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    Casimir Delavigne

    La Mort de Jeanne d’Arc

    Silence au camp ! La vierge est prisonnière ;
    Par un injuste arrêt Bedfort croit la flétrir :
    Jeune encore, elle touche à son heure dernière...
    Silence au camp ! La vierge va périr.

    Des pontifes divins, vendus à la puissance,
    Sous les subtilités des dogmes ténébreux
    Ont accablé son innocence.
    Les anglais commandaient ce sacrifice affreux :
    Un prêtre en cheveux blancs ordonna le supplice ;
    Et c’est au nom d’un dieu par lui calomnié,
    D’un dieu de vérité, d’amour et de justice,
    Qu’un prêtre fut perfide, injuste et sans pitié.

    Dieu, quand ton jour viendra, quel sera le partage
    Des pontifes persécuteurs ?
    Oseront-ils prétendre au céleste héritage
    De l’innocent dont ils ont bu les pleurs ?
    Ils seront rejetés, ces pieux imposteurs,
    Qui font servir ton nom de complice à leur rage,
    Et t’offrent pour encens la vapeur du carnage.

    A qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers ?
    Pour qui ces torches qu’on excite ?
    L’airain sacré tremble et s’agite...
    D’où vient ce bruit lugubre ? Où courent ces guerriers
    Dont la foule à long flots roule et se précipite ?

    La joie éclate sur leurs traits,
    Sans doute l’honneur les enflamme :
    Ils vont pour un assaut former leurs rangs épais :
    Non, ces guerriers sont des anglais
    Qui vont voir mourir une femme.

    Qu’ils sont nobles dans leur courroux !
    Qu’il est beau d’insulter au bras chargé d’entraves !
    La voyant sans défense, ils s’écriaient, ces braves :
    Qu’elle meure ! Elle a contre nous
    Des esprits infernaux suscité la magie...
    Lâches ! Que lui reprochez-vous ?
    D’un courage inspiré la brûlante énergie,
    L’amour du nom français, le mépris du danger,
    Voilà sa magie et ses charmes ;
    En faut-il d’autres que des armes
    Pour combattre, pour vaincre et punir l’étranger ?

    Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l’image ;
    Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents,
    Au pied de l’échafaud, sans changer de visage,
    Elle s’avançait à pas lents.
    Tranquille, elle y monta : quand, debout sur le faîte,
    Elle vit ce bûcher qui l’allait dévorer,
    Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête,
    Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête,
    Et se prit à pleurer.

    Ah ! Pleure, fille infortunée !
    Ta jeunesse va se flétrir,
    Dans sa fleur trop tôt moissonnée !
    Adieu, beau ciel, il faut mourir.

    Ainsi qu’une source affaiblie,
    Près du lieu même où naît son cours,
    Meurt en prodiguant ses secours
    Au berger qui passe et l’oublie ;

    Ainsi, dans l’âge des amours,
    Finit ta chaste destinée,
    Et tu péris abandonnée
    Par ceux dont tu sauvas les jours.

    Tu ne reverras plus tes riantes montagnes,
    Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs,
    Et ta chaumière et tes compagnes,
    Et ton père expirant sous le poids des douleurs.

    Chevaliers, parmi vous qui combattra pour elle ?
    N’osez-vous entreprendre une cause si belle ?
    Quoi ! Vous restez muets ! Aucun ne sort des rangs !
    Aucun pour la sauver ne descend dans la lice !

    Puisqu’un forfait si noir les trouve indifférens,
    Tonnez, confondez l’injustice,
    Cieux, obscurcissez-vous de nuages épais ;
    Éteignez sous leurs flots les feux du sacrifice,
    Ou guidez au lieu du supplice,
    À défaut du tonnerre, un chevalier français.

    Après quelques instans d’un horrible silence,
    Tout à coup le feu brille, il s’irrite, il s’élance...
    Le cœur de la guerrière alors s’est ranimé ;
    À travers les vapeurs d’une fumée ardente,
    Jeanne, encor menaçante,
    Montre aux anglais son bras à demi consumé.
    Pourquoi reculer d’épouvante,
    Anglais ? Son bras est désarmé.
    La flamme l’environne, et sa voix expirante
    Murmure encore : ô France ! O mon roi bien-aimé !
    Que faisait-il ce roi ? Plongé dans la mollesse,
    Tandis que le malheur réclamait son appui,
    L’ingrat, il oubliait, aux pieds d’une maîtresse,
    La vierge qui mourait pour lui !

    Ah ! Qu’une page si funeste
    De ce règne victorieux,
    Pour n’en pas obscurcir le reste,
    S’efface sous les pleurs qui tombent de nos yeux !
    Qu’un monument s’élève aux lieux de ta naissance,
    Ô toi, qui des vainqueurs renversas les projets !
    La France y portera son deuil et ses regrets,
    Sa tardive reconnaissance ;
    Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès :
    Puissent croître avec eux ta gloire et sa puissance !

    Que sur l’airain funèbre ou grave des combats,
    Des étendards anglais fuyant devant tes pas,
    Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes.
    Venez, jeunes beautés ; venez, braves soldats ;
    Semez sur son tombeau les lauriers et les roses !
    Qu’un jour le voyageur, en parcourant ces bois,
    Cueille un rameau sacré, l’y dépose, et s’écrie :
    « À celle qui sauva le trône et la patrie,
    Et n’obtint qu’un tombeau pour prix de ses exploits. »

    Notre armée au cercueil eut mon premier hommage ;
    Mon luth chante aujourd’hui les vertus d’un autre âge :
    Ai-je trop présumé de ses faibles accens ?
    Pour célébrer tant de vaillance,
    Sans doute il n’a rendu que des sons impuissans ;
    Mais, poète et français, j’aime à vanter la France.
    Qu’elle accepte en tribut de périssables fleurs.
    Malheureux de ses maux et fier de ses victoires,
    Je dépose à ses pieds ma joie ou mes douleurs :
    J’ai des chants pour toutes ses gloires,
    Des larmes pour tous ses malheurs.




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