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Gédéon Tallemant des Réaux
Le connétable de Luynes. — M. et Mme de Chevreuse
M. le connétable de Luynes étoit d’une naissance fort médiocre. Voici ce qu’on disoit de son temps. En une petite ville du comtat d’Avignon, il y avoit un chanoine nommé Aubert. Ce chanoine eut un bâtard qui porta les armes durant les troubles. On l’appeloit le capitaine Luynes, à cause peut-être de quelque chaumière qui se nommoit ainsi. Ce capitaine Luynes étoit homme de service. Il eut le gouvernement de Pont-Saint-Esprit, puis de Beaucaire, et mena deux mille hommes des Cévennes à M. d’Alençon en Flandre. Au lieu d’Aubert, il signa d’Albert. Il fit amitié avec un gentilhomme de ces pays-là, nommé Contade, qui, connoissant M. le comte du Lude, grand-père de celui d’aujourd’hui, fit en sorte que le fils aîné de ce capitaine Luynes fût reçu page de la chambre, sous M. de Bellegarde. Après avoir quitte la livrée, ce jeune garçon fut ordinaire chez le Roi. C’étoit quelque chose de plus alors que ce n’est il cette heure. Il aimoit les oiseaux et s’y entendoit. Il s’attachoit fort au Roi, et commença à lui plaire en dressant des pies-grièches. Il avoit deux frères avec lui. L’un se nommoit Brantes, et l’autre Cadenet. Ils étoient tous trois beaux garçons. Cadenet, depuis duc de Chaulnes et maréchal de France, avoit la tête belle et portoit une moustache, que de lui on a depuis appelée une cadenete. On disoit qu’a tous trois ils n’avoient qu’un bel habit, qu’ils prenoient tour à tour pour aller au Louvre, et qu’ils n’avoient aussi qu’un bidet. Leur union cependant a fort servi à leur fortune.
M. de Luynes fit entreprendre au Roi de se défaire du maréchal d’Ancre, afin de l’engager à pousser la Reine sa mère ; mais le Roi avoit si peur, et peut-être son favori aussi, car on ne l’accusoit pas d’être trop vaillant, ni ses frères non plus, qu’on fit tenir des chevaux prêts pour s’enfuir, à Soissons, en cas qu’on manquât le coup.
De Luynes, tout puissant, épousa mademoiselle de Montbazon, depuis madame de Chevreuse.
Il logeoit au Louvre, et sa femme aussi. Le Roi étoit fort familier avec elle, et ils badinoient assez ensemble, mais il n’eut jamais l’esprit de faire le connétable cocu. Il eût pourtant fait grand plaisir à toute la cour, et elle en valoit bien la peine. Elle étoit jolie, friponne, éveillée, et qui ne demandoit pas mieux. Une fois elle fit une grande malice à la Reine. Ce fut durant les guerres de la religion, à un lieu nommé Moissac, où la Reine ni elle n’avoient pu loger, à cause de la petitesse du château. Madame la connétable, qui prenoit plaisir à mettre martel en tête à madame la Reine, un jour qu’elle y étoit allée avec elle, dit qu’elle vouloit y demeurer à coucher. « Mais il n’y a point de lits, disoit la Reine. — Eh ! le Roi n’en-a-t-il pas un, répondit-elle, et M. le connétable un autre ? » En effet, elle y demeura, et la Reine non. Et quand la Reine passa sous les fenêtres du château, en s’en allant car on faisoit un grand tour autour de la montagne où ce château est situé, elle lui cria : « Adieu, madame, adieu ; pour moi, je me trouve fort bien ici. »
Au bout d’un an et demi, madame la connétable se maria avec M. de Chevreuse. C’étoit le second de messieurs de Guise, et le mieux fait de tous les quatre. Le cardinal étoit plus beau, mais M. de Chevreuse étoit l’homme de la meilleure mine qu’on pouvoit voir ; il avoit de l’esprit passablement, et on dit que pour la valeur on n’en a jamais vu une plus de sang-froid. Il ne cherchoit point le péril ; mais quand il y étoit, il y faisoit tout ce qu’on y pouvoit faire. Au siège d’Amiens, comme il n’étoit encore que prince de Joinville, son gouverneur ayant été tué dans la tranchée, il se mit sur le lieu à le fouiller, et prit ce qu’il avoit dans ses pochettes.
Il gagna bien plus avec la maréchale de Fervaques.1
Cette dame étoit veuve, sans enfants, et riche de deux cent mille écus. M. de Chevreuse fit semblant de la vouloir épouser : elle en devint amoureuse sur cette espérance, car c’étoit une honnête femme, et s’en laissa tellement empaulmer qu’elle lui donnoit tantôt une chose, tantôt une autre ; et enfin elle le fit son héritier. Il envoya son corps par le messager au lieu de sa sépulture.
Quand on fit le mariage de la reine d’Angleterre, on choisit M. de Chevreuse pour représenter le roi de la Grande-Bretagne, parce qu’il étoit son parent fort proche, qu’il avoit, comme j’ai dit, fort bonne mine, et que madame de Chevreuse avoit toutes les pierreries de la maréchale d’Ancre elle accompagna la Reine en Angleterre. Milord Rich, depuis comte Holland, l’avoit cajolée ici, en traitant du mariage. C’étoit un fort bel homme ; mais sa beauté avoit je ne sais quoi de fade. Elle disoit des douceurs de son galant et de celles de Buckingham pour la Reine, que ce n’étoit pas qu’ils parlassent d’amour, et qu’on parloit ainsi en leur pays à toutes sortes de personnes. Quand elle fut de retour d’Angleterre, le cardinal de Richelieu s’adressa à elle dans le dessein qu’il avoit d’en conter à la Reine ; mais elle s’en divertissoit. J’ai ouï dire qu’une fois elle lui dit que la Reine seroit ravie de le voir vêtu de toile d’argent gris de lin. Il l’éloigna, voyant qu’elle se moquoit de lui. Après elle revint, et Monsieur disoit qu’on l’avoit fait venir pour donner plus de moyens à la Reine de faire un enfant.
Elle se mit aussi à cabaler avec M. de Châteauneuf, qui étoit amoureux d’elle. C’étoit un homme tout confit en galanterie. Il avoit bien fait des folies avec madame de Puisieux. Il donnoit beaucoup. Il n’en fit pas moins pour madame de Chevreuse. En voyage, on le voyoit à la portière du carrosse de la Reine, où elle étoit, à cheval, en robe de satin, et faisant manège. Il n’y avoit rien de plus ridicule. Le cardinal en avoit des jalousies étranges, car il le soupçonnoit d’en vouloir aussi à la Reine, et ce fut cela plutôt qu’autre chose qui le fit mener prisonnier à Angoulême, où il ne fut guère mieux traité que son prédécesseur, le garde-des-sceaux de Marillac. Mme de Chevreuse fut reléguée à Dampierre d’où elle venoit déguisée, comme une demoiselle crottée, chez la Reine, entre chien et loup. La Reine se retiroit dans son oratoire ; je pense qu’elles en contoient bien du cardinal et de ses galanteries. Enfin elle en fit tant que M. le cardinal l’envoya à Tours, où le vieil archevêque Bertrand de Chaux, devint amoureux d’elle. Il étoit d’une maison de Basque. Ce bon homme disoit toujours ainsin comme cela. Il n’étoit pas ignorant. Il aimoit fort le jeu. Son anagramme étoit chaud brelandier. Madame de Chevreuse dit qu’un jour, à la représentation de la Mariamne de Tristan, elle lui dit : « Mais, monseigneur, il me semble que nous ne sommes point touchés de la Passion comme de cette comédie. — Je crois bien, madame, répondit-il ; c’est histoire, ceci, c’est histoire. Je l’ai lu dans Josèphe. »
Elle souffroit qu’il lui donnât sa chemise quand il se trouvoit à son lever. Un jour qu’elle avoit à lui demander quelque chose : « Vous verrez qu’il fera tout ce que je voudrai ; je n’ai, disoit-elle, qu’à lui laisser toucher ma cuisse à table. » Il avoit près de quatre-vingts ans. Il dit quand elle fut partie, car il parloit fort mal : « Voilà où elle s’assisa en me disant adieu, et où elle me dit quatre paroles qui m’assomarent. » On trouva après sa mort dans ses papiers un billet déchiré de madame de Chevreuse, de vingt cinq mille livres qu’il lui avoit prêtées.
Ce bonhomme pensa être cardinal ; mais le cardinal de Richelieu l’empêcha. Il disoit : « Si le Roi eût été en faveur, j’étois cardinal. »
Comme madame de Chevreuse étoit à Tours, quelqu’un, en la regardant, dit : « Ah ! la belle femme ! Je voudrois bien l’avoir…. ! » Elle se mit à rire, et dit : « Voilà de ces gens qui aiment besogne faite. » Un jour, environ vers ce temps-là, elle étoit sur son lit en goguettes, et elle demanda à un honnête homme de la ville : « Or ça, en conscience, n’avez-vous jamais fait faux-bond à votre femme ? « Madame, lui dit cet homme, quand vous m’aurez dit si vous ne l’avez point fait à votre mari, je verrai ce que j’aurai à vous répondre. » Elle se mit à jouer du tambour sur le dossier de son lit, et n’eut pas le mot à dire. J’ai ouï compter, mais je ne voudrois pas l’assurer, que, par gaillardise, elle se déguisa un jour de fête en paysanne, et s’alla promener toute seule dans les prairies Je ne sais quel ouvrier en soie la rencontra Pour rire, elle s’arrête à lui parler, faisant semblant de le trouver fort à son goût ; mais ce rustre, qui n’y entendoit point de finesse, la culbuta fort bien, et on dit qu’elle passa le pas, sans qu’il en soit jamais arrivé autre chose.
Le cardinal de Richelieu demanda à M. de Chevreuse s’il répondoit de sa femme : « Non, dit-il, tant qu’elle sera entre les mains du lieutenant-criminel de Tours, Saint- Jullien. » C’étoit celui qui l’avoit portée à se séparer de biens d’avec son mari ; car M. de Chevreuse faisoit tant de dépenses qu’il a fait faire une fois jusqu’à quinze carrosses pour voir celui qui seroit le plus doux.
Le cardinal envoya donc un exempt pour la mener dans la tour de Loches. Elle le reçut fort bien, lui fit bonne chère, et lui dit qu’ils partiroient le lendemain. Cependant, la nuit, elle eut des habits d’homme pour elle et pour une demoiselle, et se sauva avant jour à cheval. Le prince de Marsillac, aujourd’hui M. de La Rochefoucauld, fut mis à la Bastille pour l’avoir reçue une nuit chez lui. M. d’Epernon lui donna un vieux gentilhomme pour la conduire jusqu’à la frontière d’Espagne. Dans les informations qu’en fit faire le président Vignier, il y a, entre autres choses, que les femmes de Gascogne devenoient amoureuses de madame de Chevreuse.
Une fois, dans une hôtellerie, la servante la surprit sans perruque. Cela la fit partir avant jour. Ses drogues lui prirent un jour, on fit accroire que c’étoit un gentilhomme blessé en duel. Un Anglois nommé Craft, qu’elle avoit toujours eu avec elle depuis le voyage d’Angleterre, parut quelques jours après son évasion de Tours. On croyoit qu’il l’avoit accompagnée, car cet homme avoit de grandes privautés avec elle, et on ne comprenoit pas quels charmes elle y trouvoit. Elle passa ainsi en Espagne.
Revenons à M. de Chevreuse. Quoique endetté, sa table, son écurie, ses gens ont toujours été en bon état. Il a toujours été propre. Il étoit devenu fort sourd et pétoit partout, à table même, sans s’en apercevoir. Quand il fit ce grand parc à Dampierre, il le fit à la manière du bonhomme d’Angoulême ; il enferma les terres du tiers et du quart : il est vrai que ce ne sont pas trop bonnes terres ; et pour apaiser les propriétaires, il leur promit qu’il leur en donneroit à chacun une clef, qu’il est encore à leur donner.
Il avoit là un petit sérail ; à Pâques, quand il falloit se confesser, le même carrosse qui alloit quérir le confesseur emmenoit les mignonnes, et les reprenoit en ramenant le confesseur. Il avoit je ne sais quel bracelet où il y avoit, je pense, dedans quelque petite toison. Il le montroit à tout le monde, et disoit : « J’ai si bien fait à ces pâques que j’ai conservé mon bracelet. » Il avoit soixante-dix ans quand il faisoit cette jolie petite vie, qu’il a continuée jusqu’à la mort.
Comme il se portoit fort bien, quoiqu’il eût quatre-vingts ans, il disoit toujours qu’il vivroit cent ans pour le moins, Il eut pourtant une grande maladie bientôt après dans laquelle il fut attaqué d’apoplexie. Au sortir de ce mal, il disoit qu’il en étoit revenu aussi gaillard qu’à vingt-cinq ans. Il traita en ce temps-la avec M. de Luynes, fils de sa femme, et lui céda tout son bien, à condition de lui donner tant de pension par an, de lui fournir tant pour payer ses dettes, et il voulut avoir une somme de dix mille livres tous les ans pour ses mignonnes.
Madame de Luynes envoya un jour ordre aux officiers de faire vider de la duché toutes les femmes de mauvaise vie. Les officiers lui mandèrent que pour eux ils ne les discernoient point d’avec les autres, et que si elle savoit quelque marque pour les connoître, qu’elle prît la peine de le leur mander.
Note
1. Le mari de cette dame, pour guérir une religieuse possédée lui fit donner un lavement d’eau bénite.