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    Émile Verhaeren

    Moine sauvage

    On trouve encor de grands moines que l’on croirait
    Sortis de la nocturne horreur d’une forêt.

    Ils vivent ignorés dans de vieux monastères,
    Au fond du cloître, ainsi que des marbres austères.

    Et l’épouvantement des grands bois résineux
    Roule avec sa tempête et sa terreur en eux.

    Leur barbe flotte au vent comme un taillis de verne,
    Et leur œil est luisant comme une eau de caverne.

    Et leur grand corps drapé des longs plis de leur froc
    Semble surgir debout dans les parois d’un roc.

    Eux seuls parmi ces temps de grandeur outragée
    Ont maintenu debout leur âme ensauvagée.

    Leur esprit hérissé comme un buisson de fer,
    N’a jamais remué qu’à la peur de l’enfer.

    Ils n’ont jamais compris qu’un Dieu porteur de foudre
    Et cassant l’univers que rien ne peut absoudre ;

    Et des vieux christs hagards, horribles, écumants
    Tels que les ont grandis les maîtres allemands,

    Avec la tête en loque et les mains large ouvertes ;
    Et les deux pieds crispés autour de leurs croix vertes

    Et les saints à genoux sous un feu de tourment
    Qui leur brûlait les os et les chairs lentement ;

    Et les vierges, dans les cirques et les batailles,
    Donnant aux lions roux à lécher leurs entrailles ;

    Et les pénitents noirs qui les yeux sur le pain
    Se laissent, dans leur nuit rouge, mourir de faim.

    Et tels s’useront-ils dans de vieux monastères
    Au fond du cloître ainsi que des marbres austères.




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