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Paul-Jean Toulet
Dixains
I
Nane, as−tu gardé souvenir
du panthéon−place Courcelle
qui roulait à cris de crécelle,
sans au but jamais parvenir ;
du jour où te sculptait la brise
sous ta jupe noire et cerise ;
de l’impérial au banc haut,
où se scandait comme un ïambe
la glissade avec le cahot,
— et du vieux qui lorgnait tes jambes ?
II
église de saint−Augustin,
au porche maigre, à l’ample dôme
dont les cloches seraient à Rome
beaucoup mieux qu’ici, le matin,
si ta circonspecte opulence
ignore cette violence
qui nous abyme en oraison,
c’est que Dieu même est resté triste
qu’on prît pour bâtir sa maison
un architecte calviniste.
III
Si ta grande ombre, ô Moréas,
revient aux cabarets des halles
parmi les filles de trois balles
et leurs gitons complets à l’as,
puissé−je au soir d’un beau dimanche,
près de l’homme à la souris blanche,
à l’ange ou dans l’affreux caveau,
entendre encor ta voix cuivrée :
telle, de sagesse enivrée,
une cigale, au renouveau.
IV
Chandelier toujours sans chandelle
mais qu’il y faudrait trop de suif,
atricaille à revendre au juif
et qui fais peur à l’hirondelle :
qu’Eiffel ait trouvé ton schéma
dans les marais de Panama
çà vaut−il à jamais qu’en France,
sous couleur de parler sans fil
aux nègres de l’île−à−Morfil,
ta laideur soit sans espérance ?
V
« — non, ce taxi, quelle charrette.
C’est sous les toits, votre entresol ?
Je t’aime… oui c’est un tournesol…
si tu savais comme il me traite :
des claques voilà mes cadeaux !
Je croyais n’être jamais prête.
… çà ? C’est moi. Laissez les rideaux. »
« — le cœur vous est bien en dentelle. »
« — mais il faut une heure " , dit−elle,
« rien qu’à me lacer dans le dos. »
VI
l’un vainqueur ou l’autre battu,
ces beaux soldats qui vous ont faite
gardaient jusque dans la défaite
le sourire de leur vertu.
Vous, pour avoir rendu les armes,
je vous trouve fondue en larmes
et qui m’insultez entre tant.
Que si l’on doit, toute sa vie,
déplorer l’éclair d’un instant,
mieux vaut coucher sur son envie.
VII
Industrieux fils de Dédale
qui ressuscitez dans Paris —
pourquoi, j’y entrave que dale —
tant de singes en vain péris ;
et de quoi sert que Dieu les tue
si vous nous fichez leur statue ?
Il faut vivre, se faire un nom.
— eh ! Qui de savoir s’évertue,
par la racine ou non,
comment vous mangez la laitue.
VIII
Sur le canal saint−Martin glisse,
lisse et peinte comme un joujou,
une péniche en acajou,
avec ses volets à coulisse,
un caillebot au minium,
et deux pots de géranium
pour la picarde, en bas, qui trôle.
Je rêve d’un soir rouge d’or,
et d’un lougre hindou qui s’endort :
— siffle la brise… eh toi ! Créole.
IX
Ce pavé que l’Europe foule
est gras encor du suif des morts.
Leurs os, qui n’ont plus de remords,
y dorment au pas de la foule,
d’un sommeil noir, à pleins paniers.
— dors−tu, Cathau, loin des charniers
où tes crapauds, sous l’herbe verte,
enchantaient le cœur des passants :
toi qu’un jour l’aube, aux innocents,
trouva nue, et la gorge ouverte ?
X
Qu’Allard, sur la caricature
de ce malcuit, de ce Dolet,
aille râler du Michelet,
que le vieux sçavant s’aventure
à débrouiller son plagiat —
Dieu les garde ! Mais tant y a
qu’un éditeur c’est bon à prendre.
Et nos aïeux, en ayant un
sous la main, le menèrent pendre :
ainsi soit de tout importun.
XI
Tant pis si Boulenger m’attrape,
je n’irai plus à Chantilly
pâmer sur un lièvre assailli
par deux chiens à la forte gueule,
sauf à vous y trouver encor,
fille de France au ciel d’accord.
Telle−et le printemps nous présage —
l’onde où tremble un pur paysage
n’est si délicieux décor
que ses rêves sur son visage.
XII
Puisque tes jours ne t’ont laissé
qu’un peu de cendre dans la bouche
avant qu’on ne tende la couche
où ton cœur dorme, enfin glacé,
retourne, comme au temps passé,
cueillir, près de la dune instable,
le lys qu’y courbe un souffle amer,
— et grave ces mots sur le sable :
le rêve de l’homme est semblable
aux illusions de la mer.