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    Auguste Barbier

    Le Lion

    I

    J’ai vu pendant trois jours, j’ai vu plein de colère
    Bondir et rebondir le lion populaire,
    Sur le pavé sonnant de la grande cité.
    Je l’ai vu tout d’abord, une balle au côté,
    Jetant à l’air ses crins et sa gueule vorace,
    Tordre à doubles replis les muscles de sa face ;
    J’ai vu son col s’enfler, son orbite rougir,
    Ses grands ongles s’étendre, et tout son corps rugir…
    Puis je l’ai vu s’abattre à travers la mêlée,
    La poudre et les boulets à l’ardente volée,
    Sur les marches du Louvre… et là, le poil en sang
    Et ses larges poumons lui battant dans le flanc,
    La langue toute rouge et la gueule béante ;
    Haletant, je l’ai vu de sa croupe géante,
    Inondant le velours du trône culbuté,
    Y vautrer tout du long sa fauve majesté.

    II

    Alors j’ai vu soudain une foule sans nombre,
    Se traîner à plat-ventre à l’abri de son ombre ;
    J’ai vu, pâles encor du seul bruit de ses pas,
    Mille nains grelotant lui tendre les deux bras ;
    Alors on caressa ses flancs et son oreille,
    On lui baisa le poil, on lui cria merveille,
    Et chacun lui léchant les pieds, dans son effroi,
    Le nomma son lion, son sauveur et son roi.
    Mais, lorsque bien repu de sang et de louange,
    Jaloux de secouer les restes de sa fange,
    Le monstre à son réveil voulut faire le beau ;
    Quand, ouvrant son œil jaune et remuant sa peau,
    Le crin dur, il voulut, comme l’antique athlète,
    Sur son col musculeux dresser toute sa tête,
    Lorsqu’enfin il voulut, le front échevelé,
    Rugir en souverain, — il était muselé.


    Décembre 1830.




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