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Jean de La Fontaine
Le Lion et le Moucheron
Va-t’en, chetif insecte, excrement de la terre.
C’est en ces mots que le Lion
Parloit un jour au Moûcheron.
L’autre luy declara la guerre.
Penses-tu, luy dit-il, que ton titre de Roy
Me fasse peur, ny me soucie ?
Un bœuf est plus puissant que toy ;
Je le meine à ma fantaisie.
A peine il achevoit ces mots,
Que luy-mesme il sonna la charge,
Fut le Trompette et le Heros.
Dans l’abord il se met au large ;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du Lion qu’il rend presque fou.
Le quadrupede écume, et son œil étincelle ;
Il rugit, on se cache, on tremble à l’environ :
Et cette alarme universelle
Est l’ouvrage d’un Moûcheron.
Un avorton de Moûche en cent lieux le harcelle,
Tantost picque l’échine, et tantost le museau,
Tantost entre au fond du nazeau.
La rage alors se trouve à son faiste montée.
L’invisible ennemy triomphe et rit de voir
Qu’il n’est griffe, ny dent en la beste irritée,
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le mal-heureux Lion se déchire luy-mesme,
Fait resonner sa queuë à l’entour de ses flancs,
Bat l’air qui n’en peut mais, et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat ; le voila sur les dents.
L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonna la victoire ;
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une araignée.
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut estre enseignée ?
J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis,
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre qu’aux grands perils tel a pu se soustraire,
Qui perit pour la moindre affaire.