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    Charles Perrault

    La Peinture

    La céleste Junon, sur le front des nuages,
    Peignit, d’or et d’azur, cent diverses images ;
    Et la mère Cybèle, en mille autres façons,
    Colora ses guérets, ses prés et ses moissons.
    Mais le plaisir fut grand de voir Flore et Pomone,
    Sur les riches présents que la terre leur donne,
    À l’envi s’exercer, en couchant leurs couleurs,
    À qui l’emporterait, ou des fruits ou des fleurs.
    Les nymphes toutefois des tranquilles fontaines
    Et des mornes étangs qui dorment dans les plaines,
    Ravirent, plus que tous, les yeux et les esprits,
    Et sur les autres dieux remportèrent le prix.
    Ce fut peu d’employer les couleurs les plus vives
    À peindre, en cent façons, le penchant de leurs rives.
    D’une adresse incroyable, on les vit imiter
    Tout ce qu’à leurs regards on voulut présenter.
    Des plaines d’alentour, et des prochains bocages,
    Sur l’heure elles formaient cent divers paysages,
    Et le plus vite oiseau, sitôt qu’il paraissait,
    Était peint sur leur onde au moment qu’il passait.

    Au pied de l’Hélicon, d’un art inimitable,
    La nymphe avait construit sa demeure agréable ;
    Là souvent, Apollon, qui, plus voisin des cieux,
    Habite de ce mont les sommets glorieux,
    Venait avec plaisir voir les nobles pensées
    Qu’avait sa docte main sur la toile tracées,
    Et lui communiquait ses savantes clartés,
    Sur les dessins divers qu’elle avait médités.
    Un jour qu’il vint trouver cette nymphe charmante,
    Dans son riche palais, où d’une main savante,
    Sur les larges parois, et dans les hauts lambris,
    Elle-même avait peint mille tableaux de prix.
    Il la vit au milieu d’une superbe salle,
    Où le jour éclairait d’une lumière égale,
    Qui, par les traits hardis de ses doctes pinceaux,
    D’un soin laborieux retouchait les tableaux
    De nos jeunes beautés, qui, toutes singulières,
    Sous ses ordres suivaient neuf diverses manières,
    Et qui, s’étant formé de différents objets,
    Avaient représenté neuf sortes de sujets.
    Celle qui s’occupait aux tableaux de l’histoire,
    Sur sa toile avait peint l’immortelle victoire
    Que sur les fiers Titans remportèrent les dieux,
    Lorsqu’un injuste orgueil leur disputa les cieux.
    Sur l’Olympe, éclatant d’une vive lumière,
    Paraissait, des vainqueurs, la troupe auguste et fière,
    Et dans l’ombre gisaient les Titans dispersés,
    Fumants du foudre encor qui les a renversés.
    Une autre, moins sévère et plus capricieuse,
    Avait, des mêmes dieux, peint la fuite honteuse,
    Quand sur les bords du Nil, vivement alarmés,
    On les voyait encor à demi transformés ;
    D’un bélier bondissant, la toison longue et belle
    Cachait le souverain de la troupe immortelle.
    La timide Vénus, plus froide qu’un glaçon,
    Femme à moitié du corps, finissait en poisson,
    Et Bacchus, dont la peur rendait les regards mornes,
    Avait déjà d’un bouc et la barbe et les cornes ;
    Apollon, qui se vit des ailes de corbeau,
    Se détourna de boute et quitta le tableau.
    Il se plut dans un autre à voir le vieux Silène,
    Qui hâte sa monture, et, s’y tenant à peine
    Mène un folâtre essaim de faunes insolents,
    Et de dieux chèvre-pieds, ivres et chancelants ;
    Ensuite il contempla l’image de son père,
    Plus connaissable encor par ce saint caractère
    Qui le fait adorer des dieux et des humains,
    Que par le foudre ardent qu’il porte dans ses mains.

    Sur la toile suivante il vit les beaux rivages
    Du sinueux Pénée, et ses gras pâturages,
    Où, libre de tous soins, à l’ombre des ormeaux,
    Pan faisait résonner ses frêles chalumeaux.

    Dans un autre tableau, riche d’architecture,
    Il voit de son palais la superbe structure,
    Où brillent à l’envi, l’or, l’argent, le cristal,
    L’opale et le rubis du bord oriental.

    Dans le tableau suivant, il sent tromper sa vue,
    Par le fuyant lointain d’une longue avenue
    De cèdres pâlissants et de verts orangers
    Dont Pomone enrichit ses fertiles vergers.

    Ensuite il voit le Nil, qui sur ses blonds rivages,
    Abreuve de ses eaux, mille animaux sauvages.

    Puis les lys, les œillets, les roses, les jasmins,
    Qui, de la jeune Flore, émaillent les jardins.
    De ces tableaux divers, le beau fils de Latone
    Contemple avec plaisir le travail qui l’étonne,
    Admire leurs couleurs, leurs ombres et leurs jours ;
    Puis, regardant la nymphe, il lui tint ce discours :
    Beauté de l’univers, honneur de la nature,
    Charme innocent des yeux, trop aimable Peinture,
    Rien ne peut égaler l’excellence des traits
    Dont brillent à l’envi ces chefs-d’œuvre parfaits ;
    Mais puisque l’avenir, en ses replis plus sombres,
    N’a rien dont mes regards ne pénètrent les ombres,
    Je veux vous révéler les succès éclatants,
    Qu’aura votre bel art dans la suite des temps,
    Quand aux simples mortels, l’Amour, par sa puissance,
    En aura découvert la première science.
    La Grèce ingénieuse, à qui les dieux amis,
    De l’âme et de l’esprit tous les dons ont promis,
    Entre les régions doit être la première
    Sur qui de tous les arts s’épandra la lumière.
    Chez elle, les mortels savants et curieux
    Marqueront les premiers les mouvements des cieux,
    Les premiers verront clair dans cette nuit obscure
    Dont se cache aux mortels la secrète nature.
    Le Méandre étonné, sur ses tortueux bords,
    De la première lyre entendra les accords.
    Votre art en même temps, pour comble de sa gloire,
    Fera mille tableaux, d’éternelle mémoire ;
    Avec un soin égal, les fruits représentés,
    Par les oiseaux déçus se verront becquetés,
    Et là, d’un voile peint avec un art extrême,
    L’image trompera les yeux du trompeur même.
    D’un maitre renommé, le chef-d’œuvre charmant,
    De sa ville éteindra l’affreux embrasement.
    D’un autre plus fameux, la main prompte et fidèle,
    Peindra la Cythérée, et la peindra si belle
    Que jamais nul pinceau n’osera retoucher
    Les beaux traits que le sien n’aura fait qu’ébaucher.
    Par mille autres travaux d’une grâce infinie,
    La Grèce fera voir sa force et son génie.

    Mais, comme le destin veut que de toutes paris,
    Habitent tour à tour la science et les arts ;
    Que de ses grands desseins la sagesse profonde,
    En veut avec le temps honorer tout le monde,
    Et dans tous les climats des hommes habités,
    Répandre de leurs feux les fécondes clartés ;
    Les jours arriveront où l’aimable Italie,
    Des arts et des vertus doit se voir embellie ;
    Le chantre de Mantoue égalera les sons
    Dont l’aveugle divin animait ses chansons ;
    Et du conseil romain les paroles hautaines
    Feront autant de bruit que les foudres d’Athènes.
    Alors éclatera l’adresse du pinceau,
    Et l’ouvrage immortel du pénible ciseau ;
    Là, de mille tableaux les murailles parées,
    Des maitres de votre art se verront admirées,
    £t les marbres vivants, épars dans les vergers,
    Charmeront à jamais les yeux des étrangers.
    Mais à quelque degré que cette gloire monte,
    Rien ne peut empêcher que Rome n’ait la honte,
    Malgré tout son orgueil, de voir avec douleur
    Passer chez ses voisins ce haut comble d’honneur ;
    Lorsque par les beaux-arts, non moins que par la guerre,
    La France deviendra l’ornement de la terre,
    Elle aura quelque temps ce précieux trésor,
    Qu’elle ne croira pas le posséder encor ;
    Mais quand, pour élever un palais qui réponde
    À l’auguste grandeur du plus grand roi du monde,
    L’homme, en qui tous les arts sembleront ramassés,
    Du Tibre glorieux les bords aura laissés ;
    Elle verra qu’en vain de ces lieux elle appelle
    La science et les arts qui sont déjà chez elle :
    Sagement, toutefois, d’un désir curieux,
    Les élèves iront enlever de ces lieux,
    Sous de vieilles couleurs, la science cachée,
    Que vainement ailleurs leur main aurait cherchée ;
    Et, mesurant des yeux ces marbres renommés,
    En dérober l’esprit dont ils sont animés.
    Les arts arriveront à leur degré suprême,
    Conduits par le génie et la sagesse extrême
    De celui dont alors le plus puissant des rois,
    Pour les faire fleurir, aura su faire choix.
    D’un sens qui n’erre point, sa belle âme guidée,
    Et possédant du beau l’invariable idée,
    Élèvera si haut l’esprit des artisans,
    En leur donnant à tous ses ordres instruisants,
    Et leur fera tirer, par sa vive lumière,
    Tant d’exquises beautés du sein de la matière,
    Qu’eux-mêmes, regardant leurs travaux plus qu’humains,
    À peine croiront voir l’ouvrage de leurs mains.

    Nymphe, c’est en ce temps que le bel art de peindre
    Doit monter aussi haut que l’homme peut atteindre,
    El qu’au dernier degré les pinceaux arrivés
    Produiront à l’envi des tableaux achevés :
    Tableaux, dont toutefois l’ample et noble matière,
    Que le prince lui seul fournira tout entière,
    Encor plus que l’art même aura de l’agrément,
    Et remplira les yeux de plus d’étonnement.
    Mille exploits inouïs, d’éternelle mémoire,
    Se verront dans le cours de sa brillante histoire,
    Où tout ce que la fable a jamais inventé,
    Aura moins d’agrément, de force et de beauté.
    Rien ne peut égaler la science infinie
    Des maitres qui peindront, au gré de leur génie,
    Ses galants carrousels, ses spectacles charmants,
    Ses ballets, ses festins, ses divertissements.
    Combien sera la main, noble, savante et juste,
    Qui donnera la vie à ce visage auguste,
    Où seront tous les traits par qui les souverains
    Charment et font trembler le reste des humains !
    Que ceux dont le bon gout donné par la nature,
    Aime, admire et connait la belle architecture,
    Auront l’esprit content et les yeux satisfaits,
    De voir les grands dessins de ses riches palais,
    Qui, pour leur noble audace et leur grâce immortelle»
    Des pompeux bâtiments deviendront le modèle !
    Qu’il sera doux de voir peint, d’un soin curieux,
    De tous les beaux vergers le plus délicieux ;
    Soit pour l’aspect fuyant des longues avenues,
    Soit pour l’aimable objet des différences vues,
    Soit pour le riche émail et les vives couleurs
    Des parterres semés des plus riantes fleurs ;
    Soit pour ces grands étangs, et ces claires fontaines,
    Qui, de leurs vases d’or, superbes et hautaines,
    Et malgré la nature, hôtesses de ces lieux,
    Par le secours de l’art monteront jusqu’aux cieux ;
    Soit enfin pour y voir mille troupes errantes,
    De tous les animaux d’espèces différentes,
    Qui, parmi l’univers jusqu’alors dispersés,
    Dans ce charmant réduit se verront ramassés !
    C’est là que le héros, las du travail immense
    Qu’exige des grands rois l’emploi de leur puissance,
    Ayant porté ses soins sur la terre et les (lots,
    Ira gouter en paix les charmes du repos,
    Afin qu’y reprenant une vigueur nouvelle,
    Il retourne aussitôt où son peuple l’appelle.
    Ainsi, lorsque mon char, de la mer s’approchant,
    Roule d’un pas plus vite aux portes du couchant,
    Après que j’ai versé dans tous les coins du monde
    Les rayons bienfaisants de ma clarté féconde,
    J’entre, pour ranimer mes feux presqu’amortis,
    Dans l’humide séjour des grottes de Thétis,
    D’où sortant, au matin, couronné de lumière,
    Je reprends dans les cieux ma course coutumière ;
    Dans ces temps bienheureux de gloire et de grandeur,
    Telle doit de votre art éclater la splendeur.
    — Là se tut Apollon, et la nymphe ravie
    De voir de tant d’honneur sa science suivie,
    Se plaignit en son cœur des destins envieux,
    Qui remettaient si loin ce siècle glorieux.

    Le Brun, c’est en nos jours que l’on voit éclaircies,
    Du fidèle Apollon les grandes prophéties ;
    Puisqu’enfin dans la France on voit de toutes paris,
    Fleurir le règne heureux des vertus et des arts.
    Tu sais ce qu’on attend de ces rares génies
    Qui, pour connaitre tout, ont leurs clartés unies ;
    Et pourquoi désormais la nature et les cieux,
    N’ont rien d’impénétrable à leur œil curieux ;
    De combien d’Amphions les savantes merveilles,
    De combien d’Arions les chansons non pareilles.
    Nous ravissent l’esprit par leurs aimables vers,
    Et nous charment l’oreille au doux son de leurs airs !
    Mais il suffit de voir ce que ta main nous donne,
    Ces chefs-d’œuvre de l’art, dont l’art même s’étonne,
    Et ce qu’eu mille endroits, dans les grands ateliers,
    Travaille, sous tes yeux, la main des ouvriers.

    C’est là que la peinture, avec l’or et la soie,
    Des grands évènements tous les charmes déploie,
    Et que la docte aiguille, avec tant d’agrément,
    Trace l’heureux succès de chaque évènement.

    Là, d’un art sans égal, se remarque dépeinte,
    Du monarque des lys la ferveur humble et sainte,
    Lorsqu’il reçoit les dons du baume précieux,
    Qu’autrefois à la France envoyèrent les cieux.

    Là, les yeux sont charmés de l’auguste présence
    De deux princes rivaux qui jurent alliance,
    Et devenus amis, mettent fin aux combats
    Qui depuis trente étés désolaient leurs états.
    Louis, le cœur touché d’une solide gloire,
    Et vainqueur des appas qu’étalait la victoire,
    Préfère, sans regret, le repos des sujets
    Au bonheur assuré de ses vaillants projets.
    Ici brille l’éclat de l’heureuse journée,
    Où le sacré lien d’un illustre hyménée,
    Parmi les vœux ardents des peuples réjouis,
    Joint le cœur de Thérèse à celui de Louis.

    Là se voit l’heureux jour, favorable à la France,
    Qui donne tous les biens qu’enferme l’espérance,
    Faisant naitre un dauphin, en qui le ciel a mis
    De quoi remplir le sort à la France promis.

    Sur un autre tableau s’aperçoit figurée
    Dunkerque, qui, des mains de l’Anglais retirée,
    Ouvre ses larges murs et le fond de son cœur

    À Louis, son monarque et son libérateur ;
    Ensuite on aperçoit la nation fidèle,
    Qui, pleine de respect, de chaleur et de zèle,
    Vient à ce grand héros d’elle-même s’offrir,
    Et, sous ses étendards, veut ou vaincre ou mourir.

    Ici le fier Marsal, au seul éclair du foudre,
    Se rend avant le coup qui l’eût réduit en poudre ;
    Et du courroux du prince évitant le malheur,
    Éprouve sa clémence au lieu de sa valeur.

    Ici, devant les yeux de l’Europe assemblée,
    L’Espagne reconnait que, de fureur troublée,
    Elle a, près la Tamise, épanché notre sang,
    Et nous cède à jamais l’honneur du premier rang.
    Au front de son ministre on voit la honte empreinte,
    Sur ceux des étrangers la surprise et la crainte ;
    Dans les yeux des Français brille l’aise du cœur,
    Et dans ceux de Louis l’héroïque grandeur.

    Ici, pour expier une pareille offense,
    Rome vient de Louis implorer la clémence,
    Promet d’en élever d’éternels monuments,
    El le désarme ainsi de ses ressentiments.

    Là le Rab étonné, voit son onde rougie
    De l’infidèle sang des peuples de Phrygie,
    Que le bras des Français, par cent vaillants efforts,
    Au salut de l’empire a versé sur ses bords.

    Mais, Le Brun, désormais il faut que tu t’apprêtes
    À donner à nos yeux ces fameuses conquêtes,
    Où le prince lui-même, au milieu des combats,
    De son illustre exemple animait les soldats ;
    Où, pareil aux torrents qui, tombant des montagnes,
    Entrainent avec eux les moissons des campagnes,
    Il a, d’un prompt effort, fièrement renversé
    Tous les murs ennemis où son cours a passé.
    De tant de grands sujets un amas se présente,
    Capable d’épuiser la main la plus savante,
    Que sans doute étonné de ce nombre d’exploits,
    Ta peine la plus grande est d’en faire le choix.

    Mais garde d’oublier, quand d’un pas intrépide
    On le vit affronter la tranchée homicide,
    Qui, surprise, trembla d’un si hardi dessein,
    Au moment périlleux qu’il entra dans son sein.
    C’est là qu’avec grand soin, il faut qu’en son visage
    Tu traces vivement l’ardeur de son courage,
    Qui, dans l’âpre danger, ayant porté ses pas,
    Le fasse reconnaitre au milieu des soldats ;
    Fais-nous voir quand Douai, succombant sous ses armes,
    Thérèse y répandit la douceur de ses charmes,
    Et de ses seuls regards fit naitre mille fleurs,
    Où naguère coulaient et le sang et les pleurs ;
    Quand Lille, se voyant presque réduite en cendre
    Par le feu des assauts, qui la force à se rendre,
    Elle ouvre à son vainqueur ses murs et ses remparts,
    Où gronde et fume encor le fier courroux de Mars ;
    En ce prince elle voit tant de vertus paraitre,
    Qu’elle bénit le ciel de lui donner un maitre,
    Qu’au prix de plus de sang elle aurait dû vouloir,
    Qu’elle n’en a versé pour ne le pas avoir.
    Surtout que ta main prenne un pinceau de lumière
    Pour tracer dignement sa victoire dernière,
    Où, le cœur averti par la secrète voix
    De cet ange qui veille au bonheur des Français,
    Il quitta tout à coup sa conquête nouvelle,
    Et courant sans relâche où la gloire l’appelle,
    II suit les ennemis qui chargeaient nos soldais,
    Lassés et dépourvus du secours de son bras.

    La terreur de son nom, qui devance ses armes,
    Épandit dans les rangs de si vives alarmes,
    Qu’arrivant sur les lieux, il trouva nos guerriers
    Qui tous, à pleines mains, moissonnaient des lauriers.
    Ces lions, à sa vue, animant leur courage,
    Firent des ennemis un si cruel carnage,
    Qu’il connut que son nom, prévenant son grand cœur,
    Dérobait à son bras le titre de vainqueur,
    Et qu’enfin la victoire attendait toute prête
    Qu’il parût à ses yeux pour couronner sa tête.
    Ainsi, quand au matin, les ombres de la nuit
    Combattent les rayons du premier jour qui luit,
    À peine, en arrivant, la belle avant-courrière
    Annonce le retour du dieu de la lumière,
    Qu’on voit de toutes parts les ombres trébucher,
    Où, derrière les monts, s’enfuir et se cacher.

    Cependant, cher Le Brun, sais-tu que cette gloire
    Dont tu le vois paré des mains de la victoire,
    Qui ternit la splendeur des autres demi-dieux,
    Qui, de son vif éclat, éblouit tous les yeux,
    Et fait qu’en le voyant l’âme presque l’adore ;
    Sais-tu que cet éclat n’est encor que l’aurore
    Et le rayon naissant des beaux et des grands jours
    Qu’il fera sur la terre au plus haut de son cours.
    Oui, du dieu que je sers, les plus sacrés augures,
    Par qui l’âme entrevoit dans les choses futures,
    Et les divins accords de nos saintes chansons,
    Ne sont qu’un vain mensonge et d’inutiles sons ;
    Oui, nous allons entrer dans un siècle de gloire,
    Oui couvrira de honte et la fable et l’histoire,
    Qui, fameux et fertile en mille exploits divers,
    Portera sa lumière au bout de l’univers.

    Que je vois de combats et de grandes journées,
    De remparts abattus, de batailles gagnées,
    De triomphes fameux, et de faits tout nouveaux
    Qui doivent exercer tes glorieux pinceaux !
    Alors, sans remonter au siècle d’Alexandre,
    Pour donner à ta main l’essor qu’elle aime à prendre,
    Dans le noble appareil des grands évènements,
    Dans la diversité d’armes, de vêtements,
    De pays, d’animaux, et de peuples étranges,
    Les exploits de Louis, sans qu’en rien tu les changes,
    Et tels que je les vois par le sort arrêtés,
    Fourniront plus encor d’étonnantes beautés ;
    Soit qu’il faille étaler sa guerrière puissance
    Près des murs de Memphis, de Suze et de Byzance ;
    Soit qu’il faille tracer ses triomphes pompeux,
    Où suivent enchainés des tyrans orgueilleux,
    Qui, sur leur triste front, auront l’image empreinte
    D’une sombre fierté qui fléchit sous la crainte,
    Et dont l’affreux regard, de douleur abattu,
    Du glorieux vainqueur publiera la vertu ;
    Où les ours, les lions, les tigres, les panthères,
    Redoutable ornement des terres étrangères,
    Les riches vases d’or et les meubles exquis,
    Marqueront les climats des royaumes conquis.

    Voilà les grands travaux que le ciel te prépare,
    Qui seront de nos jours l’ornement le plus rare,
    Et des siècles futurs le trésor précieux ;
    Puisqu’on sait que le temps, peintre judicieux,
    Qui des maitres communs les tableaux décolore,
    Rendra les tiens plus beaux et plus charmants encore,
    Lorsque de son pinceau secondant ton dessin,
    Il aura, sur leurs traits, mis la dernière main.
    Ce fut ce qu’autrefois un sage et savant maitre
    Aux peintres de son temps sut bien faire connaitre.
    Il sut, par son adresse, en convaincre leurs yeux,
    Et leur en fît ainsi l’emblème ingénieux.
    Il peignit un vieillard dont la barbe chenue
    Tombait à flots épais sur sa poitrine nue ;
    D’un sable diligent son front était chargé,
    Et d’ailes de vautour tout son dos ombragé ;
    Près de lui se voyait une faux argentée,
    Qui faisait peur à voir, mais qu’il avait quittée
    Pour prendre, ainsi qu’un maitre ébauchant un tableau,
    D’une main une éponge, et de l’autre un pinceau.
    Les chefs-d’œuvre fameux, dont la Grèce se vante,
    Les tableaux de Zeuxis, d’Apelle, et de Timante,
    D’autres maitres encor des siècles plus âgés,
    Étaient, avec honneur, à sa droite rangés ;
    À sa gauche gisaient, honteux et méprisables,
    Des peintres ignorants les tableaux innombrables,
    Ouvrages sans esprit, sans vie et sans appas,
    Et qui blessaient la vue, ou ne la touchaient pas.
    Sur les uns le vieillard, à qui tout est possible,
    Passait de son pinceau la trace imperceptible,
    D’une couche légère allait les brunissant,
    Y marquait des beautés, même en les effaçant ;
    Et d’un noir sans égal fortifiant les ombres,
    Les rendaient plus charmants en les rendant plus sombres,
    Leur donnait ce teint brun qui les fait respecter,
    Et qu’un pinceau mortel ne saurait imiter.
    Sur les autres tableaux, d’un mépris incroyable,
    Il passait, sans les voir, l’éponge impitoyable ;
    Et loin de les garder aux siècles à venir,
    Il en effaçait tout jusques au souvenir.

    Mais, Le Brun, si le temps, dans la suite des âges,
    Loin de les effacer embellit tes ouvrages,
    Et si ton art t’élève au comble de l’honneur,
    Sache que de Louis t’est venu ce bonheur ;
    Quand le ciel veut donner un héros à la terre,
    Aimable dans la paix, terrible dans la guerre,
    Dont le nom soit fameux dans la suite des ans,
    Il fait naitre avec lui des hommes excellents,
    Qui sont, par leurs vertus, leur courage et leur zèle,
    Les dignes instruments de sa gloire immortelle ;
    Et qui, pour son amour, l’un de l’autre rivaux ?
    Se suivent à l’envi dans ses rudes travaux ;
    De là nous sont donnés ces vaillants capitaines,
    Qui, semant la terreur dans les belgiques plaines,
    Et courant aux dangers sur les pas de Louis,
    Secondent de leurs bras ses exploits inouïs ;
    De là viennent encore, et prennent leur naissance,
    Ces Nestors de nos jours, dont la rare prudente
    Travaillant sous le prince au bien de ses sujets,
    Exécute avec soin ses glorieux projets.
    De là nous est donné cet homme infatigable,
    Cet homme, d’un labeur à jamais incroyable,
    Qui sans peine remplit les emplois les plus hauts,
    Qui sans peine descend jusqu’aux moindres travaux ;
    Qui, l’esprit éclairé d’une lumière pure,
    Voit tout, agit partout, semblable à la nature,
    Dont l’âme, répandue en ce vaste univers,
    Opère dans les cieux, sur la terre et les mers ;
    Où parait sa sagesse en merveilles fertile ;
    Et dans le même temps, sur le moindre reptile,
    Fait voir tant de travail, que nos regards surpris
    Ne peuvent concevoir les soins qu’elle en a pris.
    Mais le ciel, non content que, du héros qu’il donne,
    Par mille grands exploits la vertu se couronne,
    Produit, en même temps, par ses féconds regards,
    Des hommes merveilleux dans tous les plus beaux arts,
    Afin qu’en cent façons ils célèbrent sa gloire,
    Et que de ses hauts faits, conservant la mémoire,
    Des vertus du héros la brillante clarté,
    Serve encor de lumière à la postérité.
    De là nous sont venus tant de doctes Orphées,
    Qui chantent de Louis les glorieux trophées ;
    Apollon, de ses feux, anime leurs efforts,
    Et leur inspire à tous ces merveilleux accords.
    De là vient que le ciel, au gré de la nature,
    A voulu qu’en nos jours sa charmante peinture
    T’ait mis au premier rang de tous les favoris
    Que dans le cours des ans elle a le plus chéris,
    T’ait donné de son art la science profonde,
    Ait caché dans ton sein cette source féconde
    De traits ingénieux, de nobles fictions,
    Et le fond infini de ses inventions.
    Ainsi donc qu’à jamais ta main laborieuse
    Poursuive de Louis l’histoire glorieuse,
    Sans qu’un autre labeur, ni de moindres tableaux
    Profanent désormais tes illustres pinceaux ;
    Songe que tu lui dois tes traits inimitables,
    Qu’il y va de sa gloire, et qu’enfin tes semblables
    Appartiennent au prince, et lui sont réservés
    Ainsi que les trésors sur ses terres trouvés.
    Et vous, peintres savants, heureux dépositaires
    Des secrets de la nymphe et de ses saints mystères,
    Dont, par votre discours et les traits de vos mains,
    Se répand la lumière au reste des humains ;
    D’hommes tous excellents, sage et docte assemblée,
    Qui les bontés du prince ont de grâces comblée ;
    De ce roi sans égal vous savez les hauts faits,
    Vous voyez devant vous ses superbes palais ;
    Allez, et que partout vos pinceaux se répandent,
    Pour donner à ces lieux les beautés qu’ils demandent ;
    Que là, votre savoir, par mille inventions,
    Parle de ses vertus et de ses actions ;
    Montrez que de votre art la science est divine,
    Et qu’il tire des cieux sa première origine.
    Quelques profanes voix ont dit que le hasard
    Aux premiers des mortels enseigna ce bel art,
    Et que quelques couleurs, bizarrement placées,
    Leur en ont inspiré les premières pensées ;
    Mais qu’ifs sachent qu’Amour, le plus puissant des dieux,
    Le premier aux humains fit ce don précieux ;
    Qu’à sa main libérale en appartient la gloire,
    Et pour n’en plus clouter, qu’ils en sachent l’histoire.

    Dans l’ile de Paphos fut un jeune étranger,
    Qui vivait inconnu, sous l’habit d’un berger ;
    La nature avec joie, et d’un soin favorable,
    Amassant en lui seul tout ce qui rend aimable,
    Avec tant d’agrément avait su le former,
    Que ce fut même chose et le voir et l’aimer.
    Des eaux et des forêts les nymphes les plus fières,
    Sans attendre ses vœux, parlèrent les premières ;
    Mais son cœur, insensible à leurs tendres désirs,
    Loin de les écouter, méprisa leurs soupirs.

    Entre mille beautés, qui rendirent les armes,
    Une jeune bergère eut pour lui mille charmes,
    El de ses doux appas lui captivant le cœur,
    Eut l’extrême plaisir de plaire à son vainqueur ;
    L’aise qu’elle sentit d’aimer et d’être aimée,
    Accrut encor l’ardeur de son âme enflammée.
    Soit que l’astre des cieux vienne allumer le jour,
    Soit que, dans l’Océan, il finisse son tour,
    Il la voit, de l’esprit et des yeux attachée
    Sur le charmant objet dont son âme est touchée ;
    Et la nuit, quand des cieux elle vient s’emparer,
    Sans un mortel effort ne l’en peut séparer.
    Pour la seconde fois, la frileuse hirondelle
    Annonçait le retour de la saison nouvelle,
    Lorsque, de son bonheur le destin envieux
    Voulut que son berger s’éloignât de ces lieux.
    La nuit qui précéda cette absence cruelle,
    Il veut voir sa bergère, et prendre congé d’elle,
    Se plaindre des rigueurs de son malheureux sort,
    Et de ce dur départ, plus cruel que la mort.
    Elle, pâle, abattue, et de larmes baignée,
    Déplore en soupirant sa triste destinée ;
    Et, songeant au plaisir qu’elle goute à le voir,
    Ne voit, dans l’avenir, qu’horreur et désespoir.
    Amour, qui sais ma flamme et les maux que j’endure,
    N’auras-tu point pitié de ma triste aventure ?
    Je ne demande pas la fin de mon tourment ;
    Mais, hélas! donne-moi quelque soulagement.
    Sur l’aile des soupirs sa prière portée,
    Du tout-puissant amour ne fut point rejetée.
    Sur le mur opposé, la lampe, en ce moment,
    Marquait du beau garçon le visage charmant ;
    L’éblouissant rayon de sa vive lumière,
    Serrant de toutes parts l’ombre épaisse et grossière
    Dans le juste contour d’un trait clair et subtil,
    En avait nettement dessiné le profil.
    Surprise, elle aperçoit l’image figurée,
    Et, se sentant alors par l’amour inspirée,
    D’un pinceau, par hasard, sous ses doigts rencontré,
    Sa main, qui suit le trait par la lampe montré,
    Arrête sur le mur, promptement et sans peine,
    Du visage chéri la figure incertaine ;
    L’Amour ingénieux, qui forma ce dessin,
    Fut vu, dans ce moment, lui conduisant la main.

    Sur la face du mur marqué de cette trace,
    Chacun du beau berger connut l’air et la grâce,
    Et l’effet merveilleux de cet évènement
    Fut d’un art si divin l’heureux commencement.
    Par la nymphe aux cent voix la charmante Peinture,
    Instruite du succès d’une telle aventure,
    Vint apprendre aux mortels mille secrets nouveaux,
    Et leur montra si bien comment, dans les tableaux,
    Les diverses couleurs doivent être arrangées,
    Ensuite, au gré du jour, plus ou moins ombragées ;
    Comment il faut toucher les contours et le trait,
    Et tout ce qui peut rendre un ouvrage parfait ;
    Qu’enfin l’art est monté, par l’étude et l’exemple,
    À ce degré suprême où notre œil le contemple,
    Digne de la grandeur du roi que nous servons,
    Digne de la splendeur du siècle où nous vivons.




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