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    Gédéon Tallemant des Réaux

    M. de Turin

    M. de Turin étoit un conseiller au parlement de Paris, grand justicier, mais de qui on contoit de plaisantes choses. Il appeloit son clerc cheval, son laquais mulet et sa femme p…

    Un gentilhomme, dont il étoit rapporteur, alla une fois pour parler à lui ; il le rencontra en habit court, fait comme un cuistre, qui revenoit de la cave, avec son martinet à la main. Il ne l’avoit peut-être jamais vu, ou il ne le reconnut pas, et il lui dit : « Mon ami, où est M. de Turin ? — Mon ami ! dit M. de Turin, quel impertinent est-ce là ? » Le cavalier, peu accoutumé à souffrir des injures, lui donne un soufflet et se retire. Il sut après que c’étoit M. de Turin, et le voilà en belle peine. Le bonhomme rapporta le procès comme si de rien n’étoit, et dit à son clerc : « Cheval, apporte-moi le procès de ce batteur. » Il le voit, et trouvant que le cavalier avoit bon droit, il le lui fait gagner, et l’ayant rencontré sur les degrés du Palais, il lui donne un petit coup sur la joue en riant, et lui dit : « Apprenez à ne battre plus les gens : vous avez gagné votre procès. » L’autre, qui croyoit tout perdu, se pensa mettre à genoux.

    Il se trouva chargé du procès d’entre feu M. de Bouillon et de M. de Bouillon La Marck, pour Sédan. Henri IV l’envoya quérir, et lui dit (Voyez quelle justice !) : « M. de Turin, je veux que M. de Bouillon gagne son procès — Hé bien, Sire, lui répondit le bonhomme, il n’y a rien plus aisé ; je vous l’enverrai, vous le jugerez vous-même. »

    Quand il fut parti, quelqu’un dit au Roi : « Sire, vous ne connoissez pas le personnage, il est homme à faire ce qu’il vous vient de dire. » Le Roi sur cela y envoya, et on trouva le bonhomme qui chargeoit les sacs sur un crocheteur. Le Roi accommoda cette affaire.

    Madame de Guise et mademoiselle de Guise, sa fille. depuis princesse de Conti, le furent solliciter une fois. Il les fit attendre assez longtemps, et après il se mit à crier tout haut : « Cheval, ces p…. sont-elles encore là-bas ? »

    Un seigneur, qui avoit gagné une grande affaire à son rapport, lui envoya un mulet qui alloit fort bien le pas. M. de Turin trouva ce mulet à son retour du Palais ; il ne fit autre chose que de prendre un bâton, et d’en frapper le mulet jusqu’à ce qu’il le vît hors de chez lui.

    On dit qu’un gentilhomme lui fit une fois un grand présent de gibier. Il laissa descendre cet homme, mais comme il sortoit dans la rue, il lui jeta ce gros paquet de gibier fort rudement sur la tête, en lui disant qu’il apprît à ne pas corrompre ses juges.




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