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    Charles Augustin Sainte-Beuve

    Premier amour

    Un autre plus heureux, va unir son sort à celui de mon amie. Mais, quoiqu’elle trompe ainsi mes plus chère espérances, dois-je la moins aimer ?
    Mackensie, l’Homme sensible.


    Printemps, que me veux-tu ? pourquoi ce doux sourire,
    Ces fleurs dans tes cheveux et ces boutons naissants ?
    Pourquoi dans les bosquets cette voix qui soupire,
    Et du soleil d’avril ces rayons caressants ?

    Printemps si beau, ta vue attriste ma jeunesse ;
    De biens évanouis tu parles à mon cœur ;
    Et d’un bonheur prochain ta riante promesse
    M’apporte un long regret de mon premier bonheur.

    Un seul être pour moi remplissait la nature ;
    En ses yeux je puisais la vie et l’avenir ;
    Au musical accent de sa voix calme et pure,
    Vers un plus frais matin je croyais rajeunir.

    Oh ! combien je l’aimais ! et c’était en silence !
    De son front virginal arrosé de pudeur,
    De sa bouche où nageait tant d’heureuse indolence,
    Mon souffle aurait terni l’éclatante candeur.

    Par instants j’espérais. Bonne autant qu’ingénue,
    Elle me consolait du sort trop inhumain ;
    Je l’avais vue un jour rougir à ma venue,
    Et sa main par hasard avait touché ma main.

    Que de fois, étalant une robe nouvelle,
    Naïve, elle appela mon regard enivré,
    Et sembla s’applaudir de l’espoir d’être belle,
    Préférant le ruban que j’avais préféré !

    Ou bien, si d’un pinceau la légère finesse
    Sur l’ovale d’ivoire avait peint ses attraits,
    Le velours de sa joue, et sa fleur de jeunesse,
    Et ses grands sourcils noirs couronnant tous ses traits ;

    Ah ! qu’elle aimait encor, sur le portrait fidèle
    Que ses doigts blancs et longs me tenaient approché,
    Interroger mon goût, le front vers moi penché,
    Et m’entendre à loisir parler d’elle près d’elle !

    Un soir, je lui trouvai de moins vives couleurs :
    Assise, elle rêvait : sa paupière abaissée
    Sous ses plis transparents dérobait quelques pleurs ;
    Son souris trahissait une triste pensée.

    Bientôt elle chanta ; c’était un chant d’adieux.
    Oh ! comme, en soupirant la plaintive romance,
    Sa voix se fondait toute en pleurs mélodieux,
    Qui, tombés en mon cœur, éteignaient l’espérance !

    Le lendemain un autre avait reçu sa foi.
    Par le vœu de ta mère à l’autel emmenée,
    Fille tendre et pieuse, épouse résignée,
    Sois heureuse par lui, sois heureuse sans moi !

    Mais que je puisse au moins me rappeler tes charmes ;
    Que de ton souvenir l’éclat mystérieux
    Descende quelquefois au milieu de mes larmes,
    Comme un rayon de lune, un bel Ange des cieux !

    Qu’en silence adorant ta mémoire si chère,
    Je l’invoque en mes jours de faiblesse et d’ennui ;
    Tel en sa sœur aînée un frère cherche appui,
    Tel un fils orphelin appelle encor sa mère.




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