varenyam
bhargo devasya dhimahi, dhiyo yonah prachodayat. —”
qui signifie:
“Om terre, l'atmosphere centrale, ciel! Contemplons l’admirable Esprit qui est le Createur Divin. Puisse-t-Il diriger nos esprits. Om.”
Il est de coutume aux Indes, comme marque de l’esprit hautement religieux, de commencer tout ecrit par une dedicace a Dieu sous sa forme masculine ou feminine. On trouve cela en tete des lettres, comptes, livres, et ainsi de suite, de meme que le “A.M.D.G.”, et autres formules que nous trouvons chez les Catholiques. On termine aussi par les mots “Om Shanti Shanti,” “Om la paix soit avec vous, la paix soit parmi vous. ” Je parle des Hindous orthodoxes, et non des anglicises qui souvent doivent a leur education de n’avoir aucune croyance du tout.
Et ainsi, suivant l’usage orthodoxe, je terminerai ma conference par les voeux de bonheur:
“Om, Shanti Shanti.”