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    Tristan L’Hermite

    Le Promenoir des deux amants

    Auprès de cette grotte sombre
    Où l’on respire un air si doux,
    L’onde lutte avec les cailloux,
    Et la lumière avecque l’ombre.

    Ces flots lassés de l’exercice
    Qu’ils ont fait dessus ce gravier,
    Se reposent dans ce vivier
    Où mourut autrefois Narcisse.

    C’est un des miroirs où le Faune
    Vient voir si son teint cramoisi,
    Depuis que l’amour l’a saisi,
    Ne serait point devenu jaune.

    L’ombre de cette fleur vermeille
    Et celle de ces joncs pendants
    Paraissent être là dedans
    Les songes de l’eau qui sommeille.

    Les plus aimables influences
    Qui rajeunissent l’univers,
    Ont relevé ces tapis verts
    De fleurs de toutes les nuances.

    Dans ce bois ni dans ces montagnes
    Jamais chasseur ne vint encor :
    Si quelqu’un y sonne du cor,
    C’est Diane avec ses compagnes.

    Ce vieux chêne a des marques saintes :
    Sans doute qui le couperait,
    Le sang chaud en découlerait,
    Et l’arbre pousserait des plaintes.

    Ce rossignol, mélancolique
    Du souvenir de son malheur,
    Tâche de charmer sa douleur,
    Mettant son histoire en musique.

    Il reprend sa note première
    Pour chanter, d’un art sans pareil,
    Sous ce rameau que le soleil
    A doré d’un trait de lumière.

    Sur ce frêne deux tourterelles
    S’entretiennent de leurs tourments,
    Et font les doux appointements
    De leurs amoureuses querelles.

    Un jour, Vénus avec Anchise
    Parmi ces forts s’allait perdant,
    Et deux Amours, en l’attendant,
    Disputaient pour une cerise.

    Dans toutes ces routes divines,
    Les nymphes dansent aux chansons,
    Et donnent la grâce aux buissons
    De porter des fleurs sans épines.

    Jamais les vents ni le tonnerre
    N’ont troublé la paix de ces lieux,
    Et la complaisance des dieux
    Y sourit toujours à la terre.

    Crois mon conseil, chère Climène ;
    Pour laisser arriver le soir,
    Je te prie, allons nous asseoir
    Sur le bord de cette fontaine.

    N’ois-tu pas soupirer Zéphire,
    De merveille et d’amour atteint,
    Voyant des roses sur son teint,
    Qui ne sont pas de son empire ?

    Sa bouche, d’odeur toute pleine,
    A soufflé sur notre chemin,
    Mêlant un esprit de jasmin
    À l’ambre de ta douce haleine.

    Penche la tête sur cette onde
    Dont le cristal paraît si noir ;
    Je t’y veux faire apercevoir
    L’objet le plus charmant du monde.

    Tu ne dois pas être étonnée
    Si, vivant sous tes douces lois,
    J’appelle ces beaux yeux mes rois,
    Mes astres et ma destinée.

    Bien que ta froideur soit extrême,
    Si, dessous l’habit d’un garçon,
    Tu te voyais de la façon,
    Tu mourrais d’amour pour toi-même.

    Vois mille Amours qui se vont prendre
    Dans les filets de tes cheveux ;
    Et d’autres qui cachent leurs feux
    Dessous une si belle cendre.

    Cette troupe jeune et folâtre
    Si tu pensais la dépiter,
    S’irait soudain précipiter
    Du haut de ces deux monts d’albâtre.

    Je tremble en voyant ton visage
    Flotter avecque mes désirs,
    Tant j’ai de peur que mes soupirs
    Ne lui fassent faire naufrage.

    De crainte de cette aventure,
    Ne commets pas si librement
    A cet infidèle Élément
    Tous les trésors de la Nature.

    Veux-tu par un doux privilège,
    Me mettre au-dessus des humains ?
    Fais-moi boire au creux de tes mains,
    Si l’eau n’en dissout point la neige.

    Ah ! je n’en puis plus, je me pâme,
    Mon âme est prête à s’envoler ;
    Tu viens de me faire avaler
    La moitié moins d’eau que de flamme.

    Ta bouche d’un baiser humide
    Pourrait amortir ce grand feu :
    De crainte de pécher un peu
    N’achève pas un homicide.

    J’aurais plus de bonne fortune
    Caressé d’un jeune Soleil
    Que celui qui dans le sommeil
    Reçut des faveurs de la Lune.

    Climène, ce baiser m’enivre,
    Cet autre me rend tout transi.
    Si je ne meurs de celui-ci,
    Je ne suis pas digne de vivre.




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