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    Auguste Angellier

    Les Chrysanthèmes

    à Louis Ovion.


    Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !
    Les rosiers sont morts, et les diadèmes
    Des derniers soleils
    Tombent, en pliant leurs tiges séchées,
    Dans l’herbe où les fleurs sont déjà couchées
    Pour les longs sommeils ;

    Les géraniums, les phlox, les colchiques,
    Les lourds dahlias, et les véroniques,
    Et les verges d’or.
    Gisent dans l’humus sous les feuilles mortes,
    En proie au hideux peuple des cloportes,
    Ouvriers de mort.

    Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !
    Mais l’année a mis ses grâces suprêmes
    Dans ces pâles fleurs ;
    Leur seule rosée est la fine pluie,
    Parfois un rayon presque froid essuie
    Leur visage en pleurs ;

    Leur blancheur de cire a des teintes mauves.
    Les rideaux fanés des vieilles alcôves
    Ont leur incarnat,
    Leur plus tendre rose est teint d’améthyste,
    Et même leur or le plus clair est triste,
    Et n’a point d’éclat.

    Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !
    Quel chagrin pensif, en leurs roseurs blêmes,
    De leurs froids destins !
    Quel délicat rêve en leur blancheur chaste !
    Quels nobles et fiers ennuis dans le faste
    De leurs ors éteints !

    Elles ont grandi sans pouvoir connaître
    L’ivresse d’amour qui flotte et pénètre
    Leurs sœurs de l’été,
    Quand vibre partout le vol des insectes,
    Douloureuses fleurs, calmes et correctes
    Dans l’air déserté.

    Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !
    Allons en cueillir, puisque tu les aimes
    À l’égal des lis,
    Des amaryllis de larmes trempées,
    Et des sombres cœurs entourés d’épées
    De tes chers iris.

    Nous rapporterons, en tremblantes gerbes,
    Leurs troublantes fleurs, humbles ou superbes ;
    Nous en emplirons
    Le verdâtre et vieux vase de la Chine,
    Où s’enfuit sans cesse et se dissémine
    Un vol de hérons.

    Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !
    Nous devinerons les profonds poèmes
    D’obscure douleur,
    Qui vivent au fond de ces douces âmes,
    Dont l’effort d’aimer éclate en des flammes
    Qui sont sans chaleur.

    Quand le soir hâtif emplira la chambre,
    Nous regarderons ces fleurs de Novembre,
    Ces fleurs de souci,
    Ces fleurs sans espoir, comme des emblèmes ;
    Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes,
    Et nos cœurs aussi !




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