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    Théophile de Viau

    Ode au Prince d’Orange

    Un esprit lâche et mercenaire,
    Qui d'une gloire imaginaire,
    Flatte les cœurs ambitieux,
    Lorsqu'il parle de vos louanges,
    Met les hommes plus vicieux
    A la comparaison des anges.

    Aussi bien, nue et sans appas,
    La pauvre Muse n'ose pas,
    Parmi les pompes où vous êtes,
    Faire venir la vérité,
    Et si les bouches des poètes
    Ne quittent leur sévérité,
    Elles demeureront muettes.

    Prince, je dis sans me louer,
    Que le Ciel m'a voulu douer
    D'un esprit que la France estime,
    Et qui ne fait point mal sonner
    Une louange légitime
    Quand il trouve à qui la donner.

    Mais le vice à qui tout aspire,
    Maîtrise avecque tant d'empire
    Ceux qui gouvernent l'univers,
    Que chez les plus heureux monarques,
    O honte de ce temps pervers !
    A peine ai-je trouvé des marques
    Qui fussent dignes de mes vers.

    Et depuis que la Cour avoue
    Ces âmes de cire et de boue
    Que tout crime peut employer,
    Chacun attend qu'on le corrompe,
    Et les grands donnent le loyer
    Tant seulement à qui les trompe.

    Lorsque la force du devoir
    Pousse mon âme à décevoir
    Quelqu'un à qui je fais hommage,
    Si quelquefois pour un mortel
    Je tire une immortelle image,
    C'est afin qu'il se rende tel
    Qu'il se voit peint en mon ouvrage.

    Mais quand je pense à ta valeur,
    O que mon sort a de malheur !
    Car même des nouveaux Orphées
    Ne pourraient, en flattant le dieux,
    Dire si bien que tes trophées
    Ne méritent encore mieux.

    Quels vers faut-il que je prépare ?
    En quel si beau marbre de Pare
    Dois-je graver des monuments
    Qui soient fidèles à ta gloire ?
    Quels si religieux serments,
    Jurant tes faits à la mémoire,
    Feront croire que je ne mens ?

    L'Espagne, mère de l'orgueil,
    Ne préparait votre cercueil
    Que de la corde et de la roue,
    Et venait avec des vaisseaux
    Qui portaient, peintes sur la proue,
    Des potences et des bourreaux.

    Ses troupes à pleine licence
    Venaient fouler votre innocence,
    Et l'appareil de ses efforts
    Craignait de manquer de matière,
    Où vos champs, tapissés de corps,
    Manquaient plutôt de cimetière
    Pour le sépulcre de ses morts.

    Les vôtres, que mordit sa rage,
    Mourant disaient en leurs courages:
    O nos terres ! O nos cités !
    Si vous n'êtes plus asservies,
    Ayant gagné vos libertés,
    Nous voulons bien perdre nos vies.

    O vous, que le destin d'honneur
    Retira pour notre bonheur,
    Belles âmes, soyez apprises
    Que l'horreur de vos corps détruits
    N'a point rompu nos entreprises,
    Et que nous recueillons les fruits
    Des peines que vous avez prises.

    Nos ports sont libres, nos remparts
    Sont assurés de toutes parts.
    Picorant jusqu'au bout du monde.
    Si nos victorieux nochers
    Trouvent des ennemis sur l'onde
    Ce sont les vents et les rochers.

    Ainsi ta gent victorieuse,
    Dessus la tombe glorieuse
    Des braves dont tu fus le chef,
    Maurice, vante ta prouesse,
    Et, dans les pleurs de son méchef,
    Verse des larmes de liesse.

    Toi seul, grand Prince, es le vainqueur:
    Car, si les tiens montrent du cœur,
    Tout ce qui les y fait résoudre
    Sont tes yeux dont le feu reluit
    Dans le sang et parmi la poudre,
    Comme aux orages de la nuit
    Brillent les flammes de la foudre.

    Sans toi, qui ne devait douter
    Que ce peuple, au lieu de goûter
    La douceur d'un repos durable,
    De sa faible rébellion
    Retomberait plus misérable
    En la vengeance du Lion ?

    La liberté, qu'on a vu naître
    Du grand Mars dont tu pris ton être,
    Après lui, veuve de support,
    Si tu n'eusses été son frère,
    Par quel secours, que de la mort,
    Espérait-elle se défaire
    Des mains d'un ennemi si fort ?

    Tu l'arrachas du précipice,
    Faisant voir que tout est propice
    A qui tu daignes secourir,
    Et qu'ayant ton destin pour elle,
    Parce que tu ne peux mourir,
    La liberté n'est pas mortelle.

    Mais que, pour te déifier,
    Il te fallut sacrifier
    De sang au ténébreux monarque !
    Que, pour épargner le denier
    Qu'on paie aux rives de la Parque,
    Tu fis riche le nautonier
    Qui conduit la mortelle barque !

    Hercule, à qui les immortels
    Ont donné rang à leurs autels,
    N'a pas mieux mérité sa fête,
    Et si le sort l'eût assailli
    Des forces qu'il t'a mis en tête,
    Il eût sans doute défailli.

    Ostende, où les soldats d'Ibère,
    En riant de votre misère,
    Pleuraient la cause de la leur,
    Voyant le sort qui t'accompagne
    Vendre tant même le malheur,
    A cru que le démon d'Espagne
    S'entend avecque ta valeur.

    Les ans qu'on mit pour ses ruines
    Furent les jours dont tes machines
    Regagnèrent un plus beau lieu ;
    Et c'est ainsi que tes journées,
    Comme on les compte pour un Dieu,
    Valent autant que des années.

    A Nieuport, où ton oeil charmait
    La frayeur et la désarmait,
    On vit Bellone, au sang trempée,
    Dans le choc se précipiter ;
    Et parfois qu'elle était frappée,
    Au lieu de Mars et Jupiter,
    Ne réclamer que ton épée.

    Aux coups que le canon tirait,
    Le ciel de peur se retirait ;
    La mer se vit toute allumée,
    Les astres perdirent leur rang,
    L'air s'étouffa de la fumée,
    La terre se noya de sang.

    Parmi la nuit de ces tumultes,
    Quelque grand Dieu, que tu consultes
    Alors que tout semble périr,
    Vint aux coups afin de te suivre,
    Sans besoin de te secourir:
    Car pour ne t'empêcher de vivre,
    La Parque aurait voulu mourir.

    L'ennemi battu sans retraite,
    N'avait, au bout de sa défaite,
    Que ta clémence pour support ;
    Ainsi, parfois, après l'orage,
    Les rochers ont trouvé leur port
    Sur les rochers de leur naufrage.

    A bien chanter tant de combats,
    Où jamais tu ne succombas,
    Je voudrais consacrer mes veilles ;
    Mais ton esprit trop retenu
    Se fâcherait à tes oreilles
    Si je l'avais entretenu
    De la moindre de tes merveilles.

    Aussi bien n'est-il pas besoin
    Que mon poème soit témoin
    De tes exploits si manifestes ;
    Car, quelque part qu'on puisse aller,
    Si quelqu'un n'a point vu tes gestes,
    Il en a bien ouï parler.

    L'horizon de la gent sauvage
    N'a point de mont ni de rivage
    Où ne soit adoré ton lôs,
    Que dans ton nom l'Hyperborée
    A fait voir à nos matelots,
    Haut écrit en lettre dorée,
    Sur le fer de ses javelots.

    Puisque sa gloire est accomplie,
    Grands destins, je ne vous supplie
    Que de faire continuer
    L'honneur où je le vois paroître,
    Sans le faire diminuer,
    Quand vous ne le pouvez accroître.

    Mais le Ciel que tu dois orner,
    Maurice, tâche de borner
    Le fil sacré de tes journées:
    Il t'a déjà marqué le lieu
    Où tu dois, après cent années,
    Assis un peu plus bas que Dieu,
    Fouler aux pieds les destinées.

    Les Muses en m'ouvrant les cieux
    M'ont fait voir que ces demi-dieux,
    A qui la terre fait offrande,
    Fors le bien de ton amitié,
    N'ont point félicité si grande,
    Qui ne te pût faire pitié.

    Les astres, dont la bienveillance
    Se sent forcer de ta vaillance,
    Sont apprêtés pour t'accueillir:
    Déjà leur splendeur t'environne,
    Dieu comme fleurs les vient cueillir
    Pour t'en donner une couronne
    Qui ne pourra jamais vieillir.




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