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    Charles Baudelaire

    Le Vampire

    Toi qui, comme un coup de couteau.
    Dans mon cœur plaintif est entrée;
    Toi qui, forte comme un troupeau
    De démons, vins, folle et parée,

    De mon esprit humilié
    Faire ton lit et ton domaine.
    --Infâme à qui je suis lié
    Comme le forçat à la chaîne,

    Comme au jeu le joueur têtu,
    Comme à la bouteille l'ivrogne,
    Comme aux vermines la charogne,
    --Maudite, maudite sois-tu!

    J'ai prié le glaive rapide
    De conquérir ma liberté,
    Et j'ai dit au poison perfide
    De secourir ma lâcheté.

    Hélas! le poison et le glaive
    M'ont pris en dédain et m'ont dit:
    « Tu n'es pas digne qu'on t'enlève
    A ton esclavage maudit,

    Imbécile!--de son empire
    Si nos efforts te délivraient,
    Tes baisers ressusciteraient
    Le cadavre de ton vampire! »

    Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive,
    Comme au long d'un cadavre un cadavre étendu,
    Je me pris à songer près de ce corps vendu
    A la triste beauté dont mon désir se prive.

    Je me représentai sa majesté native,
    Son regard de vigueur et de grâces armé,
    Ses cheveux qui lui font un casque parfumé,
    Et dont le souvenir pour l'amour me ravive.

    Car j'eusse avec ferveur baisé ton noble corps,
    Et depuis tes pieds frais jusqu'à tes noires tresses
    Déroulé le trésor des profondes caresses,

    Si, quelque soir, d'un pleur obtenu sans effort
    Tu pouvais seulement, ô reine des cruelles,
    Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles.




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