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    Louis-Claude de Saint-Martin

    Phanor

    Poème sur la poésie


    J’abjure pour jamais, céleste Poésie,
    La vive ambition dont mon âme est saisie,
    Si brûlant à l’aspect de ta sublimité,
    De chanter tes rapports avec la vérité,
    Par un orgueil jaloux, j’appelle la victoire,
    Et n’ai d’autre intérêt que celui de ma gloire ;
    Ou bien si devant toi, venant me prosterner,
    Je n’implore tes dons que pour les profaner.
    Non, non, je ne viens point envier la couronne
    A ceux que la sagesse appelle vers ton trône ;
    De leur juste triomphe admirateur soumis,
    Plus j’aurai de vainqueurs et plus j’aurai d’amis.
    Il est pur le regard dont mon œil te contemple.
    Un zèle saint m’amène aux portes de ton temple.
    Je viens m’y consacrer à l’honorable emploi
    D’enseigner aux humains les douceurs de ta loi.
    Je veux leur découvrir la hauteur des merveilles,
    Dont tes sons autrefois frappèrent nos oreilles,
    Et planant avec toi, les forcer d’admirer
    L’heureux terme où ton nom leur permet d’aspirer.
    Sous ce nom vers mon but je vole en assurance,
    L’ardeur de te servir nourrit ma confiance ;
    Je viens pour te venger, pour braver les arrêts
    De ces juges trompeurs qui, par leurs vains décrets,
    Ont souillé tes autels, déshonoré ton culte,
    Et dont la main profane ajoutant à l’insulte,
    Ferme ton sanctuaire à tes adorateurs.
    Prends ton sceptre, commande à tes traits créateurs,
    De venir égaler ma force à mon courage.
    Qu’ils prêtent à mes vers ce charme, ce langage,
    Ce ton vrai qui saisît, cette douce chaleur
    Qui sous les yeux du goût, se glisse jusqu’au cœur.
    Et bientôt les mortels frappés de ta lumière,
    Ne verront le bonheur qu’au sein de ta carrière.
    Tout se meut, tout doit l’être au pouvoir de tes dons,
    Diront-ils, ouvrons donc notre oreille à ses sons ;
    Heureux, si notre lyre un jour est assez pure,
    Pour célébrer ses droits sur toute la nature !
    Tu m’exauces. J’entends que du séjour des Dieux
    Tu m’appelles, ta voix m’attire vers les cieux.
    Déjà calme, impassible aux troubles de la terre,
    Ce n’est plus qu’à mes pieds que gronde le tonnerre.
    Loin de ce globe, loin de son souffle empesté,
    Je crois voir en esprit l’ordre et la majesté
    Régner dans ces beaux lieux où tu pris l’origine ;
    Tes crayons se tremper dans la source divine,
    Pour prendre en traits de feu la grandeur de tes droits ;
    L’air, les astres, l’esprit s’agiter à ta voix ;
    Tout l’olympe exhaler cette ambroisie,
    Qu’aux siècles reculés, la fable avait choisie,
    Non pour marquer des Dieux les loisirs indécents ;
    Mais pour nous exprimer ces sublimes élane
    Dont tu sais émouvoir l’âme des grands Poètes.
    Je vois tous les élus comme autant de prophfcles,
    Eclairer l’univers, adoucir ces tourments,
    Oser même imposer des lois aux éléments,
    En inclinant sur eux le sacré caducée.
    Que dis-je, la sagesse à t’instruire empressée,
    Dévoile à tes regards ses plus secrets ressorts ;
    Et toi tu viens m’offrir ces précieux trésors
    Qui ne peuvent germer qu’au sein du sanctuaire.
    Oui, Phanor, elle veut que mon flambeau t’éclaire.
    Elle est toujours ardente à couronner les vœux,
    A s’unir aux accents des mortels généreux
    Dont l’esprit se consacre à sa gloire immortelle.
    Tout désir vertueux est un titre auprès d’elle.
    Viens donc, viens admirer sous ces doctes pinceaux
    Les diverses couleurs qui parent mes tableaux.
    Cultes, fables, science ou sacrée ou profane,
    Tout de la vérité peut devenir l’organe.
    Souvent elle a paru sous l’air des fictions ;
    Souvent elle a parlé comme les passions.
    Mais tu t’abuserais si jamais ta pensée
    De ces variétés pouvait être blessée.
    Porte au loin tes regards, rends-les assez perçants
    Pour discerner partout les signes éclatants
    Des dons que m’accorda l’être incompréhensible.
    Par lui j’ose embrasser la nature visible,
    L’abîme, le cahos, l’homme, le firmament.
    Ce grand tout a pour base un sacré fondement,
    Qu’an lieu de l’adorer, l’homme voulut connaître.
    Vains efforts : l’Être seul de qui tout reçoit l’être,
    Dans son essence intime a droit de pénétrer ;
    Mais dans ses faits puissants il daigne se montrer ;
    Contemple - les : du sein de sa propre lumière,
    Jusqu’aux derniers rameaux où germe la matière,
    S’étendent les pouvoirs de l’agent créateur.
    Par des rayons divers son feu générateur,
    Fait briller les trésors de sa source infinie.
    L’un de ces traits dans l’homme allumant le génie,
    Apprend à ton esprit qu’il est né dans les cieux :
    Par l’autre il fait mouvoir l’univers à tes yeux.
    D’autres, ministres purs de son intelligence,
    Tiennent dans son conseil l’éternelle balance.
    C’est-là qu’il pèse au poids de la sainte équité,
    Des desseins et des plans dont la sublimité
    Ne permet qu’à lui seul d’en percer le mystère.
    Malgré ces traits nombreux, il n’est qu’un sanctuaire ;
    Il n’est qu’un feu sacré dont les rayons puissants,
    Répandus dans les cieux, dans l’enceinte du temps,
    Brillent sur ce qui pense et sur ce qui respire ;
    Aussi, quelqu’étendu que soit son vaste empire,
    Du seul Dieu que je sers tout étant provenu,
    Pour cet agent suprême il n’est rien d’inconnu,
    Bien qui puisse éviter l’œil du souverain maître.
    Dès que les traite divins remplissent tout, nul être
    Ne conçoit un désir, n’opère un mouvement,
    Sans produire sur eux un vif ébranlement
    Qui, par de prompts signaux dont la chaîne est suivie,
    Fait que tout monte et frappe au siège de la vie.
    C’est peu d’ouvrir les yeux à la nécessité,
    Que le plus simple fait sur la terre enfanté
    Se lie à tous les faits de l’ordre incorruptible ;
    Il faut que cette loi te devienne sensible,
    Que ton œil entrevoie à cette liaison
    Une clé lumineuse, une grande raison.
    Elle existe, et je viens d’en épargner l’étude.
    Tout consiste, tout gît dans la similitude :
    Que les lois et les noms de mille objets divers
    Gardent toujours entr’eux dans les deux univers.
    Dans ton monde on connaît ces mots : intelligence,
    Morale, jugement, poésie, éloquence,
    Et mille autres aux arts, aux talents consacrés.
    Et dans le mien ces mots bien loin d’être ignorés,
    D’autant d’êtres vivants sont les noms véritables ;
    Des suprêmes décrets les lois inaltérables,
    Aux pieds de l’Eternel ont placé dans les cieux
    Des agents purs, des chefs qui comme autant de Dieux,
    Environnés des feux d’une sainte atmosphère,
    Etendent leurs regards jusqu’au sein de la sphère ;
    Ils président, chacun en vertu de leurs noms,
    Sur l’un de ces talents et sur l’un de ces dons,
    Que l’Être universel remit a, ton usage,
    Pour orner ton esprit, ton cœur et ton langage.
    C’est de là que la fable a peint son Apollon,
    Rassemblant tous les arts dans le sacré vallon,
    Les consacrant chacun aux soins d’une déesse,
    Et les fertilisant par les eaux du Permesse :
    Ainsi sur tous ces dons tu ne peux t’exercer,
    Tu ne peux exprimer leurs noms, même y penser,
    Sans que ce simple effort opéré dans ton monde,
    N’atteigne jusqu’au mien et qu’il n’y corresponde.
    A ces noms, à ces chefs, dont les puissants ressorts
    De nos deux univers forment tous les rapports :
    Mais à leur doux accent, la terre réunie,
    Ne veut-elle former qu’une juste harmonie ?
    Il faut en s’exerçant dans les terrestres lieux,
    Que l’homme sympathise avec ces demi-Dieux ;
    Que dans lui tout s’accorde avec leurs lois suprêmes ;
    Que précis, mesuré comme ils le sont eux-mêmes,
    Le coup d’œil le plus sûr, l’ordre le plus exact,
    Règle ses plans, son goût, ses paroles, son tact,
    Et l’assimile en tout à ses correspondances.
    Sans cela, loin d’offrir de justes consonnances,
    Et loin de retracer sous leur vrai coloris,
    Ces dons et ces talents des muses si chéris,
    Il n’en exprime plus qu’une image confuse ;
    Il ne rend qu’un vain son que l’oreille récuse ;
    Sa discordante voix n’exprimant aucun sens,
    Va remplissant les airs de barbares accents
    Qui, propageant au loin leur choc et leur désordre,
    De ma demeure même, ont droit de troubler l’ordre.
    Qui peut de ces dangers mieux l’instruire que moi,
    Puisque du saint conseil la souveraine loi
    De tout temps m’honora du nom de Poésie’ ?
    En vertu de mon nom l’Eternel m’a choisie
    Pour porter à jamais son flambeau souverain,
    Sur ce céleste don, sur ce talent divin
    Qui passe tous les dons, et pour qui tu m’implore.
    Phanor, faut-il fixer les yeux sur son aurore ?
    Tu gémiras de voir quelle fatalité
    A su depuis longtemps obscurcir la clarté
    Dont cet astre radieux brillait à sa naissance.
    Ce rayon pur extrait de la plus pure essence,
    Aux premiers jours du monde éclaira les humains.
    La lumière que Dieu remit entre leurs mains
    Devait guider leurs pas dans la nuit de la vie.
    Tranquilles, fortunés pendant qu’ils l’ont suivie,
    Rien ne peut exprimer les douceurs de leur sort.
    Telle est l’activité de ce divin ressort,
    Qu’ils semblaient dans leurs vers traduire la nature,
    De l’univers entier dessiner la structure ;
    Servir partout d’organe à la vertu des cieux,
    Tout leur être était plein de l’image des Dieux.
    Aussi rien n’égalait l’ordre et la paix sacrée
    Qui fforissaient alors au sein de l’empirée.
    De mes élus les sons sagement cadencés,
    Tous les objets par eux fidèlement tracés,
    Et de tous leurs tableaux la touche régulière,
    Paraissait à mon œil unir la terre entière.
    Ma lyre secondait ces vertueux accents :
    Ces saints accords servaient de mobile à l’encens
    Dont se doit parfumer l’autel où Dieu réside,
    Et semblaient s’élever par un vol plus rapide.
    Mais Phanor, plus tu crois à la beauté des dons
    Que ces dignes élus puisaient dans mes leçons,
    Plus tu sais t’assurer des droits a leurs lumières.
    Fixe donc un instant l’objet de nos mystères ;
    C’est le prix que mon Dieu destine à ta vertu ;
    Le ministère saint que du ciel j’ai reçu,
    Me fait servir d’organe à cette récompense ;
    Au nom de poésie il joint l’intelligence,
    Et, sous ce double titre, il m’est permis d’entrer
    Où jamais des mortels l’oeil n’a pu pénétrer.
    Bien n’est mort, Dieu voit tout, et tout dans son empire
    Vit par lui, de son souffle il engendre, il inspire
    L’homme et tous les agents que leur titre divin
    Rend libres et chargés de leur propre destin.
    Des traits de cet auteur ils sont tous l’assemblage :
    Car Dieu ne pense point sans créer son image,
    Sans former d’autres Dieux. Et cette vérité
    Sur l’esprit des mortels a tant d’autorité,
    Que dans tous les instants leur sublime nature
    Leur en fait en secret retracer la figure.
    De là ce noble instinct, cet orgueil des humains
    Qui leur fait tant priser les œuvres de leurs mains :
    Jusque dans les abus de leur saint caractère,
    Ils veulent être pris pour les Dieux de la terre.
    Oui, c’est Dieu qui t’anime. Un feu moins vif, mais pur,
    Embrassant l’univers dans un cercle d’azur,
    Etend autour du monde une triple atmosphère.
    De ce feu, l’humble insecte et la superbe sphère
    Tiennent tous deux la vie avec le mouvement.
    Ce feu vif toutefois n’est pas un élément.
    Tout élément est mixte, impur et variable ;
    Mais ce feu qui l’engendre est simple, impérissable.
    Tout ce que les mortels dans les terrestres lieux,
    Connaissent de plus prompt, de plus impétueux,
    Tout ce que leur raison, par l’étude exercée,
    Offre do plus actif à l’œil de leur pensée,
    N’égalera jamais en son activité,
    Ni la seconde ardeur, ni la célérité,
    Dont tout dans cette zone et se meut et s’opère.
    Chaque agent y paraît une flamme légère,
    Et leurs traits mutuels se croisant tour-a-tour,
    Semblent à chaque instant produire un nouveau jour ;
    Ou plutôt nul instant n’interrompt leur vitesse ;
    Mille éclairs à la fois s’y succédant sans cesse,
    Y répandent un feu si constant et si clair,
    Que ce cercle y paraît un éternel éclair.
    Ce feu puissant, selon la céleste doctrine,
    Pour un objet terrible a reçu l’origine :
    Il lui fut ordonné de produire le temps,
    Pour tenir lieu d’exil à ces fameux titans
    Qui ne peuvent franchir sa vivante barrière,
    Qui toujours écrasés du poids de la matière,
    Montrent à l’univers dans leur punition,
    Quelle furent leur audace et leur ambition.
    C’est dans le sein caché de cette vaste zone,
    Que l’Etre souverain voulut placer son trône :
    Il lui faut un séjour où le calme et la paix,
    Sans efforts, sans combats, demeurent à jamais,
    Où le zèle et l’amour de la vérité sainte
    Forment les seuls remparts de sa divine enceinte.
    Si pour créer le monde, il nomma des agents.
    Il en choisit aussi pour brûler son encens,
    Pour célébrer sa gloire, annoncer sa puissance,
    Et ne jamais sortir de l’arche d’alliance.
    C’est ainsi qu’autrefois, Lévi dans Israël,
    Ne se livrait qu’au soin d’honorer l’Eternel,
    Ce temple a dans son sein dix colonnes antiques :
    Il s’élève au milieu de quatre grands portiques
    Qui, par l’immensité de leurs dimensions. „ ’
    Paraissent embrasser toutes les régions.
    Leur hauteur, leur largeur de Dieu seul sont connues ;
    Des cèdres éternels leur servent d’avenues :
    Ces cèdres tout couverts de feux étincelants,
    Etendent en berceaux leurs rameaux éclatants.
    Sans interruption, ces rameaux s’aggrandissent :
    Cette clarté s’accroît, ces berceaux s’élargissent,
    Afin qu’en ces sentiers vastes et lumineux,
    L’accès soit toujours libre aux prières, aux vœux,
    De ces êtres divins dont la foule innombrable
    S’accumule et se porte à sa source ineffable.
    Ton esprit autrefois peut-être eût demandé,
    Sur quoi, sur quels appuis ce temple était fondé ;
    Mais ne lui cherche plus d’autre appui que Dieu même ;
    Vois tout comme inhérent avec l’agent suprême :
    Trône, autel, sacerdoce, à son nom suspendus,
    Avec lui-même unis et non pas confondus,
    Expriment il la fois sa vie et sa puissance,
    Et sont les attributs de sa propre existence.
    Ce sont là ces objets sublimes et sacrés,
    Dont les sages mortels à mon nom consacrés,
    Concevaient autrefois la divine harmonie :
    Il est vrai que ces dons de la source infinie
    Nourrissaient seulement mes premiers favoris :
    Pour ceux dont je (levais ménager les esprits,
    Mon front s’enveloppait de voiles, de mystères,
    J’avais soin de couvrir d’emblèmes salutaires
    Ces traits, ces vérités trop profondes pour eux ;
    Mais, Phanor, en prenant ces soins officieux,
    J’avais toujours pour but d’exercer leur pensée ;
    Pour eux-seuls j’envoyais Cœlus, Rhéa, Persée,
    Pour eux-seuls j’enseignais comment naquit Pallas ;
    Quelle force en rocher put transformer Atlas,
    Et dans les sombres lieux précipiter Tipbée ;
    Quel charme s’exhalait de la lyre d’Orphée !
    Quel pouvoir émané des Dieux libérateurs,
    Fit placer dans les cieux Astérope et ses soeurs,
    Et refusa pourtant à l’heureuse Astérope
    Les dons que possédait la muse Calliope :
    Ces dons qui florissant sur le mont Cithéron,
    Pouvaient fléchir Minos, dessécher l’Achéron,
    Expliquer aux mortels les secrets d’Uranie,
    Et les initier à ma sainte harmonie.
    D’autrefois déposant ces voiles fabuleux,
    Je leur offrais des faits plus clairs, plus dignes d’eux.
    C’est ainsi que ma main, au sein de la Chaldée,
    Vint allumer ce feu qui remplit la Judée,
    Et montrer par l’éclat de son embrasement,
    Que mes propres vertus lui servaient d’aliment.
    C’est ainsi que mon nom par d’étonnants prodiges
    Des Prêtres de Memphis dissipa les prestiges ;
    Que même de Sion la superbe Cité,
    Après avoir langui dans la stérilité,
    Par mes soins tout a coup nagea dans l’abondance ;
    Jusqu’aux bornes du monde étendit sa puissance ;
    Sous de nouveaux accords enseignés par les cieux,
    Eleva dans les airs ses chants mélodieux ;
    Sut à la fois du haut de sa cime embrasée,
    Faire éclater la foudre, ou verser la rosée,
    Selon qu’elle eût à perdre ou bénir les mortels.
    Bien plus, Phanor, ces traits puisés sur mes autels,
    Toute la terre a vu leurs sources créatrices,
    En divisant le cours de leurs eaux productrices,
    Venir de mes trésors enrichir l’univers,
    Et répandre en tous lieux ,1’empire de mes vers.
    Tu le sais, on a vu l’art de la Poésie,
    Après avoir brillé dans le sein de l’Asie,
    Se répandre parmi toutes les Nations,
    Le sauvage lui-même en sentir des rayons,
    Et mon astre depuis l’Ebre jusqu’à la Chine,
    Des sciences partout précéder l’origine.
    Oui, Phanor, on a vu tous les peuples fameux
    De l’enfance subir encor le joug honteux,
    Et posséder déjà des Poètes célèbres.
    On a vu mon flambeau dissiper ces ténèbres,
    A son feu chez l’Anglais éclore les Chaucer,
    Les Fox, les Shakespear, les Hilton, les Spencer ;
    Chez les fameux Romains, les Plaute, les Térence,
    Les Ennius, fermer les siècles d’ignorance ;
    Le nom français devoir son siècle le plus beau,
    Aux Corneille, aux Racine, aux Molière, aux Rousseau.
    Les Dante, les Pétrarque, arracher l’Italie
    Au néant où les temps l’avaient ensevelie.
    Enfin ces faits frappants que ma voix t’a cités, ’
    Autrefois chez les Grecs se trouver répétés
    Par les chants d’Hésiode et la lyre d’Homère.
    Ces pouvoirs, ces trésors, ce flambeau qui m’éclaire,
    A nos deux univers avaient droit d’assurer
    Un tel repos que rien n’aurait dû l’altérer ;
    Et mes élus soumis à des lois si propices,
    Auraient pu se nourrir d’éternelles délices :
    Et cependant ces jours si beaux, si fortunés,
    Si doux pour mon empire, à peine étaient-ils nés,
    Que j’en vis affaiblir et l’éclat et les charmes.
    Ce fut pour prévenir de plus grandes alarmes,
    Qu’alors je fis briller parmi les Nations,
    Ces emblèmes divers, toutes ces fictions
    Qui pouvaient de la nuit dissiper les nuages,
    Et signaler le port du milieu des orages ;
    Mais l’homme a ses écarts donnant un plus grand cour»,
    Loin de mettre à profit mes utiles secours,
    S’est livré d’autant plus à sa pente fatale,
    Et de son monde au mien, augmentant l’intervalle,
    Chaque jour vers l’erreur il s’est précipité ;
    Plût au ciel qu’il ne fut que dans l’obscurité.
    Mais dans ces derniers temps, un bruit épouvantable,
    M’a trop appris combien son sort est lamentable.
    Phanor, soudain, j’entends un mélange confus
    De sons faux, et d’accents mal formés, mal rendus,
    Qui choquent de mes lois la divine harmonie.
    Du séjour des mortels je crois ma voix bannie ;
    Je crois qu’ensevelis dans ce lieu ténébreux,
    Ils ont tous oublié le seul art d’être heureux :
    Cet art que leur dictaient mes leçons salutaires,
    Et je cens que leur voix profanant mes mystères,
    Ne va plus désormais remplir ma région
    Que des cris de désordre et de confusion.
    O douleur ! .... à l’instant la sagesse éternelle,
    Qui seconde toujours mon amour et mon zèle,
    M’ordonne de paraître à son saint tribunal.
    Comme elle me choisit pour servir de canal
    Aux dons qu’elle destine aux illustres Poètes,
    Je désirais, suivant ses volontés secrètes,
    Déposer à ses pieds les fertiles moissons
    Que sa justice a droit d’attendre de ses dons.
    Mais en portant mes pas au bord du sanctuaire,
    N’y pouvant plus offrir le tribut ordinaire
    Des hymnes de la terre et du chant des humains,
    Je ne sus qu’élever de suppliantes mains,
    Attendre, l’œil en pleurs, humble et dans le silence,
    Les ordres souverains de la Toute - Puissance.
    Du sein des profondeurs d’un nuage enflammé,
    Par le feu des esprits dont il est animé,
    L’Eternel m’aperçoit ; le nuage s’entrouvre :
    La majesté suprême à mes yeux se découvre,
    Le Dieu parle : » pourquoi n’entends-je plus les voix
    Des mortels que ton nom a soumis à tes lois ;
    Fatigués de te suivre et d’être tes organes,
    Ne profèrent-ils plus que des aecents profanes ?
    Auraient-ils fait un pacte avec l’iniquité ?
    Et seraient-ils jaloux de-ma divinité ?
    Descends Vers eux, apprends à leur cœur indocile,
    Que sans toi, tous les maux rempliraient leur asile,
    Que mon amour pour eux se plaît à prévenir *
    Leurs écarts insensés, bien plus qu’à les punir ;
    Mais que si s’arrêtant dans leur obscur dédale,
    Ils ne désavouaient leur coupable scandale,
    Ils forceraient mes dons à se retirer d’eux,
    Et qu’il me suffirait pour les voir malheureux,
    De les abandonner à des lois étrangères."
    Il dit : les Chérubins de leurs ailes légères
    Environnent le trône, et la céleste cour
    Se renferme avec lui dans l’immortel séjour.
    À peine du Très-Haut la parole sacrée
    D’un ton si menaçant fut-elle proférée,
    Que je sens de mon zèle accroître la chaleur ;
    Ce zèle ne peut plus contenir la douleur
    Que me cause le sort de tes malheureux frères,
    Et pour les arrêter dans leurs pas téméraires,
    Je vole avec ardeur vers les terrestres lieux.
    Par une loi suprême, en descendant des cieux,
    Je voile de mes traits la pompe glorieuse ;
    Ma forme par degrés devient moins radieuse,
    Moins vive, accommodée à mes secrets desseins,
    Et semblable en tout point à celle des humains.
    Comme un ami des arts, j’aborde les Poètes ;
    Avec facilité je perce leurs retraites ;
    Mais un coup d’oeil jeté sur leurs productions,
    M’expliqua dans l’instant ces révolutions
    Dont ils avaient troublé ma demeure céleste.
    Je vis régner en eux l’erreur la plus funeste :
    Ils osaient prononcer sur le vrai, sur le beau,
    Tandis qu’ils n’étaient plus guidés par mon flambeau,
    Et qu’ils méconnaissaient ma sublime origine.
    Bien plus, fermant les yeux à ma clarté divine,
    Leur faible esprit, déjà si prompt à s’égarer,
    De mes droits souverains prétendait s’emparer :
    Hautement a leur siècle ils voulaient faire entendre,
    Que l’objet exclusif auquel ils devaient tendre,
    En remplissant les airs du bruit de leurs accents,
    N’était que d’émouvoir, n’importe dans quel sens ;
    Que toute impression était indifférente,
    Pourvu que le pouvoir de leur voix conquérante,
    A l’esprit des mortels sut se faire sentir,
    Et sous leur propre frein put tout assujettir.
    Ces esprits aveuglés n’aspiraient à mon trône
    Que pour déshonorer mon sceptre et ma couronne,
    Et que pour abuser des pouvoirs de mon nom ;
    Cet orgueil, cette soif de leur propre renom,
    De nos premiers rapports resserra l’étendue,
    Et ma lyre pour eux paraissant suspendue :
    Tout ce que j’avais fait, les soins que j’avais pris
    De leur bonheur, pour eux n’avait’plus aucun prix.
    C’était peu qu’aveuglés par leur loi ténébreuse, .
    L’histoire de ces faits leur parut fabuleuse,
    Et laissa leur esprit dans son obscurité ;
    N’ayant point dans la fable appris la vérité,
    Par les tristes effets d’une erreur déplorable,
    La vérité pour eux n’était plus qu’une fable.
    Mais plus il se livraient à cet aveuglement,
    Plus mon zèle divin désirait ardemment
    De pouvoir dissiper leur funeste méprise.
    Ainsi de mes desseins poursuivant l’entreprise,
    Je crus que devant eux je devais prononcer
    Des sons assez frappants pour les intéresser.
    L’écho de mes accents au loin va se répandre :
    Cent Poètes fameux désirant de m’entendre,
    De toutes parts, vers moi, s’empressent de voler.
    Dans un lieu préparé les faisant assembler :
    Oui, dis-je, c’est en vain que votre esprit s’obstine,
    A vouloir de votre art rabaisser l’origine,
    En tâchant d’avilir sa destination.
    En vain vous annoncez l’imagination,
    Comme l’unique terme où cet art doit réduire
    Les effets imposants que vous pouvez produire.
    C’est trop grossièrement méconnaître à la fois
    L’esprit de votre nom et l’objet de vos droits.
    L’imagination si vive dans sa course,
    Reçoit, réfléchit tout, mais de rien n’est la source,
    Et rendant les tableaux qui lui sont présentés,
    Dans aucun temps par elle ils ne sont enfantés.
    Si votre art ne tient point à la source suprême,
    Pourquoi vous adresser à la lumière même ?
    Pourquoi le moindre trait que nous peint votre main,
    Nous le présentez - vous comme un rayon divin ?
    Vous semblez (et quel est l’instinct qui vous l’inspire)
    Croire sur notre esprit n’avoir aucun empire ;
    Si dans tous les tableaux que vous nous exposez,
    Les couleurs, les objets n’en sont divinisés ;
    Si du premier modèle ils ne sont pas l’image.
    Aux sources de votre art, c’est assez rendre hommage ;
    Au divin Apollon vous n’offrez pas uu vœu,
    De vos droits mutuels qui ne soit un aveu,
    Et ne prouve arec lui votre correspondance ;
    Mais voyez à quel point va votre inconséquence :
    Vous vous dites sans cesse inspirés par les cieux,
    Et vous ne frappez plus notre oreille et nos yeux
    Que par le seul tableau des choses de la terre,
    Quelques traits copiés.de l’ordre élémentaire,
    Les erreurs des mortels, leurs fausses passions,
    Les récits du passé, quelques prédictions
    Que vous ne recevez que de votre mémoire,
    Et qu’il vous faut suspendre où s’arrête l’histoire :
    Voilà tous vos moyens, voilà tous les trésors
    Dont nous fassent jouir vos plus ardents efforts.
    Pour nous représenter des tableaux si faciles,
    On le sait, les secours des Dieux sont inutiles.
    Ces tableaux, ces mortels en sont environnés ;
    A l’examen de l’homme ils sont abandonnés.
    Vous avez sous les yeux, et l’homme et la nature ;
    Vous pouvez aisément nous offrir la peinture
    De leur loi, de leur marche et de leur action,
    Sans aller recourir à l’intervention
    De ressorts destinés à de plus saints usfiges.
    Et même ces tableaux-placés dans vos ouvrages,
    Que sont-ils comparés aux objets naturels
    Que l’homme et l’univers présentent aux mortels ?
    Laissez, laissez le soin à la nature vive
    D’offrir à notre esprit une étude instructive,
    Au lieu de ces objets vaguement entassés
    Dans les tableaux confus que vous nous en tracez.
    Mais quoi diviniser cet univers sensible,
    N’est-ce pas nous prouver l’univers invisible ?
    Ce temple où nous sentons que l’on tient réservés
    Des trésors et des biens dont nous sommes privés ?
    Vous donc qui prétendez que le ciel vous inspire,
    Mortels, serait-ce en vain que du céleste empire
    La sagesse eût daigné vous accorder l’accès ?
    Non, non : ou renoncez à vanter vos succès,
    Ou bien, osez fixer ces sublimes images, \
    Et ces types sacrés dignes de nos hommages.
    Allez, allez puiser dans les célestes lieux,
    Ces tableaux et ses traits qui sont loin de nos yeux ;
    Tâchez de recouvrer la clé du sanctuaire
    Dont l’homme à sa naissance était dépositaire ;
    Entrez-y, recueillez ces trésors fortunés,
    Ces lauriers saints qui tous nous e’taient destinés :
    Puis célébrez le prix de ces biens ineffables,
    C’est alors que vos chants vous seront profitables,
    Que vous aurez vraiment soulagé nos besoins.
    Comment douterions-nous qu’à de semblables soins,
    Qu’à verser ses trésors le ciel ne nous destine,
    Que votre mission, mortels, ne soit divine,
    Puisque votre nom seul renferme un sens divin.
    L’antiquité nommait un Poète un devin :
    Effacez de ce mot le vernis ridicule
    Que lui donna partout l’ignorance crédule,
    Et vous reconnaîtrez dans sou sublime sens,
    Combien le ciel pour vous prodigua ses présents ;
    Vous y reconnaîtrez que le droit des Poètes
    Marche d’un pas égal à celui des Prophètes ;
    Qu’ainsi vous nous devez par votre mission,
    De semblables bienfaits, la même instruction,
    Puisque de Dieu, comme eux, vous lisez les merveilles.

    Vous avez prétendu ressembler aux abeilles
    Qui, dans l’éclat du jour, cueillent de tous côtés
    Les sucs et les parfums qui leur sont présentés ;
    Mais combien leur talent nous est plus salutaire !
    Il soulage nos corps, les nourrit, les éclaire ;
    Et vous à vos travaux qui donnez tant de prix,
    Au lieu de procurer ces biens à nos esprits,
    Vous ne vous consacrez qu’à votre propre gloire.
    Et même à vos leçons comment poumons-nous croire
    Quand vous joignez l’erreur avec l’impiété ?
    Jadis les fictions ornaient la vérité,
    Elle leur permettait de se montrer près d’elle ;
    Mais, depuis qu’à ses lois l’homme n’est plus fidële,
    C’est elle qui paraît orner vos fictions.

    Aussi dans la chaleur de vos productions,
    D’une secrète horreur si vos Muses touchées,
    Entr’ouvrent des enfers les retraites cachées,
    Et pour remplir d’effroi les coupables humains,
    Montrent l’impie en proie aux rigeurs des destins ;
    On si prenant un vol moins sombre et plus sublime,
    Vous voulez célébrer le Dieu qui vous anime,
    Et par les traits divins de ses dons enchanteurs,
    D’un saint ravissement pénétrer vos lecteurs :
    Leur âme ne jouit qu’avec inquiétude ;
    Il reste dans le doute et dans l’incertitude,
    Si lorsque vos efforts viennent les émouvoir,
    La franchise chez vous seconde le savoir ;
    Si dans le trouble obscur où leur être se trouve,
    L’esprit doit adopter ce que leur cœur éprouve ;
    Enfin, si selon vous leur persuasion
    Ne doit pas tout son prix à leur illusion.
    Ah ! si vous n’êtes pas persuadés vous - mêmes :
    Arrêtez - vous, vos chants deviendraient des blasphèmes,
    Un sacrilège impie, un abîme d’horreurs.
    La vérité peut bien excuser les erreurs ;
    Mais sa voix menaçante est toujours importune
    A celui qui cherchant la gloire ou la fortune,
    Ose employer en vain le nom des immortels,
    Et détourner l’encens qu’attendent leurs autels.
    N’allez plus écoutant ce monstrueux parjure,
    Charger la vérité de servir l’imposture ; .
    Elle désavouerait le nom que vous portez,
    Et vos yeux contre vous verraient de tous côtés
    S’élever ces élus, ces célestes ancêtres,
    Que vous êtes forcés d’avouer pour vos maîtres.
    Ces élus qui remplis de la force des Dieux,
    Sur la terre semblaient les habitants des cieux.
    Frappez plutôt, frappez notre oreille épurée
    Par les sons imposants de leur langue sacrée ;
    Et nul trouble n’ira se joindre à nos transports ;
    Vos accents émanés de vos divins rapports,
    Rendront de vos pouvoirs les faveurs si présentes,
    Que rien n’obscurcira ces clartés bienfaisantes ;
    Ces rayons que transmet aux mortels vertueux,
    Le sentiment du Dieu qui vient s’emparer d’eux,
    Qui les brûle et nourrit leur âme épanouie
    Des charmes continus d’une joie inouie.
    Mais ces sages instruits des suprêmes décrets,
    Qui leur découvrait donc ces sublimes secrets ?
    Et nourrissait en eux cette flamme divine
    Qui de son propre feu tirant son origine,
    Allumait dans leur sein un foyer créateur ?
    Le respect pour celui qu’ils en croyaient l’auteur,
    Le bonheur d’établir sa gloire et ses puissances,
    Voilà d’où découlaient toutes leurs jouissances.
    Leur cœur ne respirant que pour la vérité,
    Elle exauçait les vœux qu’offrait leur piété.
    Satisfaits de marcher sous la loi salutaire,
    Cette vérité seule était tout leur salaire ;
    Ils éprouvaient qu’en elle était le plus grand prix
    Dont elle put payer ses plus chers favoris.
    Aussi, tremblant d’amour pour ce précieux gage,
    Ils n’en faisaient jamais que le plus saint usage.
    Chaque fois que sa main venait les couronner
    Au pied de son autel, prompts à se prosterner,
    De ses moindre fav’eurs ils lui rendaient hommage ;
    Ils savaient que ce soin, aussi pieux que sage,
    Sur eux, sur leurs écrits, maintenant entr’ouverts
    Ces trésors dont le ciel féconde l’univers ;
    Que sur ce devoir saint la moindre négligence
    Des talents et du goût produits de la décadence ;
    Et qne tant d’écrivains ne restaient loin du but
    Que pour avoir manqué de payer ce tribut.
    Ces douceurs dont leur âme était souvent saisie,
    En cultivant ainsi l’art de la Poésie,
    Cen’est point pour eux-seuls qu’ils en cueillaient les fruits ;
    De leur fécondité plus ils étaient instruite,
    Et plus sur les humaine ils les voulaient répandre ;
    Ils engageaient les cœurs qui pouvaient les entendre
    A s’occuper du soin de révérer les Dieux,
    Et de faire mûrir les germes radieux
    Dont la main souveraine annoblit notre essence,
    Ces élus n’écoutant que leur sainte éloquence,
    Par leurs sons vertueux instruisaient les mortels,
    Des Dieux par leur amour honoraient les autels,
    Et faisaient ressortir du sein de leurs prières,
    Un trésor de vertus, de dons et de lumières,
    Qui de la Poésie annonçant la hauteur,
    Unissait par sa voix et l’homme et son auteur :
    Voilà sur quels appuis ils fondèrent leur gloire.
    Aussi la mort n’a point terminé leur histoire.
    Leur nom agit toujours depuis qu’ils ne sont plus ;
    Ce nom seul reposant sur de nouveaux élus,
    Peut faire entendre encor leur divine harmonie
    Dans notre obscurité leur sublime génie,
    A nos yeux incertains peut servir de flambeau :
    ’ Oui, Poètes sacrés, oui du sein du tombeau,
    Vous pouvez élever votre voix prophétique ;
    Il n’est plus loin de nous cet éternel portique
    Où vont de vos accents retentir les accords.
    Par vos sons il est prêt à verser ses trésors.
    Parlez et dans l’instant la divine influence
    Sur nous, sur l’univers coule avec abondance :
    Parlez et de son souffle elle tient allumé
    Ce feu générateur dont tout est animé
    Je sens qu’elle m’élève, et que toute la terre
    Avec moi se transporte au sein du sanctuaire :
    Que tout prend un autre être en ce céleste lieu,
    Que l’univers renaît et que tout rentre en Dieu.
    Je sens..... Hélas ! Phanor, j’aurais voulu poursuivre ;
    Mais ceux qui m’écoutaient semblaient ne plus me suivre.
    J’exposais devant eux de trop vastes objets,
    Leur esprit absorbé dans de moindres sujets,
    Etait comme étranger au sens de mes paroles ;
    Frivoles, ils trouvaient tous mes discours frivoles,
    Et je parlais en vain à leurs sens prévenus ;
    Bientôt même leur œil ne me distingua plus ;
    Aux efforts de ma voix, la puissance suprême
    Dans moi, dans tout mon être, agissant elle-même,
    De sa divine ardeur paraissait me brûler ;
    Mais trop pure pour ceux qui m’entendaient parler,
    Elle absorba les traits de ma forme grossière,
    Me rendit par degré à ma splendeur première,
    Et du feu primitif forma mon vêtement.
    La prompte agilité de ce saint élément
    Rapide me portait vers la divine enceinte ;
    Mon œil, en s’élevant vers ma demeure sainte,
    Apercevait de loin les spectateurs surpris.
    Mais malgré ce prodige, ils sentaient peu le prix
    Des leçons que ma voix leur avait fait entendre ;
    Leur néant empêchait leur cœur de me comprendre.
    Dès-lors, de leur destin je n’ai plus espéré ;
    Cet art qu’en ma présence ils n’ont point honoré,
    Loin de moi chaque jour dans leur main dégénère,
    Et mon nom va bientôt se perdre sur la terre.
    Quel sera votre appui dans votre obscurité,
    Malheureux, poursuivis par votre iniquité ?
    Les tourments seuls auront le droit de Voue instruire ;
    Déjà même ma voix ne doit plus les conduire.
    Oui, Phanor, en rentrant dans l’immortel séjour,
    Un suprême décret allarma mon amour ;
    L’Éternel me donna des ordres ineffables
    De ne plus éclairer ces Poètes coupables
    Qui, pour lui, n’ont jamais allumé leurs encenf.
    J’obéis à ses lois, et mes divins accents
    Se bornant à remplir les célestes portiques,
    Il n’est plus accordé d’entendre mes cantiques
    Qu’aux mortels dont l’esprit brûlant de piété,
    Vient s’asseoir avec moi près de la vérité ;
    Dans son séjour sa voix m’a permis de t’admettre,
    Et puisqu’à mon pouvoir tu viens pour te soumettre,
    Contemple les trésors que réservent les cieux,
    A celui dont le cœur craint et chérit les Dieux,




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