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Charles Augustin Sainte-Beuve
Au loisir
Loisir, où donc es-tu ? le matin, je t’implore ;
Le jour, ton charme absent me trouble et me dévore ;
Le soir vient, tu n’es pas venu ;
La nuit, j’espère enfin veiller à ta lumière ;
Mais déjà le sommeil a fermé ma paupière,
Avant que mes yeux t’aient connu.
Loisir, es-tu couché sur quelque aimable rive,
Au bord d’un antre frais, près d’une onde plaintive
Te montres-tu sous le soleil ?
Ou de jour, abusant Psyché qui se lamente,
Ne descends-tu jamais aux bras de ton amante
Que sur les ailes du Sommeil ?
Sylphe léger, ton vol effleure-t-il la terre,
À l’heure de silence, où Phébé solitaire
Visite un berger dans les bois ?
As-tu fui pour toujours par delà les nuages ?
Et dans les cœurs épris de tes vagues images
N’es-tu qu’un rêve d’autrefois ?
Loisir, entends mes vœux : sur le lac de la vie
Errant depuis un jour, et déjà poursuivie
Des flots et des vents courroucés,
Au milieu des écueils, sans timon, sans étoiles,
Ma nef m’emporte et fuit ; j’entends crier mes voiles,
Et mes jeunes bras sont lassés.
Mais, si tes yeux d’en haut s’abaissaient sur ma tête,
À ton regard serein céderait la tempête,
Et je verrais le ciel s’ouvrir ;
Les vents m’apporteraient une fraîcheur nouvelle,
Et la vague apaisée, autour de ma nacelle,
En la berçant viendrait mourir.
Moi, le front appuyé sur la rame immobile,
J’aimerais savourer la volupté tranquille
D’un éternel balancement ;
Ou j’aimerais, la tête en arrière étendue,
L’œil entr’ouvert, mêler mon âme répandue
Aux flots d’azur du firmament.
Et puis, je chanterais le Loisir et ses charmes,
Ses souris nonchalants, la douceur de ses larmes,
Larmes sans cause et sans douleurs ;
Ses accents qu’accompagne une lyre d’ivoire ;
Sur son front, le plaisir couronné par la gloire,
Et le laurier parmi des fleurs.
Mais le Loisir a fui, tandis que je l’appelle,
Comme au cri du chasseur l’alouette rebelle,
Comme une onde qu’on veut saisir ;
Le Temps s’est réveillé ; ma tâche recommence :
Adieu besoins du cœur, solitude, silence,
Adieu Loisir, adieu Loisir !