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    Théodore de Banville

    La Chanson du Vin

    Un soir l'âme du vin chantait dans les bouteilles.
    Charles Baudelaire.


    Parmi les gazons
    Tout en floraisons
    Dessous les treilles,
    J'écoute sans fin
    La chanson du Vin
    Dans les bouteilles.

    L'Ode à l'Idéal
    Au fond du cristal
    Coule embaumée.
    La strophe bruit,
    Et, limpide, suit
    Sa sœur charmée.

    Les nectars vermeils
    Chantent les soleils
    De la jeunesse,
    Et tous les retours
    Qui font nos amours
    Pleins de tristesse ;

    Et le dieu cornu,
    Le beau guerrier nu,
    Dans les mêlées,
    Qui guide en rêvant
    Des femmes au vent
    Échevelées ;

    Le dieu des pressoirs
    Qui, sous les pins noirs
    Du mont Ménale,
    Fait, pendant la nuit,
    Courir à grand bruit
    La bacchanale !

    Et le tambourin
    Des vierges sans frein
    Dans leurs querelles,
    Qui, loin des regards,
    Dans les bois épars
    S'aiment entre elles ;

    Et le chœur dansant
    Qui, rouge, et versant
    Dans son délire
    Le sang et le vin,
    Brise le devin
    Avec sa lyre !


    Le Nectar nous dit :
    O vous qu'engourdit
    La Poésie,
    Plus de vains sanglots !
    Buvez à mes flots
    La fantaisie.

    Ne réservez plus
    Vos vœux superflus
    Et vos tendresses
    Pour les impudeurs
    Et pour les froideurs
    De vos maîtresses.

    Nos claires prisons
    Montrent aux raisons
    Évanouies
    L'âme des couleurs,
    Du rhythme et des fleurs
    Épanouies !

    Nos secrets plaisirs,
    Nés dans les loisirs,
    Ont à s'accroître,
    Pour les sens domptés
    Plus de voluptés
    Que ceux du cloître.

    Mais fuis, jeune élu,
    Le bois chevelu,
    Le flot rapide
    Et l'antre secret
    Où te rencontrait
    L'Aganippide !

    Le thyrse est levé.
    Dans le lieu trouvé
    Pour les mystères,
    Hurlent de fureur
    Les vierges en chœur
    Et les panthères.

    Privé de tombeaux,
    L'impie en lambeaux
    Meurt comme Orphée.
    Dans l'onde à la fois
    Sa lyre et sa voix
    Pleure étouffée,

    Tandis qu'au lointain
    Bondit, le matin,
    Toute rougie,
    En vociférant
    Sur l'indifférent,
    La sainte Orgie !


    Septembre 1844.




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