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Saint-Pol-Roux
Seul et la flamme
A Pierre Quillard
C’était au temps abstrait de Seul : futur, l’objet
S’essayait vers la ligne où le vœu sera chose ;
L’âme, aux ailes de plan ouvertes pour le jet,
Aspirait à l’argile en le gré de la Cause.
Or Seul, hanté par l’odorance du Jardin
Prêt à jaillir des hauts sillons de sa pensée,
Vit se cabrer devant son mystère, soudain,
Le saisissable éclat d’une Flamme avancée.
— « Ton nom, s’écria Seul, feu que n’a pas conçu
Mon ensealissime et tranquille génie ?
Je ne t’ai pas pensé, tu n’es pas mon issu.
O Seul, serais-je Deux dans ma vierge harmonie ?
Oui, j’émettrai l’azur et ses ardents raisins,
Je gonflerai des monts et je suerai des fleuves,
Aux flots je donnerai les chênes pour voisins,
Je créerai l’olivier pour les colombes neuves.
Sublime apothéose offerte au devenir
Sans perdre le triomphe entier de sa corolle,
Me voici grandiose au seuil de l’avenir
Car je vais m’effeuiller avec une parole.
Mais mon poème n’est encore qu’en zéros
Divinement couvés par ma caresse énorme ;
De ces œufs, prometteurs de nombres au chaos,
Rien n’émana déjà dans l’arrêt d’une forme.
Espace pour l’oiseau, glèbe pour les moissons,
De mon front chaque chose est toujours à descendre,
Les océans prochains ne sont que des frissons,
Les soleils imminents des tisons sous la cendre.
L’Absolu récusant à jamais le sommeil,
Tu n’es donc pas l’inconscient effet d’un songe,
De l’ombre vaste où se pavane mon éveil
Non plus ne saurait sourdre une œuvre de mensonge.
Tu t’agrippes pourtant, ô pieuvre de lueur,
A même la prunelle interdite de l’Être,
Et ma science attend sous sa tempe en sueur
Le rayon divulguant ta raison d’apparaître.
Hypothèse d’un corps que Seul exprimera,
Il faut que son foyer soit géant dans le proche
Pour transsuder ainsi de ce qui germera
Et dès lors s’affirmer par l’éclat qui m’accroche.
Je crois donc, avenir d’une réalité,
Que tu viens, devançant l’Age des Créatures,
Ouraganer la paix de mon éternité
Afin que je m’apprête aux tempêtes futures.
Vite déchiffre-moi cette énigme de feu
Qu’alimentent, bizarre amas d’allégories,
Des fanfares, des paons, des blasphèmes à Dieu,
Des serments tronçonnés et des chocs de patries.
Oh dis, spectre à rebours, la Force de demain
Que tu fais pressentir par une telle emprise
Que ma barbe si blonde a blanchi de surprise ! »
Et la Flamme lança : « Je suis l’Orgueil Humain. »
Mars 1885.