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    Louis-Claude de Saint-Martin

    Le cimetière d’Amboise

    J’aime à porter mes pas dans l’asile des morts.
    Là, mourant au mensonge, il me faut moins d’efforts
    Pour comprendre leur langue et saisir leur pensée,
    Car les morts ne l’ont pas, cette idée insensée,
    Que tout s’éteint dans l’homme. En eux, tout est vivant.
    Pour eux, plus de silence. Auprès d’eux l’on entend
    Les sanglots du pécheur ; les fureurs de l’impie ;
    Les cantiques du sage ; et la douce harmonie
    De ceux dont l’amitié, le zèle et la vertu
    N’ont formé qu’un seul cœur pendant qu’ils ont vécus.
    Homme, c’est ici-bas qu’il a pris la naissance,
    Ce néant où l’on veut condamner ton essence ;
    Et c’est ta propre erreur qui lui sert de soutien.
    Tu sais tout ! tu peux tout ! et tu veux n’être rien !....
    N’être rien !.... et saisir et juger la lumière !....
    Laisse à l’homme égaré ces rêves de la terre :
    Nous n’étions qu’assoupis dans nos corps ténébreux.
    Quand le temps nous arrache à leurs débris fangeux,
    L’heure qui nous réveille est une heure éternelle.
    Oh ! juste, quel transports ! quelle splendeur nouvelle !
    Tu prends un autre corps, au creuset du tombeau ;
    Un vif éclat, toujours plus brillant et plus beau ;
    Un coup d’œil plus perçant ; une voix plus sonore ;
    Un cœur même plus pure. Ainsi quand j’évapore
    Ces fluides grossiers où le snl est captif,
    Son feu reprend sa force, et devient plus actif.
    Sur ce tertre, voisin du lieu qui m’a vu naître,
    J’errais seul. Nos tombeaux, pour ce site champêtre,
    M’inspiraient un attrait doux et religieux.
    Sage Burlamaqui, c’est non loin de ces lieux,
    Que tu sanctifias l’aurore de mon âge ;
    Qu’un feu sacré, sorti de ton profond ouvrage,
    Agitant tout mon corps de saints frissonnements,
    De la justice, en moi, grava les fondements :
    Faveurs, dans mon printemps, si neuves, si divines !
    Mais qui cachait, hélas ! de cuisantes épines !
    Le temps les fit oclorc. Aussi je méditais
    Sur nos jours de douleurs. Pensif, je mesurais
    Ce long aveuglement qu’on appelle la vie.
    Quels tourmente ! quels dégoûts ! Dans ma mélancolie,
    Je ne distinguais rien. Tout autour de ces champs,
    A peine je voyais ces jardins élégants,
    Où Choiseul déploya le faste et l’opulence,
    Ces modestes rochers qu’habité l’indigence ;
    Ce célèbre château qui vit naître autrefois
    Les malheurs trop fameux du règne des Valois.
    Un deuil me semblait même, oh ! plaintive nature,
    Voiler tous ces trésors, dont tu fais ta parure ;
    Ces moissons, ces forêts, ces animaux épars,
    Ce fleuve, ce beau ciel offerts à mes regards.
    Heureux qui peut encor, contemplant tes ouvrages,
    Y puiser chaque jours de sublimes images ;
    Et sachant y répandre un brillant coloris,
    Attendrir tous les cœurs, en frappant les esprits !
    Mais, homme, cher objet de ma sollicitude,
    C’est toi qui m’interdis cette attrayante étude ;
    C’est ta main qui couvrit la nature de deuil,
    Et qui fit de son trône un lugubre cercueil ;
    Et quand tout m’est ravi dans ce lieu de détresse.
    Ta raison, aggravant le chagrin qui me presse,
    Veut encor me fermer le chemin de ton cœur,
    Et laisser dans le mien s’isoler ma douleur.
    Du sort, je comparais les différents caprices,
    Les succès, les revers, les biens, les injustices,
    En aveugles, sortant de ces aveugles mains,
    En aveugles, suivant les aveugles humains.
    Triste, je me disais : sans une loi commune,
    Qui seule balançât ces jeux de la fortune,
    Et qui, nous unissant par un destin égal,
    Dans notre obscurité, nous servît de fanal.
    L’homme ne saurait plus quelle est son origine ;
    Se croyant séparé de la source divine,
    Il se créerait des Dieux, et ses vœux imprudents,
    Aux astres, au hazard, offriraient son encens.
    Mais ce sévère arrêt qu’une loi souveraine
    Prononce avec éclat, à la famille humaine ;
    Ce décret qui ne dit qu’à nous : tu dois mourir ;
    Et que nous savons seuls avant de le subir,
    A de pareils écarts, oppose sa barrière,
    Et répand sur notre être une vive lumière.
    La mort en nous forçant à la fraternité,
    Veut peindre à notre esprit cette sainte unité,
    Où l’amour nous attend ; où la piété brille ;
    Où, dans un séjour pur, le père de famille,
    Prodiguant des trésors sans cesse renaissants,
    Se plaît à se confondre avec tous ses enfants ;
    Et n’a rien qu’avec eux son cœur ne le partage.
    De Ja nature ici prenons le témoignage :
    Tout corps est le produit d’e’Iements concentrés,
    Qui de leur liberté semblent être frustrés.
    Chacun d’eux, en quittant la forme corporelle,
    Par degrés va trouver sa base originelle.
    Si dans nous il existe un élément divin,
    Pour lui la même loi mène à la même fin.
    Nous devenons des Dieux, quand on nous décompose ;
    Et pour l’homme la mort est une apothéose.
    Ainsi cette unité reparaît à nos yeux ;
    Et si nous ne pouvons la voir que dans les cieux,
    Ici, dans ce décret, son image est présente.
    Qui n’y verrait pas même une main bienfaisante ?
    L’homme lit son arrêt dès ses premiers instants,
    Pour que, nouveau Lévite, il médite long-temps,
    Dans ce livre sacré, les lois des sacrifices,
    Et s’instruise à quel prix ils devenaient propices.
    Ces lois, dans l’animal, n’ont rien à ranimer ;
    Il ignore sa mort, il ne sait pas aimer.
    Que serait donc pour lui cette éloquente image
    Dont il n’est pas admis à comprendre l’usage ?
    Mais toi, mortel, mais toi qui, sous des traits divers,
    As lu cette unité dans l’homme et l’univers
    Et ne peux rien toucher qui ne te la révèle,
    Comment justifier ton erreur criminelle ?
    Dans tes vastes projets, dans tes nobles efforts,
    Ta pensée est toujours l’idole de ton corps ;
    C’est toujours a l’esprit que tu te sacrifies ;
    Tu vas montrant partout des Dieux et des Génies ;
    Consacrant chaque objei, chaque jour, chaque lieu,
    Et divinisant tout enfin, excepté Dieu.
    J’aborde en ces moments le temple funéraire :
    Oh ! morts, consolez-moi dans ma tristesse amere ;
    Je ne peux qu’à vous seuls confier mes chagrins.
    Ils ne me croiraient pas, les malheureux humains,
    Si je leur dépeignais leurs profondes blessures.
    Entiers à leurs dédains, entiers a leurs murmures,
    Que produiraient sur eux les larmes d’un mortel !
    La, mon penchant m’entraîne a prendre pour autel,
    Quelqu’un de ces tombeaux, dont l’enceinte est remplie.
    L’être, dont la dépouille y dort ensevelie,
    Devait servir d’offrande, une invisible main,
    Sans doute, me guidait dans ce pieux dessein.
    Mon choix ne tomba point sur ceux que la naissance,
    La fortune, l’orgueil d’une vieille science,
    Avaient environnés d’un éclat emprunté ;
    J’aurais craint que dans eux quelque difformité,
    Quelque tache n’eût fait rejeter mon offrande.
    Pour l’avoir pure, ainsi que la loi le demande,
    Un mouvement secret fit incliner mon choix
    Sur le jeune Alexis, un humble villageois,
    Qui, dans la piété, le travail, la misère,
    Venait de terminer une courte carrière.
    Ce nouveau Jérémie inonda de ses pleurs,
    Ces champs où, chaque jour, il versait ses sueurs ;
    Ces champs où, maintenant, sa dépouille repose.
    Nos erreurs, nos dangers en étaient seuls la cause :
    Oe n’étaient point ses maux : il se trouvait content.
    Malheureux journalier ; mais actif, patient,
    Malgré son infortune, on sait dans la contrée,
    Si jamais, dans son cœur, la plainte était entrée :
    Chacun he regardait comme un ange de paix.
    Les pauvres, fréquemment, éprouvant ses bienfaits,
    Recevaient de sa main sa propre subsistance.
    Et quand nous lui disions : Alexis, la prudence
    Te permettrait d’agir moins généreusement.
    Le sensible Alexis répondait en pleurant,
    Ainsi que cet Indien au bon missionnaire :
    Voyez que Dieu par là devient mon tributaire.
    Tel était cet agneau qui, par moi, fut choisi.
    Dans le zèle brûlant dont mon cœur est saisi,
    Et quel zèle jamais parut plus légitime !
    En esprit, près de moi, je me peins la victime ;
    Je la prends, la prépare, et la mets sur l’autel ;
    Ma main l’arrose d’huile, et la couvre de sel ;
    Mes désirs et mes pleurs me servent d’eau lustrale,
    Et bientôt de mon sein, un long soupir s’exhale :
    BDieu d’amour et de paix, qui dans l’homme as semé
    Des germes de ta gloire, et qui ne l’as formé
    Que pour les cultiver, par toi, je te conjure,
    De te rendre à mes vœux, si la victime est pure.
    Ces morts qui sont ici, qui, de leurs tristes jours,
    Sous l’oeil de ta justice, ont accompli le cours,
    Ne pourraient-ils servir aux plans de ta tendresse !
    Pour guérir tes enfants, ob ! profonde sagesse,
    Tout n’est-il pas au rang de tes puissants moyens !
    Levez-vous, morts, oh ! vous, mes vrais concitoyens ;
    Dieu le permet, quittez le séjour de la vie ;
    Revoyez un instant votre humaine patrie,
    Vos amis, vos parents ; que tous, dans ces cantons,
    Par vous, de la sagesse, apprennent les leçons !
    Le sépulcre, en s’ouvrant à leurs fragiles restes,
    Un jour, engloutira leurs passions funestes.
    Ils y verront dormir, auprès de l’assassin,
    Ceux à qui sa fureur aura perce le sein ;
    L’indigent famélique à côté de l’avare
    Qui l’aura repoussé dans son dédain barbare ;
    A côté de l’ingrat son zèle bienfaiteur,
    Et l’innocent auprès de son persécuteur.
    Venez leur exposer ces tableaux prophétiques ;
    Présentez aux vivants ces leçons pacifiques,
    Et que tous, dès ce monde, ils soient autant d’amis."
    Une voix, que je prends pour celle d’Alexis,
    D’en haut, sur mon autel, soudain paraît descendre ;
    Jusqu’au fond de mon cœur elle se fait entendre ;
    Je l’écoutais parler, rempli d’un saint effroi ;
    Elle me semblait dire : «Ami, rassure-toi,
    Tes vœux sont purs ; le Dieu d’amour et de justice,
    D’un regard favorable a vu ton sacrifice.
    Jusqu’au plus haut des cieux ton encens est monté ;
    Et ce ne sera point à ta seule cité
    Que les morts prêteront leur appui salutaire.
    Un jour ils parcourront tous les lieux de la terre,
    Pour aider son courage en des temps désastreux.
    L’iniquité s’accroît ; ces sons injurieux,
    Ces blasphèmes sortis du sein de l’arrogance,
    Bientôt, du ciel lui-même, armeront la puissance.
    Dans ces jours malheureux, partout l’air gémira ;
    Les astres pleureront ; le marbre se plaindra ;
    Par la force du feu les eaux seront taries ;
    Par la force des vents naîtront mille incendies,
    Tous les volcans du globe à la fois vomiront ;
    Les éléments en guerre, entr’eux se heurteront ;
    Tous prendront la parole, et d’effroyables signes,
    Aux méchants apprendront de quel sort ils sont dignes.
    Alexis qui t’annonce aujourd’hui ces fléaux,
    Vivant, n’était pas seul à pleurer tous ces maux ;
    Et même il compte encor dans les murs de ta ville,
    Trois frères de douleurs. Il en compterait mille
    Qui veillent dans la France. Aucune nation,
    On peut dire, aucun lieu, qui n’ait part a ce don.
    Dieu ne surprend jamais, et sa bonté suprême,
    Sans relâche, aux mortels peint leur péril extrême.
    rToi donc, qui rends les morts témoins de tes tourments,
    Que tes larmes aussi s’adressent aux vivants ;
    Que l’homme du torrent entende ton langage ;
    L’œuvre est grande : elle doit enflammer ton courage.
    Elle est ta récompense. Heureux d’avoir goûté
    La soif de la justice et de la vérité !
    La sagesse te voit : sa bonté paternelle,
    Dans son esprit de paix, dirigera ton zèle."
    Ce discours, mes désirs, celui qui me parlait,
    Tout, dans moi, faisait naître un feu qui me brûlait,
    Mais d’une flamme au monde, hélas ! trop inconnue.
    Ma langue était muette. Alexis continue :
    » Aux doctes de la terre expose leurs erreurs ;
    Dans leur cœur, s’il se peut, fait passer tes douleurs :
    Qu’ils présentent par là cette époque future ! "
    .Dis-leur : Vous qui veillez auprès de la nature,
    Le compas à la main, vous, dont les arts divers
    Savent peser, nombrer, mesurer l’univers,
    Croyez-vous que celui dont il tient la naissance,
    Se borne à demander à votre intelligence,
    D’en tracer la figure ? A vos puissants crayons
    N’en aurait-il offert que les dimensions ?
    Et n’êtes-vous chargés par lui que de décrire
    Les murs de ce palais, qu’il se plût à construire ?
    Quel artiste pourrait limiter ses succès,
    En peignant des héros, à crayonner leurs traits ?
    Ne s’efforce-t-il pas de nous montrer tracées,
    Leur âme toute entière, et leurs grandes pensées,
    Afin qu’en nous charmant par ce magisme doux,
    Leur esprit nous attire et s’unisse avec nous ?
    Et celui qui du inonde ordonna la structure,
    Ne trouverait chez vous ni peintre, ni peinture !
    Non, ces majestueux et sublimes desseins,
    Qu’il conçut en formant cette œuvre de ses mains ;
    Ces ressorts animés de la nature entière ;
    Ce mot d’ordre que l’homme, au sein de cette terre,
    Prend de Dieu chaque jour ; ce signe solennel
    Qu’il doit la préserver au nom de l’Eternel :
    Savants, c’était à vous d’exposer ces merveilles ;
    Voilà ce que sa gloire attendait de vos veilles.
    Mais que lui revient-il de vos descriptions ?
    Tandis que vous venez par vos longues leçons,
    Sans nourrir nos esprits, charger notre mémoire,
    Il reste sans couronne et jeûne de sa gloire."
    .Et la triste nature en proie à tous les maux ;
    Elle qui de vos soins attendait le repos :
    Que l’homme a pu plonger dans le deuil et la gêne,
    Est-ce en pesant ses fers, est-ce en taisant sa chaîne,
    Que vous ramènerez ses jours de liberté,
    Et la consolerez de sa viduité !
    Le flambeau du soleil, s’il brille dans le monde,
    C’est moins pour l’éclairer, que pour qu’il le féconde."
    „ Dis-leur : cet univers qui, malgré sa langueur,
    Est votre seul moyen pour prouver son auteur ;
    Ne nous montre de Dieu que la moindre puissance.
    Son amour, sa sagesse et son intelligence,
    Nous les ignorerions si notre être divin
    Ne servait de miroir à ce Dieu souverain ;
    Et c’est vous qui deviez, dans ce miroir fidèle,
    Nous indiquer les traits du suprême modèle ;
    Mais cet homme, votre œil n’y voit qu’obscurités ;
    Vous n’avez pas encor peeé ses facultés :
    Vous prétendez tantôt, que l’idée est innée ;
    Tantôt, que par les sens elle nous est donnée.
    L’idée, objet profond qui vous divise tous,
    N’est pas innée eu vous, mais à côté de vous.
    Ces animaux, ces fruits, dont la plus pure essence,
    Vous prêtant son secours, soutient votre existence,
    Sont aussi comme innés auprès de votre corps.
    Sont-ils innés en lui ? Non ; mais grâce aux ressorts,
    Dont la sage nature a pourvu vos viscères,
    Ces substances pour lui ne sont point étrangères.
    Ses sucs avec leurs sucs se peuvent allier,
    Et votre sang enfin se les approprier :
    De vos doutes par là les bornes sont fixés.
    Vous naissez, vous vivez au milieu des pensées ;
    Et ce qui vous fait homme, est le droit merveilleux
    D’admettre en vous ces fruits ; de former avec eux
    Un doux lien, fondé sur votre analogie ;
    D’aller, avec ce titre, aux portes de la vie,
    Vous faire délivrer ce pain de chaque jour,
    Qui sans cesse renaît dans l’éternel amour.
    Mais surtout faites-vous un esprit assez sage, .
    Pour discerner les fruits dont vous faites usage.
    Combien de fruits peu mûrs, corrompus, vénéneux !...
    Les sables de la mer ne sont pas plus nombreux."
    » Dis -leur : l’homme est bien grand, son esprit vous
    pardonne
    La méprise où, sur lui, le vôtre s’abandonne :
    Il ne s’offense point des cris d’un peuple enfant.
    Tandis que votre voix le condamne au néant,
    Il pense, il s’affranchit du joug pesant des heures ;
    Il parcourt librement les célestes demeures,
    Ces lieux où le bonheur ne se suspend jamais.
    Quand il s’est rajeuni dans ce séjour de paix,
    Il revient contempler ces étonnants prodiges,
    Dont l’univers au sage offre encor des vestiges,
    Avec l’aveu du maître il peut les approcher ;
    Il a droit de les voir ; même de les toucher,
    De les électriser par sa vive influence,
    Et d’en faire jaillir des traits de sa puissance."
    » Dis-leur : vous voyez là le culte souverain,
    Qui du suprême amour, fut la suprême fin.
    Quand ce germe fécond reçut l’ordre d’éclore,
    Les livres, les écrits n’existaient pas encore.
    Ils est le texte mère ; et les traditions
    N’en sont que des reflets et des traductions.
    Ce culte fut fondé sur l’homme et la nature.
    C’est un appareil vif, calqué sur la blessure ;
    Et de la guérison étant le vrai canal,
    Il dut prendre l’empreinte et les formes du mal.
    D’abus faits en son nom, un torrent nous inonde :
    Mais vous qui vous donnez pour les flambeaux du monde,
    N’allez plus répétant que tout culte pieux,
    N’est et ne fut jamais que superstitieux.
    Les bases désormais en sont justifiées :
    Si le monde est rempli d’erreurs sanctine’es ;
    Si partout l’imposture ajoute à ces abus,
    Chaque écart, de leur source, est un ti’moiri de plus :
    L’homme qui chaque jour nous montre sa faiblesse,
    Sans le fruit de la vigne eût-il connu l’ivresse ?
    L’avarice sans l’or ? sans Dieu l’impiété ?
    Et le mensonge, enfin, sans une vérité ?
    Abjurez, croyez-moi, vos frivoles études,
    Aisément éblouis par des similitudes,
    Au plus grossier écueil l’erreur vous a conduits.
    Voyant à tous les pas, dans ces différents fruits,
    Mêmes faits, mêmes lois, mêmes noms, mêmes nombres,
    Vous n’avez pas eu l’art de trier ces décombres.
    Le Zodiaque écrit dans Henné, Tintyra,
    Les cultes de tous temps avaient ce type la.
    Du nombre empreint sur lui, la source est éternelle ;
    Et le cercle lui-même en offre le modèle.
    Qu’importait des erreurs que les âges roulants
    Auraient vu se glisser dans les dates des temps ?
    Un calcul faux qu’adopté ou produit l’ignorance ;
    Des bases ne détruit ni l’objet, ni l’essence.
    Montez donc a ces lois qui ne changent jamais :
    L’esprit dans la nature aime à graver ses traits ;
    Par elle eractement cette empreinte est suivie ;
    La mort même ne fait que copier la vie.
    Mais quand l’esprit vous peint ces grandes notions,
    Et vous rouvre par la les saintes régions ;
    L’homme en fait le flambeau de l’erreur et du crime,
    Et marche en côtoyant le néant ou l’abîme ?"
    .Dis-leur : Vous, écrivains, illustres orateurs,
    Qui venez, dites-vous, dissiper nos erreurs,
    Aux plus beaux de vos droits ne pourriez-vous atteindre ?
    Ce que la poésie a l’audace de feindre,
    Votre vive éloquence a droit de l’opérer.
    Dans la chaire, tâchez de ne jamais entrer,
    Qu’au seul nom de celui d’où provient la parole ;
    Les prodiges alors remplissant votre école,
    Sauront de la sagesse assurer les progrès :
    De même qu’un poète instruit de ces secrets,
    Qui de l’art de parler serait vraiment l’oracle,
    Ne ferait pas un vers qu’il ne fît un miracle.
    Oui, nos langues pourraient n’avoir qu’à vous bénir :
    Mais si vous préférez de vous faire applaudir ;
    Si de l’illusion étant les interprètes,
    Vous venez, parmi nous, comme les faux prophètes,
    Détourner la parole a votre seul profit ;
    Ou bien dire en son nom ce qu’elle n’a point dit,
    Vos paroles un jour vous seront imputées,
    Ou, comme un faux métal, elles seront traitées."
    BDis à l’homme de bien : marche le cœur brisé ;
    Gémissant sur le mal, et sans cesse embrasé
    De zèle pour ’ton Dieu, d’amour pour ton semblable.
    De ton maître divin suis l’exemple ineffable.
    Si tu sais comme lui porter tous tes désirs
    Vers l’œuvre de ton père, et vivre de soupirs,
    Pour qu’il regarde l’homme, et pour qu’il le guérisse,
    Alors te remplissant de l’esprit de justice,
    Nul ne te touchera sans émouvoir ta foi,
    Et sans faire sortir une vertu de toi."
    Ici, soit le pouvoir de ma douce espérance ;
    Soit que ces grands destins se montrassent d’avance ;
    Je sembla ! pressentir qu’a des fléaux affreux
    Succéderaient pour nous des moments plus heurenx.
    Je crus voir la sagesse assise sur un trône,
    Retraçant de nos jours ce que vit Babylone,
    Lorsqu’au milieu d’un champ, la voix d’Ezeohiël,
    Fit revivre et marcher tous les morts d’Israël.
    Je crus sentir qu’enfin cette sainte sagesse,
    Accomplissant pour nous sa divine promesse,
    Nous rendrait nos trésors, par Babel arrachés ;
    Qu’elle ranimerait tous nos os desséchés ;
    Que l’homme renaîtrait ; que les tribus captives,
    Par lui, du vrai Jourdain, regagneraient les rives ;
    Et que Jérusalem reverrait ses enfants.
    «Oui, me dit Alexis, ils auront lieu ces temps,
    Où l’homme rentrera dans la terre promise.
    Au vrai Dieu, par son bras, elle sera soumise ;
    Mais annonce aux mortels qu’ils ne l’habiteront
    Qu’autant que pour leur maître ils la cultiveront."
    Ces mots sont les dernier qu’Alexis fit entendre.
    Quand j’eus loué les cieux, quand j’eus béni sa cendre,
    Tout rempli de ce feu qui brûlait dans mon sein,
    De mon paisible toit je repris le chemin,
    Espérant en secret que ces saines lumières
    Trouveraient quelqu’accès dans le cœur de mes frères.




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