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    Gédéon Tallemant des Réaux

    Mademoiselle Paulet

    Mademoiselle Paulet étoit fille d’un Languedocien qui inventa ce qu’on appelle aujourd’hui de son nom la Paulette, invention qui ruinera peut-être la France. Sa mère étoit de fort bas lieu et d’une race fort diffamée pour les amourettes. Elle disoit que son père étoit gentilhomme. Sa mère menoit une vie assez gaillarde. Mademoiselle Paulet avoit en sa jeunesse beaucoup de vivacité, étoit jolie, avoit le teint admirable, la taille fine, dansoit bien, jouoit du luth, et chantoit mieux que personne de son temps, mais elle avoit les cheveux si dorés qu’ils pouvoient passer pour roux.

    Le père, qui vouloit se prévaloir de la beauté de sa fille, et la mère, qui étoit coquette, reçurent toute la cour chez eux. M. de Guise fut celui dont on parla le premier avec elle. On disoit qu’il avoit laissé une galoche en descendant par une fenêtre. Il disoit qu’il lui sembloit avoir toujours le petit chose de la petite Paulet devant les yeux. M. de Chevreuse suivit son aîné, et ce fut ce qui la décria le plus, car il lui avoit donné pour vingt mille écus de pierreries dans une cassette : elle la confia à un nommé Descoudrais, à qui il la fit escamoter.

    Le ballet de la Reine-mère se dansa en ce temps-la. Elle y chanta des vers de Lingendes, qui commençoient ainsi :

    Je suis cet Amphion, etc.

    Or, quoique cela convînt mieux à Arion, elle étoit pourtant sur un dauphin, et ce fut sur cela qu’on fit ce vaudeville :

    Qui fit le mieux du ballet ?

    Ce fut la petite Paulet.

    
Madame de Rambouillet, qui avoit eu de l’inclination pour cette jeune fille dès le ballet de la Reine-mère, après avoir laissé passer bien du temps pour purger la réputation, et voyant que dans sa retraite on n’en avoit point médit, commença à souffrir, à la prière de madame de Clermont-d’Entragues, femme de grande vertu et sa bonne amie, que mademoiselle Paulet la vît quelquefois. Pour madame de Clermont. elle avoit tellement pris cette fille en amitié qu’elle n’eut jamais de repos que mademoiselle Paulet ne vint loger avec elle. Le mari, fort sot homme du reste, soit qu’il craignît la réputation qu’avoit eue cette fille, soit, comme il y a plus d’apparence, car madame de Clermont n’étoit point jolie, qu’il crût que sa femme donnoit à mademoiselle Paulet, qui alors, pour ravoir son bien, plaidoit contre diverses personnes, le mari, dis-je, avoit traversé longuement leur amitié ; mais enfin on en vint à bout. Ce fut ce qui servit le plus à mademoiselle Paulet pour la remettre en bonne réputation ; car après cela madame de Rambouillet l’a reçue pour son amie, et la grande vertu de cette dame purifia, s’il faut ainsi dire, mademoiselle Paulet, qui depuis fut chérie et estimée de tout le monde.

    Elle retira environ vingt mille écus de son bien, avec quoi elle a fait de grandes charités. Elle nourrissoit une vieille parente chez elle.

    L’ardeur avec laquelle elle aimoit, son courage, sa fierté, ses yeux vifs et ses cheveux trop dorés lui firent donner le surnom Lionne. Elle avoit une chose qui ne témoignoit pas un grand jugement, c’est qu’elle affectoit une pruderie insupportable. Elle fit mettre aux Madelonnettes une fille qu’elle avoit, qui se trouva grosse. Depuis, je ne sais quel petit commis l’épousa, et devint après un grand partisan. Après elle en prit une si laide que le diable en eût eu peur. Je lui ai ouï dire qu’elle voudroit que toutes celles qui avoient fait galanterie fussent marquées au visage. Elle n’écrivoit nullement bien, et quelquefois elle avoit la langue un peu longue. Elle aimoit et haïssoit fortement. Ce furent madame de Clermont et elle qui introduisirent M. Godeau, depuis évêque de Grasse, à l’hôtel de Rambouillet. Il étoit de Dreux, et madame de Clermont avoit Mézières là tout auprès. Enfin il logea avec elles, et l’abbé de La Victoire appeloit mademoiselle Paulet madame de Grasse. Un soir, elle alla, déguisée en oublieuse, à l’hôtel de Rambouillet. Son corbillon étoit de ces corbillons de Flandre avec des rubans couleur de rose ; son habit de toile tout couvert de rubans avec une calle de même. Elle joua des oublies, et on ne la reconnut que quand elle chanta la chanson.

    Elle ne laissa pas d’avoir des amants depuis sa conversion, mais on n’a médit de pas un. Voiture dit qu’elle avoit pour serviteurs un cardinal, car le cardinal de La Valette, en riant, l’appeloit ma maîtresse, un docteur en théologie ; un marchand de la rue Aubry- Boucher ; un commandeur de Malte ; un conseiller de la cour ; un poète, et un prévôt de la ville. Ce marchand de la rue Aubry-Boucher étoit un original. Il prit à cet homme une grande amitié pour madame de Rambouillet ; mais celle qu’il avoit pour mademoiselle Paulet se pouvoit appeler amour. À l’entrée qu’on fit au feu Roi, au retour de La Rochelle, il s’avisa, car il étoit capitaine de son quartier, d’habiller tous ses soldats de vert, parce que c’étoit la couleur de la belle. Tous ses verts-galants firent une salve devant la maison où elle étoit avec madame de Rambouillet, madame de Clermont et d’autres. La Lionne, qui ne prenoit pas plaisir à être aimée de cet animal-la, en rugit une bonne heure. Cependant il se fallut apaiser et aller avec ces dames au jardin du galant, dans le faubourg Saint-Victor, où il leur donna la collation. Sa femme vint à mourir ; il se remaria avec une personne qu’il voulut à toute force, parce qu’elle avoit de l’air de mademoiselle Paulet. À soixante ans il alla par dévotion à Rome. Si la Lionne eût été encore au monde quand la fille de cet homme fit tant l’acariâtre contre madame de Saint- Etienne, comme elle l’auroit dévorée !

    J’oubliois une galanterie que madame de Rambouillet fit à mademoiselle Paulet, la première fois qu’elle vint à Rambouillet. Elle la fit recevoir à l’entrée du bourg par les plus jolies filles du lieu et par celles de la maison, toutes couronnées de fleurs et fort proprement vêtues. Une d’entre elles, qui étoit plus parée que ses compagnes, lui présenta les clefs du château, et quand elle vint à passer sur le pont, on tira deux petites pièces d’artillerie qui sont sur une des tours.

    Mademoiselle Paulet mourut en 1651, chez madame de Clermont, en Gascogne, où elle étoit allée pour lui tenir compagnie. M. de Grasse (Godeau) y alla exprès de Provence pour l’assister à la mort. Elle ne paroissoit guère que quarante ans, et en avoit cinquante- neuf. Tout le monde vouloit qu’elle fût beaucoup plus vieille qu’elle n’étoit. Cela venoit de ce qu’elle avoit fait du bruit de bonne heure.




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