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    Émile Verhaeren

    L'Est, l'Ouest, le Sud, le Nord

    Quand tu marches, le pas rythmé, le long des champs,
    Aime à nommer pour te plaire à toi-même
    Le sud, l'ouest, l'est, le nord,
    Mots clairs et doux, mots terribles et forts,
    Qui décorent les beaux poèmes.

    Qu'ils t'évoquent les bois, les monts et le soleil ;
    Qu'ils t'évoquent la mer et le grand port vermeil
    Illuminant là-bas les confins de la terre ;
    Qu'ils t'évoquent la brousse et les déserts de feu
    Et le minaret blanc sur le ciel rouge et bleu
    Ou le gel coruscant des montagnes polaires.

    Au mois d'avril, au mois de mai,
    Le bras ballant, le pas rythmé,
    Aime à dire et à redire, pour t'y complaire,
    Leurs syllabes autoritaires.

    Aux jours d'été, quand midi bout,
    Ils sont pareils à quatre aigles qui, tout à coup
    Battent l'espace avec de grands vols fous
    Et voyagent dans les nuages.
    Aux jours d'été, ils sont pareils encor
    A des boules d'argent et d'or
    Qui dessinent des monts et des vallées,
    Immensément, dans les moissons bariolées.
    Ils sont aussi les cavaliers du vieil hiver
    Qui chevauchent l'averse et fouettent la bourrasque.

    Le givre les habille et le brouillard les masque.
    Qu'ils s'élancent soit de la plaine ou de la mer,
    Dieu sait vers quelle immense et formidable joute,
    Ils ravagent les carrefours
    Et les villages et les bourgs,
    Et les arbres qui font le tour
    De l'infini, le long des routes.

    Quand tu t'en vas le long d'un champ,
    Scande pour toi leurs noms puissants.

    Ainsi, la marche alerte et la chanson rapide
    Qui célèbrent l'Est, l'Ouest et le Sud et le Nord
    Les feront comme entrer dans la chair de ton corps,
    Avec leur souffle ardent et leur vol intrépide.
    Peut-être ils te diront l'astre qu'ils ont frôlé
    Au delà de l'éther où vivent d'autres mondes,
    Et Persée et Vénus palpitante et féconde,
    Et la Lyre debout sur l'abîme étoilé,
    Et la Vierge et Véga et le Lion et l'Ourse,
    Tu sentiras alors ton être impétueux
    Trouver sa loi dans l'ordre et la splendeur des cieux
    Et ton rêve régler son élan et sa course
    Sur le cortège d'or des étoiles, là-haut,
    Et ta force grandir et tes pensers sans nombre
    Laisser choir peu à peu et leur poids et leur ombre
    Et l'immensité claire entrer en ton cerveau.




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