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    Théophile de Viau

    A Monsieur de Montmorency

    Ode

    Lorsqu'on veut que les Muses flattent
    Un homme qu'on estime à faux,
    Et qu'il faut cacher cent défauts
    Afin que deux vertus éclatent,
    Nos esprits, d'un pinceau divers,
    Par l'artifice de nos vers,
    Font le visage à toutes choses,
    Et dans le fard de leurs couleurs
    Font passer de mauvaises fleurs
    Sous le teint des lys et des roses.

    Ce vagabond, de qui le bruit
    Fut si chéri des destinées
    Et si grand que trois mille années
    Ne l'ont point encore détruit,
    Avecque de si bonnes marques
    N'eût foulé la rigueur des Parques,
    Ni peuplé le pays Latin,
    Si, depuis qu'on brûla sa ville
    Auguste n'eût prié Virgile
    De lui faire un si beau destin.

    Tout de même, au siècle où nous sommes,
    Les richesses ont acheté
    De notre avare lâcheté
    La façon de louer les hommes;
    Mais je ne te conseille pas
    De présenter aucun appas
    A tant de plumes hypocrites;
    D'autant que la postérité
    Verra mieux dans la vérité
    La mémoire de tes mérites.

    Laisse là ces esprits menteurs,
    Sauve ton nom de leurs ouvrages,
    Les compliments sont des outrages
    Dedans la bouche des flatteurs.
    Moi, qui n'ai jamais eu le blâme
    De farder mes vers ni mon âme,
    Je trouverai mille témoins
    Que tous les censeurs me reçoivent,
    Et que les plus entiers me doivent
    La gloire de mentir le moins.

    Cette grâce si peu vulgaire,
    Me donne de la vanité,
    Et fait que sans témérité
    Je prendrai le soin de te plaire.
    Les dieux, aidant à mon dessein,
    Me verseront dedans le sein
    Une fureur mieux animée,
    Ils m'apprendront des traits nouveaux
    Et plus durables et plus beaux
    En faveur de ta renommée.

    Mais aussitôt que mon désir,
    Qui ne respire que la gloire
    De travailler à ta mémoire,
    Jouira d'un si doux loisir,
    Mon astre qui ne sait reluire
    Que pour me troubler et me nuire,
    Cachera son mauvais aspect,
    Et son influence inhumaine
    N'a pas eu pour moi tant de haine
    Qu'elle aura pour toi de respect.

    Mes affections exaucées
    En l'ardeur d'un si beau projet,
    Recouvreront pour ton sujet
    La liberté de mes pensées.
    Mes ennuis seront écartés,
    Et mon âme aura des clartés
    Si propices à tes louanges,
    Que le Ciel s'il n'en est jaloux,
    Ayant trouvé mes vers si doux,
    Il les fera redire aux anges.

    Je sens une chaleur d'esprit
    Qui vient persuader ma plume
    De tracer le plus grand volume
    Que Français ait jamais écrit.
    Tout plein de zèle et de courage,
    Je m'embarque à ce grand ouvrage;
    Je sais l'Antarctique et le Nord,
    J'entends la carte et les étoiles,
    Et ne fais point enfler mes voiles
    Avant qu'être assuré du port.

    Par les rochers et dans l'orage
    De l'onde où je me suis commis,
    Je prépare à mes ennemis
    L'espérance de mon naufrage;
    Mais, que les astres irrités
    De toutes leurs adversités
    Persécutent mon entreprise,
    Je ne connais point de malheur
    Qu'au seul renom de ta valeur
    Je ne vainque ou je ne me méprise.




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