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Louis Salles
Le Mouchoir rouge
Un soleil tropical tombe sur le marais.
Dans l’eau jusqu’aux genoux les bœufs rêvent au frais
Sous les saules ombreux. Les uns broutent les pousses
Et l’amère saveur des genêts et des mousses ;
D’autres, en mugissant, penchés, frottent leur peau
Contre le tronc rugueux et pourri d’un bouleau.
Sur leur dos qui frissonne un noir essaim de mouches
Vole et s’abat, leur sang est bu par mille bouches,
Du troupeau ruminant un bœuf s’est détaché,
Et sur un point là-bas son œil est attaché :
Au bord de la clairière il voit deux jeunes filles
Ramassant sous un chêne abattu des ramilles ;
Une d’elles au cou porte un rouge mouchoir
Qui rayonne sanglant sous les reflets du soir.
L’animal furieux alors a pris sa course.
L’œil en feu, tête basse, il traverse la source
Coulant au bas des prés, et gravit le taillis,
Sous les arbres du bois partent de légers cris :
On voit le gentil couple, ainsi que deux gazelles,
Franchir en s’enfuyant d’étroites passerelles.
Mais sur un long bâton appuyé, le berger
De la ferme voisine aperçoit le danger :
Il a sifflé deux coups, et sa main fait un signe.
Il était temps : le bœuf arrive en droite ligne
Sur les enfants ; — ils sont perdus !… Quand tout à coup
Accourt dans le sentier un énorme chien-loup.
Ainsi qu’un léopard qui terrasse le buffle,
Sans aboyer, d’un bond terrible, il saute au mufle
De l’animal surpris, beuglant, luttant en vain
Et qui, vaincu, repasse à pas lents le ravin.
Cependant par le bois les deux blondes fillettes
Regagnent le village en cueillant des noisettes,
Et la jeune en riant dit à sa grande sœur :
— Oh ! que le vilain chien du berger m’a fait peur !