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    Charles Augustin Sainte-Beuve

    À madame V. H.

    Notre bonheur n’est qu’un malheur plus
    ou moins consolé.

    DUCIS.


    Oh ! que la vie est longue aux longs jours de l’été,
    Et que le temps y pèse à mon cœur attristé !
    Lorsque midi surtout a versé sa lumière,
    Que ce n’est que chaleur et soleil et poussière ;
    Quand il n’est plus matin et que j’attends le soir,
    Vers trois heures, souvent, j’aime à vous aller voir ;
    Et là vous trouvant seule, ô mère et chaste épouse !
    Et vos enfants au loin épars sur la pelouse,
    Et votre époux absent et sorti pour rêver,
    J’entre pourtant ; et Vous, belle et sans vous lever,
    Me dites de m’asseoir ; nous causons ; je commence
    À vous ouvrir mon cœur, ma nuit, mon vide immense,
    Ma jeunesse déjà dévorée à moitié,
    Et vous me répondez par des mots d’amitié ;
    Puis tevenant à vous, Vous si noble et si pure,
    Vous que, dès le berceau, l’amoureuse nature
    Dans ses secrets desseins avait formée exprès
    Plus fraîche que la vigne au bord d’un antre frais,
    Douce comme un parfum et comme une harmonie ;
    Fleur qui deviez fleurir sous les pas du génie ;
    Nous parlons de vous-même, et du bonheur humain,
    Comme une ombre, d’en haut, couvrant votre chemin,
    De vos enfants bénis que la joie environne,
    De l’époux votre orgueil, votre illustre couronne ;
    Et quand vous avez bien de vos félicités
    Épuisé le récit, alors vous ajoutez
    Triste, et tournant au ciel votre noire prunelle :
    « Hélas ! non, il n’est point ici-bas de mortelle
    Qui se puisse avouer plus heureuse que moi ;
    Mais à certains moments, et sans savoir pourquoi,
    Il me prend des accès de soupirs et de larmes ;
    Et plus autour de moi la vie épand ses charmes,
    Et plus le monde est beau, plus le feuillage vert,
    Plus le ciel bleu, l’air pur, le pré de fleurs couvert,
    Plus mon époux aimant comme au premier bel âge,
    Plus mes enfants joyeux et courant sous l’ombrage,
    Plus la brise légère et n’osant soupirer,
    Plus aussi je me sens ce besoin de pleurer. »

    C’est que même au-delà des bonheurs qu’on envie
    Il reste à désirer dans la plus belle vie ;
    C’est qu’ailleurs et plus loin notre but est marqué ;
    Qu’à le chercher plus bas on l’a toujours manqué ;
    C’est qu’ombrage, verdure et fleurs, tout cela tombe,
    Renaît, meurt pour renaître enfin sur une tombe ;
    C’est qu’après bien des jours, bien des ans révolus,
    Ce ciel restera bleu quand nous ne serons plus ;
    Que ces enfants, objets de si chères tendresses,
    En vivant oublieront vos pleurs et vos caresses ;
    Que toute joie est sombre à qui veut la sonder,
    Et qu’aux plus clairs endroits, et pour trop regarder
    Le lac d’argent, paisible, au cours insaisissable,
    On découvre sous l’eau de la boue et du sable.

    Mais comme au lac profond et sur son limon noir
    Le ciel se réfléchit, vaste et charmant à voir,
    Et, déroulant d’en haut la splendeur de ses voiles,
    Pour décorer l’abîme, y sème les étoiles,
    Tel dans ce fond obscur de notre humble destin
    Se révèle l’espoir de l’éternel matin ;
    Et quand sous l’œil de Dieu l’on s’est mis de bonne heure,
    Quand on s’est fait une ame où la vertu demeure ;
    Quand, morts entre nos bras, les parents révérés
    Tous bas nous ont bénis avec des mots sacrés ;
    Quand nos enfants, nourris d’une douceur austère,
    Continueront le bien après nous sur la terre ;
    Quand un chaste devoir a réglé tous nos pas,
    Alors on peut encore être heureux ici-bas ;
    Aux instants de tristesse on peut, d’un œil plus ferme,
    Envisager la vie et ses biens et leur terme,
    Et ce grave penser, qui ramène au Seigneur,
    Soutient l’âme et console au milieu du bonheur.


    Mai 1829.




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