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    Library / Literary Works

    Paul-Jean Toulet

    Chansons

    I

    Romances sans musique

    En Arles.

    a. Dans Arle, où sont les Aliscams,
    Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
    Et clair le temps,

    Prends garde à la douceur des choses,
    Lorsque tu sens battre sans cause
    Ton cœur trop lourd ;

    Et que se taisent les colombes :
    Parle tout bas, si c’est d’amour,
    Au bord des tombes.


    Les trois dames d’Albi.

    b. Filippa, Faïs, Esclarmonde,
    les plus rares, que l’on put voir,
    beautés du monde ;

    mais toi si pâle encor d’avoir
    couru la lune l’autre soir
    aux quatrerues,

    écoute : au bruit noir des chansons
    Satan flagelle tes sœurs nues ;
    viens, et dansons.


    Plus oultre.

    c. au mois d’aimer, au mois de mai,
    quand zo’va cherchant sous les branches
    le bien−aimé,

    son jupon, tendu sur les hanches,
    me fait songer à l’aile blanche
    du voilier :

    mers qui battez au pied des mornes
    et dont un double pilier
    dressa les bornes.

    Le temps d’Adonis.
    d. dans la saison qu’Adonis fut blessé,
    mon cœur aussi de l’atteinte soudaine
    d’un regard lancé.

    Hors de l’abyme où le temps nous entraîne,
    t’évoquerai−je, ô belle, en vain−ô vaines
    ombres, souvenirs.

    Ah ! Dans mes bras qui pleurais demi−nue,
    certe serais encore, à revenir,
    ah ! La bienvenue.


    II

    Le tremble est blanc.

    le temps irrévocable a fui. L’heure s’achève.
    Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve,
    tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
    tes yeux plus clairs.

    à travers le passé ma mémoire t’embrasse.
    Te voici. Tu descends en courant la terrasse
    odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
    parmi les fleurs.

    Par un après−midi de l’automne, au mirage
    de ce tremble inconstant que varient les nuages,
    ah ! Verrai−je encor se farder ton visage
    d’ombre et de soleil ?


    III

    Longtemps si j’ai demeuré seul,
    ah ! Qu’une nuit je te revoie.
    Perce l’oubli, fille de joie,
    sors du linceul.

    D’une figure trop aimée,
    est−ce toi, spectre gracieux,
    et ton éclat, cette fumée
    devant mes yeux ?

    Ta pâleur, tes sombres dentelles,
    le bal qui berçait nos pieds las,
    un corps qui plie entre mes bras :
    je me rappelle…


    IV

    quelquefois, après des ébats polis,
    j’agitai si bien, sur la couche en déroute,
    le crincrin de la blague et le sistre du doute
    que les bras t’en tombaient du lit.

    Après ça, tu marchais, tu marchais quand même,
    et ces airs, hélas, de doux chien battu,
    c’est à vous dégoûter d’être tendre, vois−tu,
    de taper sur les gens qu’on aime.


    V

    Toi qui fais rêver, ô brune
    si pâle, de clair de lune ;
    des heures blanches et lentes
    où les colombes lamentent ;

    le jour efface la lune,
    les blondes se rient des brunes.
    Je t’ai onze jours aimée :
    l’amour, n’est−ce pas fumée ?


    VI

    Vous souvient−il de l’auberge
    et combien j’y fus galant ?
    Vous étiez en piqué blanc :
    on eût dit la sainte vierge.

    Un chemineau navarrais
    nous joua de la guitare.
    Ah ! Que j’aimais la Navarre,
    et l’amour, et le vin frais.

    De l’auberge dans les Landes
    je rêve, — et voudrais revoir
    l’hôtesse au sombre mouchoir,
    et la glycine en guirlandes.


    VII

    Aimez−vous le passé
    et rêver d’histoires
    évocatoires
    aux contours effacés ?

    Les vieilles chambres
    veuves de pas
    qui sentent tout bas
    l’iris et l’ambre ;

    la pâleur des portraits,
    les reliques usées
    que des morts ont baisées,
    chère, je voudrais

    qu’elles vous soient chères,
    et vous parlent un peu
    d’un cœur poussiéreux
    et plein de mystère.


    (Musique de René De Castera.)


    VIII

    L’Alchimiste.

    Satan, notre meg, a dit
    aux rupins embrassés des rombières :
    « icicaille est le vrai paradis
    « dont les sources nous désaltèrent.

    « la vallace couleur du ciel
    « y lèche le long des allées
    « le pavot chimérique et le bel
    « iris, et les fleurs azalées.

    « la douleur, et sa sœur l’amour,
    « la luxure aux chemises noires
    « y préparent pour vous, loin du jour,
    « leurs poisons les plus doux à boire.

    « et tandis qu’aux portes de fer
    « se heurte la jeune espérance,
    « une harpe dessine dans l’air
    « le contour secret du silence. »

    ainsi (à voix basse) parla
    le sorcier subtil du grand œuvre,
    et Lilith souriait, dont les bras
    sont plus frais que la peau des couleuvres.


    IX

    En l’an 801 de Rome
    César Claudius convint
    de quelques mesures, afin
    d’aider au bonheur des hommes.

    Un aqueduc fut parfait,
    une loi réprima l’usure ;
    et trois caractères furent
    ajoutés à l’alphabet :

    savoir (ainsi nous enseigne
    tacite) l’f inversé,
    l’antisigma, l’i barré,
    (cf. Le corpus du règne).

    Cependant, — louange à Vénus ! —
    Messaline, et moins assouvie,
    oubliait le poids de la vie
    dans les bras du beau Silius.


    X

    Vêtue à l’envi d’un beau soir
    d’une liquette d’écarlate
    et d’un seul bas noir, délicate
    à voir,

    telles, divin marquis, les seules
    couleurs peignant à ton désir
    la mort de sable, et du plaisir
    les gueules.


    XI

    Soir de Montmartre.

    décor d’encre. Sur le ciel terne
    court un fil de fer :
    mansarde où l’on aima, vanterne
    sans carreaux, où l’on a souffert.

    Une enfant fait le pied de grue
    le long du trottoir.
    Le bistro, du bout de la rue,
    ouvre un œil de sang dans le noir ;

    tandis qu’on pense à sa province,
    à Faustine, à zo’…
    mais c’est pour Lilith que j’en pince :
    autres chansons, autres oiseaux.


    XII

    Vous me reprochez, entre tant,
    d’être chipé pour la boniche.
    Mais vous donner mon cœur, autant
    porter des cerises à guiche.

    Ne prenez pas cet air pointu
    en parlant d’amour ancillaire.
    Achille a taxé sa vertu
    au prix des captives, ma chère.

    Et je sais, brûlé d’autres cieux,
    un village sous les goyaves,
    peuplé des fils par mes aïeux
    qu’ils avaient fait à leurs esclaves.


    XIII

    Réveil.

    si tu savais encor te lever de bonne heure,
    on irait jusqu’au bois, où, dans cette eau qui pleure
    poursuivant la rainette, un jour, dans le cresson
    tremblante, tes pieds nus ont leur nacre baignée.
    Déjà le rossignol a tari sa chanson ;
    l’aube a mis sa rosée aux toiles d’araignée,
    et l’arme du chasseur, avec un faible son,
    perce la brume, au loin, de soleil imprégnée.


    XIV

    Alcôve noire.

    ces premiers froids que l’on réchauffe d’un sarment,
    — et des platanes d’or le long gémissement,
    — et l’alcôve au lit noir qui datait d’Henri Iv,
    où ton corps, au hasard de l’ombre dévêtu,
    s’illuminait parfois d’un rouge éclair de l’âtre,
    quand tu m’aiguillonnais de ton genou pointu,
    chevaucheuse d’amour si triste et si folâtre ;
    — et cet abyme où l’on tombait : t’en souviens−tu ?




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