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Paul Verlaine
À mon âge, je sais
A mon âge, je sais, il faut rester tranquille,
Dételer, cultiver l’art, peut-être imbécile,
D’être un bourgeois, poète honnête et chaste époux,
A moins que de plonger, sevré de tout dégoût,
Dans la crapule des célibats innomables.
Je sais bien, et pourtant je trouve plus aimables
Les femmes et leurs yeux et tout d’elles, depuis
Les pieds fins jusqu’aux noirs cheveux, nuit de mes nuits,
Car les femmes c’est toi désormais pour la vie,
Pour moi, pour mon esprit et pour ma chair ravie,
Ma chair, elle se tend vers toi, pleine d’émoi
Sacré, d’un bel émoi, le feu, la fleur de moi ;
Mon âme, elle fond sur ton àme et s’y fond toute,
Et mon esprit veut ton esprit.
Et mon esprit veut ton esprit.Chérie, écoute
Moi bien : Or je suis vieux ou presque, et Dieu voulut
Te faire de dix ans plus jeune, dans le but
Evident d’être, toi, plausible compagne
De ma misère emmi mes châteaux en Espagne.
— Ne me regarde pas de tes petits yeux bruns,
Naguère, moi compris, les bourreaux de d’aucuns. —
Châtelaine de qui je ne suis, las ! le page,
Mais le vieil écuyer fidèle et pas trop sage
Grâces à ta bonté qui pleut dans le désert
Parfois, mais le chanteur familier et disert
Rentrant et ressortant par une porte basse,
Le berger de tes gras pâturages qui passe
Pour sorcier, qui sur toi dresse ses yeux matois
Et t’évoque et t’envoûte en son rauque patois,
Le moine confesseur, saint homme par sa robe
Austère, blanche et noire et qui, dit-on, dérobe
Des masses de malice et plus d’un joli tour,
L’archer, enfin, qui veille au créneau de la tour,
Châtelaine de mes domaines de Bohême,
Ecoute bien, chérie, écoute bien : je t’aime !
— Et dis à les cheveux de me luire moins noir,
Tes cheveux, pourpre en deuil sur le rouge du soir.
Les gens crieront ce qu’ils voudront : « C’est ridicule,
Idiot ! Un barbon ! Où la chair nous accule
Pourtant ! « Passe encore de bâtir » et cætera ! »
Va, toi ! le monde en vain de moi caquettera.
Je t’aime, moi, barbon, toi, plus une ingénue,
D’unie amour, comme de printemps, tard survenue
Et d’un élan, aussi, médité, concerné,
Mariant mon déclin à ta maturité.
O ta maturité plus belle et plus jolie
Que telle adolescence à la taille qui plie
Et que tels vingt-cinq ans certes très savoureux
Mais trop fringants pour faire assez mes sens heureux !
Toi, simple et, par la loi des choses, reposée
Moyennant toutefois parfois une fusée
De franche passion et de goût aux ébats,
Tu sais porter le poids divin de tes appas
Comme un soldat instruit porte à l’aise ses armes,
Et manier avec autorité tes charmes.
Et puis, ô ton bon sens, et puis, ô la gaîté.
Ta raisonnable et fine et sans rien d’apprêté
Gaité ! Sages conseils souvent épicés d’ire
Plaisamment simulée et finissant en rire.
Le Bottin ne saurait nombrer les agréments.
Ta conversation éclate en mots charmants
Plus naïfs que roués, bien que roués quand même,
Et pour tout dire enfin, excitants à l'extrême
Grâce à ton visage enfantin et grâce à la
Lèvre supérieure en avant que voilà,
Qui boude drôlement sous quel nez qui se moque,
Nez en l’air, nez léger, petit nez qu’un rien choque
Et fronce amusamment, sottise ou male odeur.
Ou parfum excessif, ou propos em...nuyeur.
Quelque méchanceté, dame ! il faut qu’on l’avoue,
Te hérisse à son tour — et certes je t’en loue,
Mais j’en souffre — et sur moi, non pas étourdiment,
Mais de propos délibéré, va promenant
Sa herse, tel un laboureur brisant des mottes.
— O que tes longues mains, n’étant plus des menottes,
Bercent, ne griffent plus mon amour agité. —
Mais au fond, bien au fond, cette méchanceté
Même m’est salutaire et bonne, tant je t’aime !
Elle fouette mon sang qui coule plutôt blême
A cause de la maladie et des ennuis.
Elle avertit le casse-cou fou que je suis,
Et, par l’effet de la pure logique, amène
Mon regret, ou plutôt mon remords, à l’amène
Façon que j’ai, des jours de penser et d’agir
Et j’entends ma méchanceté propre rugir
Et rendre malheureux tel ou tel ou telle autre
En dépit de mes airs tout ronds de bon apôtre.
Aussi, malgré les pleurs dont tu rougis mes yeux,
Je proclame à jamais les torts délicieux.
Puis, ces défauts, car tu n’en manques point peut-être
Assez, — quelque charmants qu’ils daignent me paraître, —
Ne sont rien. Tu me plais. Que dis-je, tu m’es Dieu.
Non pas Déesse, tant me brûles d’un feu
Jovial, et tu m’es maître et non plus maîtresse,
Tant ta volonté tonne à travers toute ivresse.
Tes défauts no sont rien que le miroir des miens.
Capricieuse avec des retours, ô si tiens !
Colère, point jalouse (est-ce taquinerie ?)
Très maussade entre temps, car il faut bien qu’on rie,
Gaie à l’excès, car il faut bien qu’on pleure aussi,
El le reste… Mais quoi, tu m’es tout, — et merci !