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Édouard Turquety
Prière
Mon père, ayez pitié : la vague s’enfle et gronde,
La vague est toute prête à déborder sur eux,
Et leurs tremblantes mains n’osent jeter la sonde,
Tant le flot se hérisse et tant le gouffre est creux.
Et comme un vil feuillage à travers la tourmente,
Ils flottent sans espoir d’un meilleur horizon :
Ils n’ont plus, pour percer la brume environnante,
Que ce frêle regard qu’ils appellent raison.
Mon père, ayez pitié : cette ombre les écrase,
Et puis rien ici-bas ne console les yeux ;
Car la sonde imprudente a soulevé la vase,
Et la mer a cessé de réfléchir les cieux.
Et comme tout frémit, comme la nue est pleine
De ces fortes rumeurs qu’aucun pouvoir n’abat,
Assourdis par l’orage, ils entendent à peine
Cette voix de la mort qui vient de Josaphat.
Mon père, ayez pitié : que vos anges dociles
Étendent sur leur tête un rideau moins profond ;
Ayez pitié d’eux tous défaillants et fragiles,
Ces hommes, ô mon Dieu, ne savent ce qu’ils font.
Flétris dès le berceau par un siècle farouche,
Ils lancent au hasard des paroles d’erreur ;
Et, si l’impur blasphème est encor sur leur bouche,
Ô mon père, il n’est pas dans le fond de leur cœur.
Oh! quand leur voix vous nomme et vous insulte en face,
S’ils savaient qu’à côté du Dieu qu’ils ont proscrit,
Toute grandeur humaine est poussière et s’efface,
Et que l’immensité tressaille au nom du Christ ;
S’ils avaient vu là-haut briller vos diadèmes,
Et vos cieux, océan de splendeur et d’éclat,
Ils frapperaient le marbre avec des fronts plus blêmes
Que celui de Saül, quand la tombe parla.
Et puis, lorsque le doigt de l’ange solitaire
Leur montrerait de loin la géhenne de feu,
Insensés de terreur jusqu’à mordre la terre,
Ils n’auraient plus de voix que pour crier : « Mon Dieu ! »