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    Voltaire

    La Mule du pape

    Par le chevalier de Saint-Gile
    Frères très chers, on lit dans saint Mathieu
    Qu'un jour le diable emporta le bon Dieu
    Sur la montagne, et puis lui dit: "Beau sire,
    Vois-tu ces mers, vois-tu ce vaste empire,
    L'Etat romain de l'un à l'autre bout?"
    L'autre reprit: "Je ne vois rien du tout,
    Votre montagne en vain serait plus haute."
    Le diable dit: "Mon ami, c'est ta faute.
    Mais avec moi veux-tu faire un marché?
    - Oui-da, dit Dieu, pourvu que sans péché
    Honnêtement nous arrangions la chose.
    - Or voici donc ce que je te propose,
    Reprit Satan. Tout le monde est à moi;
    Depuis Adam j'en ai la jouissance;
    Je me démets, et tout sera pour toi,
    Si tu me veux faire la révérence."
    Notre Seigneur, ayant un peu rêvé,
    Dit au démon que, quoique en apparence
    Avantageux le marché fût trouvé,
    Il ne pouvait le faire en conscience;
    Car il avait appris dans son enfance
    Qu'étant si riche on fait mal son salut.
    Un temps après, notre ami Belzébut
    Alla dans Rome: or c'était l'heureux âge
    Où Rome avait fourmilière d'élus;
    Le pape était un pauvre personnage,
    Pasteur de gens, évêque, et rien de plus.
    L'Esprit malin s'en va droit au saint-père,
    Dans son taudis l'aborde, et lui dit: "Frère,
    Je te ferai, si tu veux, grand seigneur."
    A ce seul mot l'ultramontain pontife
    Tombe à ses pieds et lui baise la griffe;
    Le farfadet, d'un air de sénateur,
    Lui met au chef une triple couronne.
    "Prenez, dit-il, ce que Satan vous donne;
    Servez-le bien, vous aurez sa faveur."
    O papegots! voilà la belle source
    De tous vos biens, comme savez. Et pour ce
    Que le saint-père avait en ce tracas
    Baisé l'ergot de messer Satanas,
    Ce fut depuis chose à Rome ordinaire
    Que l'on baisât la mule du saint-père.
    Ainsi l'ont dit les malins huguenots
    Qui du papisme ont blasonné l'histoire:
    Mais ces gens-là sentent bien les fagots:
    Et grâce au Ciel, je suis loin de les croire.
    Que s'il advient que ces petits vers-ci
    Tombent ès mains de quelque galant homme,
    C'est bien raison qu'il ait quelque souci
    De les cacher, s'il fait voyage à Rome.




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