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Jean de La Fontaine
Le Lion et le Rat, La Colombe et la Fourmy
Il faut autant qu’on peut obliger tout le monde.
On a souvent besoin d’un plus petit que soy.
De cette verité deux Fables feront foy ;
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d’un Lion,
Un Rat sortit de terre assez à l’étourdie.
Le Roy des animaux en cette occasion
Montra ce qu’il estoit, et luy donna la vie.
Ce bien-fait ne fut pas perdu.
Quelqu’un auroit-il jamais crû
Qu’un Lion d’un Rat eût affaire ?
Cependant il avint qu’au sortir des Forests
Ce Lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissemens ne le pûrent défaire.
Sire Rat accourut, et fin tant par ses dents,
Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ny que rage.
*
L’autre exemple est tiré d’animaux plus petits.
Le long d’un clair ruisseau beuvoit une Colombe :
Quand sur l’eau se panchant une Fourmis y tombe,
Et dans cét Ocean l’on eust vu la Fourmis
S’efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La Colombe aussi-tost usa de charité.
Un brin d’herbe dans l’eau par elle estant jetté,
Ce fut un promontoire où la Fourmis arrive.
Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain Croquant qui marchoit les pieds nus.
Ce croquant par hazard avoit une arbaleste.
Dès qu’il void l’oiseau de Venus
Il le croit en son pot, et déjà luy fait feste.
Tandis qu’à le tuer mon Villageois s’appreste,
La Fourmis le pique au talon.
Le Vilain retourne la teste.
La Colombe l’entend, part, et tire de long.
Le soupé du Croquant avec elle s’envole :
Point de Pigeon pour une obole.