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    Mélanie Waldor

    La Jeune fille et le fossoyeur

    « OH ! rendez-moi ses traits, que je la voie encore,

    Que je la trouve ailleurs que dans mon souvenir.

    Ne peut-on l’arracher d’ici sans qu’on l’ignore ?

    Vous me faites bien peur, mais vous pouvez venir.

    Quelle que soit la main qui soulève la pierre

    Que depuis hier on voit au bout du cimetière,

    Cette main, je veux la bénir.



    « La nuit nous cachera, le ciel la fera sombre,

    Du bien qu’il m’a repris il me doit consoler ;

    Car il avait là-haut de beaux anges sans nombre

    Que nul de nous ici ne pouvait rappeler ,

    Tandis que pour m’aimer je n’avais qu’une amie !

    Oh ! venez, car depuis qu’elle s’est endormie,

    Deux jours viennent de s’écouler.



    « Quoi ! vous me refusez dans cette triste enceinte.

    Que vous faut-il ? de l’or ?... Hélas, je n’en ai pas !

    Mais je vous aimerai, mais j’entrerai sans crainte

    Dans ce terrible asile, et prenant dans vos bras

    (Oubliant la frayeur que votre vue inspire)

    Votre plus jeune enfant, je pourrai lui sourire

    Et sans trembler guider ses pas.
 


    « A votre feu si froid, où brûlent avec peine

    Les humides débris arrachés aux tombeaux,

    Je resterai souvent, et filerai la laine

    Qui de vos vêtements rattache les lambeaux ;

    Vous ne serez plus seul dans ces longues soirées,

    Où de votre vieux toit les planches séparées

    Laissent voir voler les corbeaux !



    « Lorsque vous entendrez autour de vous peut-être

    Comme d’étranges voix qui, toujours s’approchant,

    Vous glaceront de peur, sans que vous soyez maître

    De fermer votre oreille à leur lugubre chant,

    Et que vous pourrez voir glisser de grandes ombres

    Le long de vos murs blancs, où se dessinant sombres

    Elles danseront en marchant ;



    « Et que vous saluant d’un long éclat de rire,

    De leurs linceuls usés tenant chacune un bout,

    Elles s’arrêteront... et viendront vous redire,

    Ouvrant un œil éteint qui regardera tout,

    Le dernier chant de mort, la dernière prière

    Que l’on entend ici, lorsque près d’une bière

    Chaque prêtre reste debout !



    « Vous pâlissez, brave homme... et détournez la tête,

    Ne me repoussez pas, moi qui parmi les morts

    Ai déjà tant d’amis... moi, qui souvent m’arrête

    Ici des jours entiers à rêver sur les bords

    D’une tombe entr’ouverte à l’éternel mystère

    Que nous garde le ciel et nous cache la terre,

    Comme l’avare ses trésors.
 


    « Oh ! si vous saviez bien comment aime une femme,

    Vous n’hésiteriez plus ; pour vous je prierais Dieu

    Comme ici je vous prie, et Dieu qui voit mon ame

    Aurait pitié de vous à l’heure de l’adieu,

    Ainsi qu’il aura vu que vous aviez vous-même

    Pitié de moi, vieillard... Ma demande est suprême,

    Car vous êtes entr’elle et Dieu.



    « Un moment, rien qu’un seul, oh, dans un cimetière,

    Qu’est-ce donc qu’un moment ?... Ici l’éternité

    Se devine et commence, ici la vie entière

    N’est qu’un rêve, qu’un mot, dans l’espace jeté :

    Ce que j’attends de vous, qui le saura ?... La tombe

    A-t-elle jamais dit, qu’elle s’élève ou tombe,

    A nul de nous la vérité ? »



    Elle parlait ainsi, la pauvre jeune fille,

    Et du gardien des morts embrassait les genoux.

    Le vieillard, essuyant une larme qui brille

    Dans son œil creux et sec, dit : « Tu fais donc de nous

    Ce que tu veux, jeunesse... Oh ! si rouvrir la tombe

    Qui fut par toi fermée, est péché, qu’il retombe,

    Jeune fille, en entier sur vous !



    « A ce prix j’y consens, et lorsque la nuit close

    Cachera les vivants et les morts à la fois ,

    Tu pourras revenir ! Je ne veux autre chose

    Pour salaire ce soir, que la petite croix

    Suspendue à ton cou : sur elle ma prière
    
Ira plus vite à Dieu, si mon heure dernière

    Est plus proche que je ne crois.»
 


    Alors, et non sans pleurs, la pauvre jeune fille
    
Lentement détacha la croix qu’elle aimait tant :

    Elle était le seul bien qu’eût laissé sa famille.

    Le vieillard vit ses pleurs, et rit en l’acceptant ;

    Et ce rire et ces pleurs du démon et de l’ange

    Firent en se mêlant une harmonie étrange,

    Mais qui ne dura qu’un instant.



    La nuit tomba du ciel, elle était froide et sombre ;

    Minuit tinta, bientôt l’enclos des morts s’ouvrit,

    Et deux êtres vivants se glissèrent dans l’ombre,

    Dont à tous les regards le voile les couvrit !...

    Bientôt celui des deux qui portait une bêche,

    Heurta d’un pied tremblant une tombe encor fraîche,

    Et se mit à creuser sans bruit.



    Puis, après un instant de travail et de peine,

    Où plus sombre toujours la lune se voila,

    Le fossoyeur toucha d’une main incertaine

    Les planches d’un cercueil, et lui dit : « La voilà ;

    Descendez, jeune fille, en cette tombe ouverte,

    La terre me l’avait fidèlement couverte...

    Descendez, votre amie est là. »



    Elle le fit... Et lui sur le bord de la tombe,

    Les pieds pendants, s’assit, comme il faisait souvent,

    Regardant ce corps froid, qui se lève et retombe

    Entre les bras lassés qui le vont soulevant.

    Soudain un cri d’effroi, que rien ne peut combattre,

    Part du fond du tombeau... C’est que venait de battre

    Sous le linceul un cœur vivant.


    
Car celle que l’on crut et morte et refroidie

    N’avait pas du trépas encor subi la loi,

    Dans la terre on l’avait déposée engourdie ;

    Elle ouvrit lentement les yeux, et dit : «C’est toi,

    Tu ne m’as pas quittée en mes heures funèbres.

    Mais pourquoi ce drap froid ? mais pourquoi ces ténèbres ?

    Je veux me lever, aide-moi. »



    Puis elle se leva. La foule curieuse

    Au cimetière ouvert entra le lendemain,

    Répétant d’une voix basse et mystérieuse :

    « C’était là-bas, dit-on, au bout de ce chemin. »

    Et la foule long-temps couvrit d’un œil avide

    Un vieillard mort d’effroi près d’une tombe vide,

    Tenant une croix dans sa main.




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