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Émile Verhaeren
Le moulin
Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,
Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,
Il tourne, et tourne, et sa voile, couleur de lie,
Est triste, et faible, et lente, et lasse, infiniment.
Depuis l’aube, ses bras, comme des bras de plainte,
Se sont tendus et sont tombés ; et les voici
Qui retombent encor, là-bas, dans l’air noirci
Et le silence entier de la nature éteinte.
Les champs sont détrempés. De lourds nuages tors
Éclaboussent les loins de leurs voyages sombres,
Et le long des taillis, qui ramassent leurs ombres,
Les ornières s’en vont vers les horizons morts.
Sous un ourlet de sol, deux cassines de hêtre
Très misérablement sont assises en rond ;
Une lampe de cuivre est pendue au plafond
Et patine de feu le mur et la fenêtre.
Et dans la plaine immense et le vide dormeur,
Elles fixent — les très souffreteuses bicoques —
Avec les pauvres yeux de leurs carreaux en loques,
Le vieux moulin qui tombe et meurt.